I. Leroy-Turcan, "Gilles Ménage et l'Académie Française"

1. Introduction

Gilles Ménage fut membre, le 2 septembre 1654 [1], de l'illustre Académie florentine, l'Accademia della Crusca, où furent aussi reçus d'autres français, tels Chapelain (en même temps que Ménage [2]) puis François Seraphin Regnier Des Marais [3], qui, lui, eut encore, en 1684, l'insigne avantage d'occuper la place de Secrétaire perpétuel de l'Académie Française.

Ménage ne fut pas de l'Académie Française, pas même post mortem, ce qui ne s'est jamais fait, et ce malgré l'estime que lui portaient plusieurs Académiciens ; on ne se laissera pas non plus abuser par ce que pourrait laisser croire une édition hollandaise du Menagiana datée de 1693 [4] et mentionnant sur la page de titre « de l'Académie françoise ». Et s'il est net qu'il en conçut quelque dépit dans les premiers temps, ce lui fut ensuite un véritable titre de gloire de n'en être pas.

Nous verrons dans cette étude qu'il faut distinguer les Académiciens et l'institution de l'Académie et que les motifs d'opposition entre Ménage et l'Académie dépassaient les jeux mondains des polémiques sur le bien écrire et le bien parler qui préoccupaient toute personne de qualité, tout honnête homme, toute personne ayant ses entrées à la cour.

Le lieu fondamental de l'opposition était bien d'ordre linguistique : c'est non seulement en grammairien, mais surtout en lexicographe que Ménage, auteur d'un dictionnaire étymologique, qui dépassait d'ailleurs le cadre de la seule étymologie pour s'inscrire dans la lignée des dictionnaires de langue [5], s'est farouchement affirmé comme un adversaire linguistique des principaux choix de l'Académie.

2. De quelques Académiciens à l'Académie

La première édition du Menagiana en 1693 [6] suffit à nous donner déjà quelque écho et quelque idée [7] -- en prenant les précautions d'usage face à ce genre d'écrit -- des relations qu'a entretenues Ménage avec bon nombre d'Académiciens ; on peut ici distinguer deux périodes, le bon vieux temps des débuts de l'Académie florissante et les temps modernes d'une Académie que Ménage juge alanguie et décadente.

2.1. Les Académiciens

En effet, on s'aperçoit que les Académiciens pour qui Ménage manifeste quelque intérêt, en bien ou en mal, sérieusement ou pour le plaisir de plaisanter, parfois du respect et même de l'admiration, sont surtout les membres fondateurs ou leurs successeurs directs. Les membres de l'Académie des années 70-80 et surtout 80-90 semblent quasiment ignorés [8], excepté quelques grands tels Huet et Benserade reçus en 1674 ou Toussaint Rose reçu en 1675.

Nous ne souhaitons pas ici présenter ni développer l'aspect anecdotique concernant les Académiciens ayant droit de cité dans le Menagiana, comme ailleurs dans l'œuvre de Ménage, qu'il s'agisse de ceux qui sont décriés et tournés en ridicule ou de ceux qu'il admire. Nous nous contenterons d'évoquer pour le simple sourire :

2.1.1. Les pointes

Les pointes visant l'Académie à travers des personnes nommées ou non, qu'elles soient énoncées directement, telle celle rapportée par Dubos :

ou indirectement ce qui présentait plus d'un avantage, comme celle qui implique la personne de Furetière :

Les pointes les plus fréquentes touchent les personnes, qu'il s'agisse de l'opiniâtre Patru qui s'obstinait à compter comme bref le a de l'impératif du latin facio, fac, contre l'avis de Ménage qui le faisait long ou du piètre Quinault inféodé au contentement et à l'approbation de Mademoiselle Serment ou encore de l'évêque Godeau, « Nain de Julie » mendiant l'attention de Ménage, et qui aurait eu son évêché pour un benedicite [10].

2.1.2. Les plaisanteries

Il est parfois délicat, quand on n'est pas spécialisé dans l'étude des relations mondaines de cette micro-société des gens de lettres, tour à tour amis et ennemis, de faire la part entre la pointe et la plaisanterie. Que penser des remarques apparaissant, parfois, à la fois comme des railleries et comme des pointes implicites ? Ainsi à propos des débauches du Sieur de Bois Robert, ardent au jeu et intéressé au point de s'inviter à dîner [11], des amours faciles de Guillaume Colletet amateur de servantes au point d'en avoir épousé trois, l'une d'elles lui ayant inspiré de « très beaux vers » [12], ou de l'insomniaque Nicolas Bourbon aimant le bon vin au point de comparer les vers français à de l'eau [13] ?

