2.2.4. Citations et sources nommées [237]

Les citations doivent être considérées séparément. Relevant tantôt du traitement du mot, tantôt de celui de la chose, elles ne sont identifiables comme telles que lorsqu'elles sont signées. [238] Dans le cas de la seule référence, elles sont virtuelles. Plusieurs problèmes sont à résoudre: en plus de la fonction de la citation ou de la référence dans l'énoncé lexicographique, il s'agit de déterminer quelles sont les sources d'expression française et quelles sont les limites de la citation (les guillemets n'existent pas encore).

2.2.4.1. Fonctions

Le Thresor, dictionnaire encyclopédique, traite du mot mais aussi du monde, s'occupe du français et, en même temps, d'autres langues. Rien d'étonnant, alors, à ce que les nombreux noms d'auteurs et textes cités [239] aient un rôle tantôt linguistique tantôt encyclopédique, concernant tantôt l'entrée tantôt l'étymon, voire les équivalents.

2.2.4.1.1. Domaine non français

Quoique Estienne et Thierry invoquent, à l'occasion, l'autorité de textes non français, c'est Nicot qui, dans la trame étymo-sémantique de ses articles construits, s'y réfère le plus. La citation ou la mention d'auteur peut jouer plusieurs rôles. Pour ce qui est du traitement de la langue, on peut observer, entre autres, les fonctions suivantes:

  1. Source d'un équivalent

    i) latin: "Archifs ... AErarium Sanctius, Bud." (1606); "Laict de femme, Humanum lac. Plin. Muliebre lac. Celsus." (1549 s.v. Laict) [240]

    ii) grec: "TALVT ... Lucian appelle cela propous" (1606)

    iii) hébreu: "Nettier ou nettoyer au balay ... Rabbi Scelonoh ben Gabirol en vn sien poëme l'a dit ainsi, mâ'as malkh+ut nevâyôt" (1606 s.v. Balay)

    iv) espagnol: "BRVMBAY ... signifie vne espece de couleur, qui est rouge obscure: Et comme dit le Commandeur Chacon, au liure des signes d'vn bon cheual, Verdadera color de castena" (1606) -- l'équivalent, analytique, est en fait intégré dans le traitement sémantique isomorphe; "ACHEMINER ... Espagnol, Encaminar. Nebrisse" (1606)

    v) italien: "ACHEMINER ... Italien Inuiar. Petrar. au Sonet, Si trauiato" (1606)

    vi) florentin: "BARBVTE ... le Florentin en vsoit iadis en ceste mesme signification, disant Barbuté en pluriel, huomini arme: voyez Landin, en son commentaire, Sur le paradis de Dante" (1573)

  2. Emploi d'un équivalent

    "se lit aux Annales de Rome, Luc. Sicinius Dentatus auoir esté appelé Achilles Romanus, A. Gell. liu. 2. ch. 11." (1606 s.v. Achilles) [241]

  3. Traitement sémantique d'un équivalent

    "BVRGVE ESPINE, Burga spina, Ruellius putat vnum genus esse Rhamni" (1564) [242]

  4. Traduction d'un équivalent

    i) hébreu -> grec: "ACHILLES ... Par la mesme raison que Dauid Ps. 71. ver. 3. appelle Dieu sa forteresse, que les Septante rendent par éis théon hupéraspi[stên]" (1606)

    ii) latin -> gaulois: "ARPENT ... Columel. lib. 5. cap. 1, Galli semipigerum [sic, = semiiugerum] Arepennem vocant" (1564)

  5. Emploi d'un étymon

    i) latin: "Laberius ancien Poëte Latin ... a ... appelé Lauandria, ce qui est baillé à lauer" (1606 s.v. Lavandiere) -- l'étymologie est implicite

    ii) grec: "BRAIRE ... Aucuns le veulent tirer de ce verbe Grec brakhô, qui signifie resonner, en ayant Hesiode vsé en cette signification. Et Homere mesmes du preterit ébrakhé" (1606) [243]

  6. Traitement sémantique d'un étymon

    i) latin: "LAMBEAV ... La descente de ce mot semble estre de lamberare vieux verbe Latin, qui signifie comme dit Festus scindere, & laniare" (1606) [244]

    ii) grec: "Archifs ... Autres le tirent de ce mot Grec Arkhéion ... Hesychius & Suidas disent, Archeia estre le lieu où les chartres publiques sont gardez" (1606) [245]

