1.3. Les éditions de Nicot

1.3.1. L'édition de 1573

Nicot fut donc la source majeure des augmentations de l'édition de Dupuys 1573, fournissant à ce dernier des matériaux dont principalement un traité de navigation. [
64] Il l'aurait été aussi de la cinquième édition que Dupuys projetait de donner: [65] "dedans brief temps vous l'aurez en main: ce que le seigneur Nicot m'a octroyé, pour en retirer [c.-à-d. de ses écrits] & recueillir ce & tant qu'il me plaira". [66] C'est le contraire qui est arrivé, Nicot prenant le dictionnaire en charge à un moment donné entre 1573 et la mort de Dupuys.

1.3.2. Le Thresor de 1606

Nicot, "personnage tres-sçavant", [
67] le premier à s'occuper du dictionnaire qui ne fût pas du cercle des Estienne, fut aussi le premier depuis son auteur à y apporter des changements de conséquence. Associé puis attelé à la tâche pendant une trentaine d'années, [68] il eut le temps de changer profondément le caractère de l'oeuvre y compris le titre: Thresor de la langue françoyse, tant ancienne que moderne (sur la page de titre) ou Les Commentaires de la langue françoise (sur la première page), ce qui devient dans le privilège de l'Empereur Commentaire ou Thresor de la langue Françoise. En effet, 'dictionnaire' aurait été déplacé dans l'édition de 1606; 'thresor', 'commentaires' s'imposaient.

Ouvrons une parenthèse sur le titre pour voir comment Nicot lui-même en parle dans le texte. D'abord, David Douceur dit dans l'épître dédicatoire "pour ce que ledit Sr Nicot l'auoit voulu ... ay donné [au dictionnaire] le tiltre de Thresor de la langue Françoise". Dans le texte du dictionnaire, nous trouvons: "ces Commentaires" s.v. Arrouser, Dique et Salade, "ce liure" s.v. Chartre, "ce dictionaire" s.v. M'escolliere et Trulle, "ce Dictionaire" s.v. Neutre, "ce present Thresor ou Dictionaire de la langue Françoise" s.v. Nicotiane, "ces Commentaires & thresor de la langue Françoise" s.v. Nimes. Livre est evidemment un archilexème, on peut l'écarter tout de suite. Dictionaire serait également un mot non marqué en ce que c'est le terme générique pour l'époque qui nous intéresse. [69] Il nous reste deux occurrences de Commentaires comme intitulé abrégé et une dans une formule étendue, et deux occurrences de thresor en formule étendue. Ainsi, les formules données dans les privilèges, sur la page de titre et sur la première page du dictionnaire semblent refléter fidèlement la pensée de l'auteur.

En cherchant un peu plus loin, on peut se faire une idée assez précise de ce que le mot thresor signifiait pour Nicot personnellement. Regardons d'abord l'article THRESOR dans le Thresor:

Passons à CHARTRE: Quoi de plus naturel pour un ancien archiviste des chartes de devenir le premier archiviste de la langue?

Pour ce qui est de la part de Nicot dans l'élaboration du Thresor, nous apprenons d'abord ceci, sur le titre: "THRESOR DE LA LANGVE FRANCOYSE ... REVEV [les privilèges du Roy et de l'Empereur disent "dressé"] ET AVGMENTÉ EN CESTE DERNIERE IMPRESSION DE PLVS DE LA MOITIE; [70] Par IEAN NICOT". Il faut évidemment entendre par là: "Dictionaire françois-latin reueu et augmenté en ceste derniere impression de plus de la moitié par Iean Nicot et maintenant intitulé Thresor de la langue françoyse". Le titre tel qu'il est fera parler Jal, parmi tant d'autres, [71] des "nombreuses éditions du Thrésor". [72]

Le manuscrit que Douceur fit imprimer à Denys Duval en 1606 représentait probablement un travail inachevé, Nicot étant mort. Un public français et étranger l'attendait avec impatience. [73] Douceur, s'adressant dans l'épître dédicatoire au Président Bochart, chez qui le manuscrit fut entreposé en attendant d'être publié, s'explique sur l'utilité du Thresor: il serait souhaitable à certains que

Donc, deux visées interdépendantes: visée historique, l'explication de l'ancienne langue, et réforme thérapeutique de la langue. On notera, en passant, que Maxime Lanusse termine son étude du Thresor en concluant que Nicot était malherbiste. [75] On remarquera aussi que ancienne s'écrit sur le titre en caractères beaucoup plus importants que moderne -- que cela fût intentionnel ou non on ne saurait dire.

"Poussé d'vne extreme affection qu'ay de ne manquer à rien de ce que i'estimeray estre du bien du public", Douceur ajoute, dit-il dans l'épître dédicatoire, trois appendices importants: a) "le Nomenclator de Mr du Ion" -- il s'agit de l'édition revue par Germberg du Nomenclator d'Adrien Junius; [76] b) "vne Grammaire" -- Exact et tres-facile acheminement à la langue françoise par Iean Masset, mis en latin par le mesme autheur, pour le soulagement des estrangers; [77] c) "vn recueil des Prouerbes de nos anciens François" -- il comporte trois parties: i) Adagiorum Gallis vulgarium, in lepidos et emunctos latinae linguae versiculos traductio par Joannes AEgidius Nuceriensis, [78] ii) Selectae sententiae prouerb. ex M. Corderio, & alijs, [79] iii) Explications morales d'aucuns prouerbes communs en la langue francoyse, [80] ces dernières attribuées par Smalley à Nicot. [81]

À la différence de toutes les éditions du Dictionaire françois-latin, on ne formule pas dans le Thresor l'intention d'aller toujours perfectionnant l'oeuvre. L'auteur est mort, le libraire ne se charge que de la publication. Tout ce qu'il fera de plus, ce sera de tirer un nouveau titre en 1621.

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