2.1.3. De la plaisanterie à la marque d'estime

À côté des plaisanteries, dont Ménage se fait l'écho, il faut évoquer la réelle estime manifestée à l'égard de ceux qui lui furent proches. Ainsi pour Desmarets, Ménage compense-t-il la faute d'impression des délices de l'esprit transformés en délires de l'esprit, par l'appréciation suivante : « M. Desmarets avoit un esprit admirable : son Epicharis est très belle ». Ménage lui a accordé un prix pour de beaux vers [14].

2.2. Les amis

Ménage aimait plaisanter et son amour excessif des bons mots est devenu réputé. Ses amis, dont Ménage fournit une liste dans le chapitre LXXXII de l'Anti-Baillet, le savaient et ne lui en faisaient pas grief. De tous les Académiciens mis en cause dans la Requeste des Dictionnaires dont nous parlerons tout à l'heure, il n'y aurait eu, selon Ménage lui-même dans l'Anti-Baillet, que le sieur Bois Robert qui ait été fâché (cf. infra, note 26) ! Parmi ses amis, on peut citer [15], outre Balzac et Huet, Pellisson à qui Ménage est resté courageusement fidèle et dévoué lors de son emprisonnement, Servien dont Ménage écrit :

On peut encore évoquer l'angevin diseur de bons mots, Guillaume de Bautru, fidèle aux Mercuriales et aimant la grande compagnie au point d'inviter les laquais. Ménage a assisté à sa mort [16] ; Ménage fut l'ami du Cardinal d'Estrées du temps où il n'était qu'abbé (ibid, p.321) ; on connaît sa complicité avec Jean Ogier de Gombault et M. de l'Estoile qui disait :

Ménage éprouvait encore un grand respect pour Valentin Conrart et Toussaint Rose ; il a fréquenté Pierre du Ruyer et M. de Montmor ; Benserade fut son intermédiaire avec Mazarin (question d'intérêts, p.447) ; La Bruyère et Charpentier lui ont rendu visite. Ménage n'a pas non plus négligé les plus grands, puisque l'Épître dédicatoire de ses Observations sur la Poésie de Malherbe (1666) est dédiée à Jean Baptiste Colbert. On a conservé aux Archives Nationales (cote K. K. 601, fol. 125) la lettre que Ménage a écrite à Colbert pour accompagner cet ouvrage qu'il « avait pris la liberté de lui dédier ». Ce sont évidemment ses amis Académiciens qui ont joué un rôle important pour tenter de faire élire Ménage à l'Académie, le convaincre au moins de faire les démarches nécessaires pour présenter sa candidature.

2.3. L'Académie : les péripéties d'une impossible élection

2.3.1. Le prélude aux déboires académiques de Ménage

La fameuse Requeste des Dictionnaires à « Nosseigneurs Académiques / Nosseigneurs les Hypercritiques / Souverains arbitres des mots / Doctes faiseurs d'avant-propos », connue aussi sous l'intitulé du Parnasse alarmé, « une Pièce des plus ingénieuses qui ayent jamais paru en ce genre [17] », fut-elle la cause de tous les maux de Ménage ?

On peut lire dans l'Eloge de Mr Ménage du Journal des Scavans (11 août 1692, p.370, article de Cousin [18]) qu'

Il faut nuancer cette remarque de Cousin qui est quelque peu exagérée. On dispose du manuscrit original de la Requeste, non daté, à la B.N. (n° 24 445, fol. 371-7), mais avec la signature de Mesnage, advocat en Parlement [19].

Rappelons quelques dates : bien qu'elle ait existé déjà plus que virtuellement, d'abord avec le fameux cercle des amis de Conrart, puis dès 1634, année consacrée à mettre au point les statuts de la future Compagnie [20], l'Académie fut officiellement fondée par Richelieu en 1635 : le 29 janvier Louis XIII signa les Lettres Patentes rédigées par Conrart et les premiers statuts approuvés par Richelieu le 22 février 1635 stipulent dans l'article XXVI qu'

Ménage n'était alors âgé que de 22 ans et n'avait pas encore publié d'ouvrage majeur sur le plan scientifique [21] ; il n'aurait alors en aucun cas pu prétendre solliciter l'ombre même d'une place...