  7. Traduction d'un étymon

    "Archifs ... Autres le tirent de ce mot Grec Arkhéion ... qui signifie aussi ce que Ciceron ... appelle Tabularium, Et Virgile ... en pluriel populi tabularia" (1606)

  8. Emploi de cognates

    "ce n'est pas pourtant que les Latins n'ayent vsé de ce mot Barones, mais ce a esté comme de mot Espaignol, & à la façon espaignole, disant Hircius Pansa, au premier liure de guerre Alexandrine ... semper enim Barones complurésque ..." (1573 s.v. Baron) [246]

Quant aux contextes extra-linguistiques du domaine non français, on a affaire à la réalité qu'évoquent soit un étymon ou un équivalent, soit une entrée française, soit les deux. Dans tous les cas, il s'agit d'un auteur d'expression non française. Ainsi, on trouve Pline parlant d'Achilles soignant Télèphe (1606 s.v. Achilles); Méla décrivant les enseignes peintes des Agathyrses (1606 s.v. Armes); Dioscoride, Justin, Pline, Strabon et Théophraste décrivant le baume (1606 s.v. Basme); Matthieu de Westmonstier rapportant des lettres de Charlemagne dans lesquelles il est fait mention d'un baudrier (1606 s.v. Baudrier); Giorgi parlant du dressage du lanier (1606 s.v. Lanier); Domenichi signalé comme biographe de la soeur Scholiastique Bectone [247] (1606 s.v. Tarascon). Nous avons discuté plus haut [248] le statut ambigu de la séquence définitionnelle, celle-ci pouvant se référer à la chose désignée aussi bien qu'au mot; les informations encyclopédiques, ou extra-linguistiques, ne sont jamais divorcées tout à fait du traitement sémique, le nombre de sèmes nécessaires à l'identification du défini étant toujours fonction des besoins de chaque utilisateur particulier, et donc imprévisible.

2.2.4.1.2. Domaine du français

Les sources encyclopédiques, mentionnées dans le dernier paragraphe de la section précédente, ne se rattachent, quant à leur fonction, à aucune langue particulière, le langage servant, comme dans le discours linguistique normal, simplement de véhicule: d'informations techniques, historiques, etc. Il n'est donc pas surprenant que les ouvrages techniques de l'antiquité aient constitué un terrain de choix pour les traducteurs du XVIe siècle. [249]

Tout texte traduit pouvait remplir, dans le dictionnaire, plusieurs fonctions. Il pouvait, d'abord et indépendamment du fait de sa traduction, fournir des renseignements encyclopédiques ou des équivalents; [250] il pouvait fournir une équivalence de termes (par exemple "ANCHOIS ... Rondeletius dicit esse Encrasicholos" 1564 s.v. Anchois); [251] il pouvait, enfin, sous sa forme traduite, fournir un exemple d'emploi du français:

La Bible, texte historique et littéraire, du fait de sa notoriété en plusieurs langues, fournit des contextes qui, tout en concernant l'usage lexical, n'appartiennent à aucune langue en particulier. Par exemple, en parlant des emplois métaphoriques du mot Achilles, Nicot fait allusion à une image utilisée dans les Psaumes: "Dauid Ps. 71 ver. 3. appelle Dieu sa forteresse" (1606 s.v. Achilles). [252] Même des textes non traduits en français peuvent appuyer de façon explicite le traitement du français. Par exemple, s.v. Achilles: Ayant examiné ce qui est aux frontières du domaine du français, passons aux auteurs et aux textes d'expression purement française. Ici encore, la fonction de la référence peut être extra-linguistique: quoique l'encyclopédisme des citations françaises entretienne avec la langue française un rapport qui fait défaut à celui des sources non françaises. Les citations ou références d'auteur françaises à valeur linguistique servent à illustrer d'une manière ou d'une autre une unité de la nomenclature, [253] la citation fournissant un exemple d'emploi qui dans une certaine mesure éclaire le fonctionnement sémantique et syntagmatique de l'unité, la mention d'auteur ou de texte sanctionnant l'usage d'un terme. À l'interieur de ces fonctions générales, on peut observer des propriétés particulières dépendant de la situation de la citation ou mention dans l'énoncé lexicographique. [254]
  1. Entrée + définition + citation = la citation illustre la définition:

