2.2.3.2. L'unité lexicale: fractionnaire, simple ou composée

Nicot a une terminologie variée, quoique manquant de cohérence et de stabilité, pour décrire les différentes sortes d'unités lexicales. "Partie" est parfois employé pour les préfixes:

"Diction" s'emploie pour les éléments des composés -- préfixes et radicaux -- comme pour les mots simples et composés: "Mot" est utilisé pour l'unité simple et composée: "Terme" se trouve qualifier le mot simple: Les composés sont différemment écrits et caractérisés: Les trois entrées successives suivantes illustrent les trois formes possibles du mot composé: Les articles AIRE, BONNAIRE et DEBONNAIRE renferment trois formes d'un même terme: "de bon aire" (E 1539 s.v. De bon aire -- classé sous Aire), "de bonnaire" (E 1539 s.v. Bonnaire) > "debonnaire" (ND 1573), "Homme DEBONNAIRE, quasi de bon aire Voiez Bonnaire & Aire" (T 1564). [225]

L'unité syntagmatique reçoit différents qualificatifs. Vers le début de la lettre A, quatre syntagmes de la nomenclature A BON ESCIENT, D'ABONDANT, EN ABONDANCE et A BRIDE AVALLEE sont suivis dès ND 1573 de l'indication "par forme d'aduerbe" (nous dirions aujourd'hui "locution adverbiale"). Il y a diverses "manieres":

"maniere de parler":

"maniere de dire": "maniere d'entrer au propos": "Phrase" s'emploie couramment chez Nicot pour des expressions diversement construites: "locution" se rencontre s.v. Barbe (ND 1573): Mentionnons également "prouerbe": Les étiquettes peuvent être combinées, comme dans "maniere prouerbiale de parler" (s.v. Aulne quarree -- cf. ci-dessus la rubrique "maniere de parler").

2.2.3.3. Les exemples: syntagmes codés ou libres

Dans un dictionnaire bilingue, tout exemple d'emploi est en même temps unité de traitement puisqu'il est toujours censé être traduit. Il est théoriquement possible de distinguer parmi les unités de traitement celles qui appartiennent au lexique et celles qui relèvent du discours, puisque les premières sont susceptibles d'être également traitées dans la langue d'entrée, [226] tandis que les secondes ne seront que traduites. [227]

Le problème ne se pose évidemment qu'au niveau de l'unité syntagmatique. Nous avons vu, dans la section précédente, que Nicot qualifie un certain nombre d'items lexicalisés de "maniere de parler", etc. Plus fréquentes sont les seules définitions:

La différence entre syntagme codé et syntagme libre est relative; la possibilité d'analyser les éléments d'une séquence fait montre d'une certaine liberté de construction: "BRANCHER vn larron, c'est le pendre à la branche d'un arbre" (T 1564). L'équivalence monolingue est trompeuse lorsqu'elle concerne les items traductifs d'Estienne: dans "Petit bateau, ou batelet" (T 1564 s.v. Bateau), c'est petit bateau qui définit batelet et non l'inverse. [228] Dans ses articles construits, Nicot introduit généralement les séquences libres par le mot comme, ou une expression équivalente, ou par la ponctuation; par exemple, s.v. Abastardir (N 1606): Il s'agit, en fait, d'exemples d'emploi. Lorsque Nicot se contente d'ajouter des syntagmes aux listes d'items bilingues d'Estienne, il devient bien plus difficile de statuer sur leur degré de lexicalisation: "Ioüer la premiere table, ou Ioüer le premier" (N 1606 s.v. Table) et "Faire bruit" (N 1606 s.v. Bruit p. 93, col. 2, ligne 33 -- répétition de 92.2.74 < Estienne) ont l'air plus lexicalisés que "Bailler les noms des tesmoins" (N 1606 s.v Bailler) sans que l'on soit autorisé d'en dire plus. Les syntagmes de Nicot sont presque toujours donnés en fonction du français, aussi sont-ils généralement plus sûrs que ceux (ambigus) d'Estienne, et plus lexicalisés. [229] Le statut lexical des items traductifs d'Estienne est ambigu pour deux raisons: a) ils sont donnés en fonction du latin; b) aucun indice formel ne distingue les syntagmes codés des syntagmes libres, puisqu'une métalangue française pour le français fait presque entièrement défaut aux premières éditions du Dictionaire françois-latin. Leur valeur intrinsèque compromise est reconnue par Brandon, [230] qui, ailleurs, note que le nombre en est multiplié du fait de leur répétition dans l'article de différents membres importants de la séquence; ainsi, "La ligne ou (le) cordeau du charpentier" est donné, dans E 1539, s.v. Ligne et Cordeau. [231] Dans sa deuxième édition, Estienne continue à repeter ses items syntagmatiques; par exemple, "Alleguer & produire sa clericature, ou sa tonsure, & demander son renuoy par deuant son iuge d'eglise" figure, avec variations, s.v. Alleguer, Clericature, Renvoy et Tonsure. Là où Estienne réitère ses items, Nicot se sert assez souvent de renvois; par exemple: "Bau de bite, voyez Bite" (ND 1573). Lorsque la répétition se fait dans un même article, elle marque davantage l'intention traductive des syntagmes français: Pourtant, le témoignage le plus frappant de la préoccupation latiniste du Dictionaire françois-latin à ses débuts est fourni par les items dans lesquels le mot-adresse fait défaut; ainsi, dès 1539, on lit: Une entrée manifestement traductive lors de sa première apparition peut, par suite de modifications apportées par les éditions postérieures, acquérir un caractère équivoque; dans E 1539, on lit les deux items successifs que voici: T 1564 met le premier tablette au pluriel et omet "Tabula.", reliant les deux items au moyen de la virgule. ND 1573, enfin, rompt l'unité des deux alinéas en remplaçant la virgule par un point: Les syntagmes d'un article entier ne seront souvent que l'analyse du latin; ainsi s.v. Arain (E 1539): En revanche, Estienne confère parfois un statut constructionnel à un item en le terminant par "& c.". Par exemple, dans E 1539, on lit s.v. Advis: "Il est d'aduis que, & c. // Son aduis est de, & c.", ou s.v. Bruit: "Le bruit est que, & c.". Le français peut même gagner en couleur par rapport au latin; la même édition donne s.v. Assembler: "Tant de choses uraisemblables s'assemblent ensemble, Tot concurrunt verisimilia".

Parlant des ensembles syntagmatiques dans les dictionnaires français en général, B. Quemada dit que "La reconnaissance de leur autonomie lexicale a toujours été extrêmement floue, car les auteurs ont longtemps négligé de distinguer -- mais le pouvaient-ils? -- /./ les suites de mots des syntagmes figés". [234] Nous avons vu que seul Nicot (dans ses articles construits) des auteurs du DFL-Thresor donne des précisions à ce sujet. Pour pouvoir tenter de décider du statut lexical des syntagmes d'un état de langue passé, on a deux possibilités: l'opinion des grammairiens et des lexicographes du temps, [235] ou des dépouillements exhaustifs de textes. [236] Dans le cas qui nous préoccupe, nous devons nous contenter des décisions de Nicot.

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