La première parution de la Requeste présentée par les Dictionnaires à Messieurs de l'Académie pour la réformation de la Langue Françoise fut totalement anonyme, sans précision d'éditeur, sans date d'édition. On a conservé un exemplaire à la réserve de la B.N. de ce libelle in 8° [22] ; la première édition officielle remonte en fait à 1649, et figure sous le titre du Parnasse Alarmé (in quarto de 16 pages, paginé et folioté de A à D, Paris : sans nom de libraire, B.N. Rés. X. 931). Malgré l'argument de la simple plaisanterie [23], péché de jeunesse, qui sera repris par Pellisson [24] pour défendre son ami Ménage, on sait que Ménage était bien conscient du prodigieux scandale qu'allait provoquer ce texte non seulement dans le microcosme de l'Académie élargi à la Cour, mais aussi dans l'ensemble du monde des lettres. Ce texte serait resté caché pendant plus de dix ans et aurait été composé dès 1636, si l'on se fonde sur le témoignage de Tallemant [25]. C'est d'ailleurs pour cette raison que Ménage avait pris le soin de garder l'anonymat, ayant confié tous ses papiers, parmi lesquels la requête, à son ami Girault, chanoine au Mans, comme il l'a précisé lui-même dans une lettre à Nublé [26] :

Selon Ménage (Anti-Baillet, ch. LXXXII), c'est l'abbé Matthieu de Montreuil, frère de l'Académicien Jean de Montreuil, qui aurait subtilisé le manuscrit de la Requeste pour lui faire tort, en 1646 [27]. C'est ce qu'écrit aussi Pellisson dans son histoire de l'Académie [28], en disant à propos du voleur courtoisement non nommé « quelqu'un que nous connoissons ». Malgré les premiers soucis que lui causa cet événement, Ménage a d'abord eu confiance en l'anonymat qu'il croyait préservé et il écrit encore à Nublé :

En réalité, il suffit de voir le plaisir qu'il prendra par la suite à publier des écrits provocateurs, à compléter la Requeste (à la Bibliothèque de l'Institut, quatre formulations différentes, dont une « Revue, augmentée et corrigée par Ménage », cote 5171 (191 bis HF) 3 p.141), à la rééditer plusieurs fois [29] pour douter de sa complète sincérité. Lui-même notera dans la Préface de l'Anti-Baillet [30] :

Ménage récuse aussi, toujours dans l'Anti-Baillet le seul argument ludique des bons mots qu'il ne voulait pas perdre :

De fait, outre le jeu des recherches de rimes auxquelles d'autres auteurs ont collaboré, comme la rime claquedent pour Balesdens que lui aurait proposée un des Du Puy (cf. Menagiana 1693 : 227), on saisit dans ce texte les motifs profonds qui opposeront encore longtemps Ménage à l'Académie et qui sont linguistiques. Mais, reprenons l'esquisse de chronologie.

2.3.2. Sur les traces d'une candidature impossible

Ménage n'a pu, raisonnablement, c'est-à-dire en toute logique de production scientifique reconnue comme telle par ses pairs, penser à briguer une place à l'Académie française qu'après avoir publié ses Origines de la Langue Françoise (1650) et ses Observations sur la Poésie de Malherbe (1666), ouvrage dédié au Ministre d'État, futur Académicien (1667), Jean-Baptiste Colbert. Or, nous n'avons pas trouvé de trace de candidature ménagienne dans cette période. Pas de trace d'une éventuelle chance d'élection non plus, après la parution des Observations sur la Langue Françoise en 1672.

Il faut préciser que du côté de l'Académie, nous ne disposons d'aucune archive officielle avant le 13 juin 1672, date à laquelle on décida de rendre publics tous les comptes rendus des séances : tous les textes ont été consignés ensuite systématiquement dans les Registres de l'Académie (édités chez Firmin-Didot en 1895), mais dans les premières années les comptes rendus de séance sont plus que succincts, et lorsqu'il y a eu une élection nous ne trouvons aucune mention des candidats en présence. Seuls sont mentionnés les noms des disparus laissant une place vacante et ceux des heureux élus destinés à occuper les sièges brigués.