    A aussi signifie pour ... au 3. liure Damad. chap. 6. Toutesfois il estoit lors peu cogneu à fils de roy (1573) [255]

    ACCVSER ... se prend aussi pour deceler, descouurir quelque secret: Gaguin au traicté des Herauts: Ne aussi reueler n'accuser emprinses de guerres, ne autres embusches de son party (1606) [256]

    - Le rôle autorisateur de la citation peut être explicité par le lexicographe:

    Laneret ... Est le diminutif de lanier, & signifie comme aucuns estiment le tiercelet du lasnier. Iehan de Franchieres donne à entendre qu'il est ainsi, quand ... il escrit en ces mots, De ce faulcon pouuez voler pour riuiere, tant du lasneret comme du lasnier, car ils y sont bons (1606)

  2. Entrée + définition + citation-définition = la citation précise le sens en même temps qu'elle illustre la définition:

    Arsacide ... assassin ... Nicole Gilles en la vie du Roy Saint Loys, se deffait dudit mot Arsacide en ces termes. L'an mil deux cents trente six, le Roy des Arsacides ... enuoya en France aucuns de ses Arsacides, qui sont gents nourris & introduits pour tuer ceux que leur Roy leur commande, ayants charge de tuer le Roy Saint Loys (1606) [257]

  3. Entrée + définition + citation + définition = la citation illustre la définition et introduit une sous-acception qui est définie à son tour:

    Taille aussi est la facture du corps en grosseur & haulteur, soit de l'homme, soit de beste, disant le François ... vn cheual de legiere taille, en Amadis au premier liure, Vn cheual qui ha le corps & les iambes allegres (1573) [258]

  4. Entrée + citation + définition = la citation permet à l'entrée d'être définie en discours:

    BAILLIE. Ie ne veul estre en ta baillie & gouuernement. Berinus, Ils seront en vostre baillie. Guy de Waruich, c'est à dire puissance seigneurie & domination (1564) [259]

  5. Entrée-citation + définition = la citation fonctionne comme dans D:

    Acquiter vne terre. Berinus. C'est la mettre en paix & quietude en la deliurant des vsurpateurs (1564 s.v. Acquiter)

  6. Entrée-citation = la citation doit suppléer à la définition:

    Bullette d'or pendant sur le front, en laquelle estoient enchassées trois riches escarboucles de prix inestimable. Iean le Maire lib. I. chap. 40. des Illustrations (1606 s.v. Bullette)

  7. Entrée + définition + référence / entrée + référence + définition = la référence sanctionne l'item. Deux cas peuvent se présenter: (i) la référence accompagne l'unique acception d'un mot -- c'est le mot qui est autorisé; (ii) la référence concerne une de plusieurs acceptions -- c'est l'acception qui est autorisée:

    i) sanctionnement du signe:

    Actournée, f.penac. Est la procuration passée à un actourné, comme il se void aux ordonnances de l'Eschiquier tenu à Rouen le terme de Pasques 1462 (1606)

    LAMBRVNCHÉ, Labrusca. c'est vigne sauuage. Ronsard en vse (1564; 1573 = "LAMBRVNCHE ...")

    ii) sanctionnement du sens:

    Baffray aussi se prend pour vne bastille faite de charpente, de laquelle les assiegeans battent les assiegez, comme d'vn petit fort, se retrayans en icelle aux saillies qu'on fait sur eux. Ainsi en vse Eng. de Monstrelet (1606 s.v. Baffroy)

    Abonner aussi, selon maistre Fr. Ragueau, signifie aliener, changer, quand le vassal aliene ses rentes & debuoirs, hommages, ou change l'hommage à deuoir (1606) [260]

  8. Variante + référence = la référence sanctionne la forme:

    LAMBEAV ... Feron le nomme tousiours Lambel au singulier (1606) [261]

  9. Dénomination + référence = la référence sanctionne la forme:

    Breuiarium ... compilation en bref ... les anciens Latins mieux parlans disoient Summarium au lieu de Breuiarium, Nous disons Abbregé, & ainsi est intitulé l'Epitome des Chroniques de France, laissans le latinisé Breuiaire en vsage aux gens d'Eglise (1606 s.v. Breviaire)

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