Nous avons cru un moment nous heurter à une difficulté, car nous avons trouvé dans l'Inventaire manuscrit des livres faisant partie de la bibliothèque de deffunt Messire Gilles Ménage conservé dans les manuscrits latins de la B.N. (cote 10378) la mention suivante, juste après une série d'ouvrages réunis sous l'intitulé Philosophi et medici : Discours prononcé à l'Académie Françoise en 1674, Paris, 1674. Aucune précision d'auteur ni d'éditeur. Étant donné que ses propres œuvres sont aussi mentionnées dans cet inventaire, la question qui nous a d'abord préoccupée fut de savoir si Ménage avait pu prononcer un discours à l'Académie en tant que personnalité invitée. Aucune trace d'un éventuel discours de Ménage dans les Registres de l'Académie (manuscrits et imprimés 1672-92), aucune trace dans le Journal des Scavans (dont nous avons aussi dépouillé les années 1672-92). Il n'en est pas non plus question dans l'Histoire de l'Académie de Pellisson, ni à propos des différents discours prononcés à l'Académie en 1635 (op. cit., t.I), ni ailleurs. En réalité, comme Pierre Daniel Huet a été reçu à l'Académie en cette année 1674, nous avons eu l'idée de vérifier si son discours de réception n'avait pas bénéficié d'une impression spéciale, ce qui est bien le cas. Son discours a bien été imprimé à Paris, chez P. Le Petit, en format in 12°, en même temps que les « quelques ouvrages de poësie qui y furent récités le mesme jour » [31]. L'imprécision du manuscrit est donc levée. Ménage n'a pas prononcé de discours à l'Académie.

2.3.3. Les places vacantes

Dans la première édition du Menagiana (1693), on peut relever quelques remarques de Ménage rapportées notamment par M. de Launay, Baudelot et Galland, mais sans aucune mention de date, lacune comblée par l'ample édition de 1715 [32]. Certains détails nous permettent de penser qu'il n'y est question que des deux dernières opportunités qu'a eues Ménage d'être reçu à l'Académie, fin 1684 début 1685 puis en 1687.

Ainsi, quand Ménage écrit :

il ne peut s'agir que de l'élection qui s'est déroulée le lundi 4 décembre 1684 (soit juste après celle qui a mis Thomas Corneille à la place de Pierre Corneille, le 27 novembre) pour pourvoir la place laissée vacante par Cordemoy. Cette place était destinée à Ménage, comme le précise l'intéressé dans l'Anti-Baillet [35] ; mais on ne trouvera pas le nom de Ménage dans les Registres de l'Académie concernant ce scrutin (t.II, 1672-1715, Paris, Firmin-Didot, 1895, p.232-4 [36]) ; de fait, il ne se serait pas officiellement présenté si l'on s'en tient à la suite de son témoignage :

Ménage attendait-il donc qu'on vînt le chercher de force, espérait-il une majorité écrasante, une « élection de Maréchal » ?

En fait l'Académie a plutôt reçu un homme politique qu'un homme de Lettres, Jean-Louis Bergeret, secrétaire de la Chambre et du Cabinet du Roi, secrétaire de Colbert [37]. Pour Ménage et ses amis, il y a véritablement eu une cabale contre son élection pour préférer Bergeret, qui, selon les termes de Pellisson [38], « força les barrières de l'Académie ». Cette élection suscita les réclamations de la « Troupe de Ménage » [39]. Dans l'Anti-Baillet (ch. LXXXII déjà cité) Ménage précise que

Certes, les « désirs de la Cour » ne correspondaient pas à ceux des proches de Ménage ; mais que penser de la précision de Cousin, dans son Eloge :

Que penser encore des regrets exprimés par Ménage dans le Menagiana où il déplore que la place n'ait pas été accordée à Mr Cousin [40] ?

De fait, Ménage semble avoir vite trouvé la consolation de cet épisode, si l'on se fonde sur la remarque du Menagiana [41] :

Faut-il préciser qu'en 1684-5, plus de trente ans s'étaient écoulés, la Requeste avait réussi à se faire oublier, la plupart des Académiciens mis en cause étant morts, mais depuis, combien de malheureuses querelles ne l'avaient pas largement remplacée !

Nous pensons d'ailleurs, et avec encore plus de vraisemblance, que cette dernière remarque fait plutôt allusion à l'ultime possibilité que Ménage a eue officiellement de rentrer à l'Académie, en juin 1687 lors de la mort du Duc de Saint-Aignan, opportunité qu'il a refusée au motif de son handicap à la suite d'une mauvaise chute. On lit dans l'Anti-Baillet :

De fait la lettre de Huet est particulièrement flatteuse pour Ménage qui ne se prive pas de la citer :

En dépit de la réalité de l'argument de Ménage qui était physiquement très fatigué, et qui alors ne quittait presque plus sa chambre, nous pensons qu'il faut y ajouter la lassitude des batailles fébriles et surtout la crainte de prendre le risque d'être encore refusé. C'est bien pour cela qu'il persistera à affirmer encore en 1690 (Anti-Baillet) qu'il ne s'est jamais présenté :

2.4. Ménage et les relations publiques de l'Académie

Ménage n'avait en fait pas eu besoin d'être de l'Académie pour jouer un rôle non négligeable dans l'Académie, tant sur le plan des mondanités et des élections que sur celui, qui nous intéresse ici davantage, des choix linguistiques et de l'élaboration du Dictionnaire.

2.4.1. Les mondanités

C'est Ménage qui présenta l'Académie française à la Reine Christine de Suède lors de son voyage à Paris [44].

Ménage a plus d'une fois joué le rôle d'intermédiaire entre des Académiciens [45], entre des Académiciens et certains de ses amis qui n'appartenaient pas à la Compagnie [46], d'arbitre ou de négociateur dans des querelles [47] : Balzac l'a encore chargé de dédier un de ses ouvrages en latin à la Reine de Suède qui d'ailleurs n'a remercié que Ménage en oubliant l'auteur du livre offert [48], etc.

2.4.2. Les élections

Ménage fréquenta très tôt les couloirs (les coulisses) de l'Académie, si l'on se fonde sur une lettre de Chapelain à Balzac datée du 24 juin 1640 :

Ménage fut encore un meneur de cabales, notamment contre l'élection de Boileau [50].

2.4.3. L'affaire Furetière

Nous n'avons pas ici le loisir d'étudier le rôle de Ménage dans l'affaire Furetière [51], mais nous pouvons au moins évoquer sa sympathie pour celui qui fut un dissident de l'Académie :

Ménage ne figure pas dans la « Liste des Personnes Illustres par leur qualité ou leur littérature qui ont donné leur Approbation par écrit au Dictionnaire Universel de Furetière » présentée dans le Recueil des Factums d'Antoine Furetière de l'Académie Françoise contre quelques-uns de cette Académie, des preuves et pièces historiques données dans l'édition de 1694, par Charles Asselineau, t.II, p.173-4, Paris, 1859 : on y trouve des Monseigneurs Archevêques et Évêques, des Révérends Pères de la Compagnie de Jésus (dont Ménestrier et Rapin), des prêtres de l'Oratoire (dont Thomassin), le célèbre voyageur Bernier, mais aucune trace de Ménage.

[Retour à la table] -- [Suite]


Notes

1. Parodi 1983a.

2. Cf., pour l'anecdote de ces deux réceptions à La Crusca, Cenerini 1981.

3. Reçu le 17 août 1667. Ménage et Chapelain furent les deux premiers français reçus membres de l'Académie della Crusca, mais il y eut aussi d'autres français, tels Regnier Des Marais ou Henry-Louis Habert (cf. Parodi 1983a et 1983b).

4. Cf., ailleurs dans ces Actes, Leroy-Turcan, « Présentation de quelques exemplaires des ouvrages de Gilles Ménage : originaux et contrefaçons », § 2.2.2.

5. De Nicot au FEW, en passant par Féraud, Littré et Diez, Ménage a joué un rôle important dans l'histoire des dictionnaires anciens (cf. Leroy-Turcan 1994a).

6. À laquelle on ajoutera, bien sûr, les éditions suivantes et les témoignages précieux de l'Anti-Baillet.

7. Nous n'estimons pas nécessaire de développer ici un sujet qui sera en partie traité dans d'autres communications. Précisons toutefois que Ménage n'hésite pas à introduire dans des ouvrages de langue (qu'il s'agisse des Observations sur la Poésie de Malherbe, des Observations sur la Langue Françoise ou du DEOLF) des remarques sur sa vie personnelle.

8. On peut faire la même remarque à propos des Observations et du DEOLF.

9. Par l'édition de 1715, t.I, p.211, on sait qu'il s'agissait de Perrault. Cf. aussi le 2e Factum de Furetière.

10. Menagiana 1693 : respectivement p. 325-6, 434 et 484-5.

11. Menagiana 1693, p.67 et 363-4.

12. Menagiana 1693, p.302 et 309 ; p.443.

13. Menagiana 1693, p.451, 75 et surtout 130.

14. Menagiana 1693, p.329, 462 et 487.

15. Une précision s'impose à propos du « Grand Bignon » selon les termes de Ménage, qui était Jérôme Bignon, le Grand Maître de la Bibliothèque du Roy, historien du droit (1589-1656) et qui ne fut pas Académicien. C'est son petit-fils, Jean-Paul Bignon, qui fut reçu à l'Académie en 1693.

16. Menagiana 1693, respectivement p.80, 200, 100 et 255-6.

17. Cf. les Mémoires pour servir à la vie de M. Ménage en tête du Menagiana 1694, t.II, repris dans l'édition de 1715 au t.I. Nous traiterons prochainement la question délicate de l'auteur de ce texte non signé.

18. Et on retrouve la même formulation dans les Mémoires pour servir à la vie de M. Ménage dans la seconde édition du Menagiana en 1694, t.II.

19. On dispose d'un autre manuscrit in-octavo à la Mazarine sous la cote 3940 (2013), f.67.

20. La première séance s'est tenue le 13 mars 1634 (cf. Pellisson & d'Olivet 1743 : II, 294 et Fabre 1890 : 42) ; le projet du dictionnaire est daté du 20 mars 1634 par Chapelain qui a lancé ce jour-là l'idée d'un « ample dictionnaire ». C'est à partir du 13 mars que Conrart consigna dans des registres tout ce qui se passait à l'Académie.

21. On pourra se reporter au Catalogue de la B.N. et à la présentation détaillée d'E. Samfiresco (1902 : ix-xx).

22. Sous la cote Rés. X. 2019 : cet in 8° est constitué de 21 pages paginées et foliotées de A à C.

23. Cf. dans les Mémoires pour servir à la vie de M. Ménage (voir n.16, supra) : « Il ne l'entreprit par aucun mouvement de haine ni d'envie contre l'Académie, mais seulement pour se divertir et pour ne point perdre les bons mots qui lui étoient venus dans l'esprit ».

24. « ... il étoit aussi ami particulier et intime, comme il l'est encore aujourd'hui, de plusieurs Académiciens dont il est parlé dans cette Requeste, et ne l'entreprit, comme il le proteste lui-même, par aucun mouvement de haine ou d'envie, mais seulement pour se divertir, et pour ne point perdre les bons mots qui lui étoient venus dans l'esprit sur ce sujet » (Pellisson & d'Olivet 1858 : I, 51).

25. Historiettes, éd. Pléiade, p.320 et n.4, p.322. Source signalée sans référence précise par Fabre (1890 : 165).

26. Cf. Matter 1846 et les Mémoires pour servir à la vie de M. Ménage (voir n.16, supra).

27. Cf. l'éd. de Tallemant (voir n.25), n.6 de la p.320 et p.1179.

28. Pellisson & d'Olivet 1858 : I, 51.

29. Outre l'édition anonyme évoquée supra, il y eut au moins celle du Parnasse Alarmé, Paris 1649 (B.N. Rés. X. 931) ; celle reprise dans le Menagiana 1715, t.IV : 258-70.

30. Dans la Préface de l'éd. de 1690 et au chapitre LXXXII, p.295 sqq. (= p.163 sqq. dans l'éd. de 1730) : « Il est faux que ma Requête des Dictionnaires m'ait brouillé de la sorte avec l'Académie. Tous ceux qui la composent, ne considèrent ce petit Poème que comme un jeu innocent. Et la plupart de ces Messieurs... m'ont donné depuis dans leurs ouvrages des marques de leur amitié et de leur estime. M. de Boisrobert est le seul de tous les Académiciens qui s'est plaint de ce Poème. »

31. En fait le titre qui ne comprend pas de nom d'auteur : Discours prononcez à l'Académie françoise le XII Aoust 1674 , associe les deux discours prononcés par Huet et Fléchier (B.N., Rés. X 2674).

32. Ainsi la mention des « mêmes offres » faites à Ménage et Du Cange, non datée dans 1693, p.345-6, est-elle précisée dans 1715, t.II, p.220-1 où est associée la note étudiée ci-dessous à propos de l'élection de décembre 1684.

33. C'est dans cette épigramme latine de Pierre Petit, médecin parisien ami de Ménage, que se trouve la pointe adaptée aux déboires académiques de Ménage, qui, après coup, ne peut qu'avoir méprisé la proposition qui lui a été faite de postuler : « Un plat ordinaire ne peut pas tenir un Dauphin » ! Cf. l'écho donné dans Menagiana 1693 : 423-4, par Pinson et le texte de l'Épigramme donné dans l'édition de 1715 : II, 221-2.

34. Menagiana 1693 : 437-8, note de Baudelot = t.II de 1715 : 220-1.

35. Cf. l'éd. de 1690, p.301= 1730, p.165-6 : « M. Régnier, Secrétaire Perpétuel de l'Académie, me fit l'honneur de me venir voir, pour me dire que dans la dernière Assemblée de l'Académie on avoit proposé de remplir la place de Mr de Cordemoy d'un sujet qui fît honneur à l'Académie, et que tous ces Mrs qui composoient cette Assemblée, avoient jeté les yeux sur moi. Et il me convia de leur part de bien vouloir accepter cette place... »

36. On lit simplement le fait que, sur vint sept votants, quinze billets portaient le nom de Bergeret pour la proposition du remplacement de « feu Mr Cordemoy », le premier scrutin ayant ensuite conquis dix neuf suffrages ; l'élection fut enfin confirmée par un second scrutin le 11 décembre ; la réception des deux récents élus, Corneille le cadet et Bergeret, s'est déroulée le 2 janvier 1685.

37. Cf. le discours de Racine vantant les mérites politiques de Bergeret, sa connaissance des affaires étrangères, etc. édité dans le Recueil de 1698.

38. Pellisson & d'Olivet 1743 : II, 294.

39. Selon l'expression de Benserade dans les fragments nous restant de ses Portraits des Quarante Académiciens vivants en 1684, cités par d'Olivet (Pellisson & d'Olivet 1858 : II, 295).

40. « J'ay remercié Messieurs de l'Académie Françoise de la bonne volonté qu'ils m'ont témoignée à me recevoir dans leur corps. Ils ont reçu un autre sujet que je ne connais pas. Encore s'ils avoient choisy Mr. Cousin qui a tant de mérite et tant de belles qualités et que j'honore, je leur en aurais su bon gré ! » (Note de M. De Launay, Menagiana 1693 : 209). Louis Cousin sera reçu en 1697.

41. 1693, p.227-8.

42. On trouvera dans l'Anti-Baillet une variante : « ... de la même façon qu'on condamne ces jeunes garçons qui ont diffamé des filles de les épouser. » (1690, p.300 = 1730, p.165).

43. Cf. le Jugemens des Savans, Paris, 1730, vol. VIII, ch. LXXXII, p.163 (cité par Fabre 1890 : 44).

44. « Lorsque je présentay l'Académie françoise à la Reine de Suède dans la Bibliothèque du Roy, elle me dit, qu'il étoit surprenant qu'aïant fait la Requête des Dictionnaires, je fusse l'introducteur de ces Messieurs. Je les luy nommois tous à mesure qu'ils l'abordoient... » (Menagiana 1693 : 327 = 1715 : II, 119 ; cf. aussi l'Anti-Baillet).

45. Comme entre Le Fèvre de Saumur et Pellisson son bienfaiteur, Menagiana 1693 : 230-1.

46. Par exemple Costar qui le chargea de porter des exemplaires de sa Défense au neveu de Voiture, Pinchesne, ainsi qu'à Conrart, Menagiana 1693 : 199.

47. Ainsi Balzac, dans son affaire avec Heinsius, lui a demandé de solliciter auprès de Saumaize (Menagiana 1693 : 134), ce que Ménage a eu le courage de faire dans une lettre rendue publique.

48. Menagiana 1693 : 219-20.

49. Pellisson & d'Olivet 1858 : 3867 (Pièces justificatives, XXXIX).

50. Cf. Pellisson & d'Olivet 1858, Fabre 1890, Samfiresco 1902.

51. En dépit de son indéniable sympathie pour un dissident de l'Académie (Furetière en fut exclu en 1685), Ménage ne fut pas un inconditionnel de Furetière.

52. Menagiana 1693 : 39-40, note de Baudelot.