F. Marri, "La place de Le origini della lingua italiana dans l'itinéraire étymologique de Muratori"

Mais il est temps de revenir à nos dissertations, pour un examen plus détaillé. La dissertation XXXII, vrai chef-d'œuvre (« la prima vera opera di filologia romanza comparsa in Europa », selon Carlo Tagliavini) [39] où l'on décrit la naissance de l'italien avec une richesse scientifique jamais connue auparavant, n'aborde pas des sujets proprement étymologiques ; donc, on ne s'étonnera pas si le nom de Ménage est ignoré. Ou mieux, il apparaît une fois, à la colonne 1022 (et le manuscrit original nous montre qu'il s'agit d'une addition tardive, depuis que Muratori avait déjà developpé son raisonnement) [40], où il y a quelques suppositions sur la langue semi-vulgaire du haut Moyen Âge.

Muratori fait mention d'un célèbre épisode de la guerre entre Byzantins et Huns de l'année 579, quand (selon le témoignage de plusieurs historiens, recueilli par beaucoup de spécialistes modernes, comme Du Cange même, s.v. RETORNARE1) l'armée impériale commença à s'enfuir parce que l'un des soldats avait crié « torna, torna, fratre » (c'est-a-dire 'tourne-toi, mon frère') : ce qui prouverait l'existence d'un italien vulgaire au VIe siècle. À ce point, Muratori inséra, sur une petite feuille annexée au manuscrit de la dissertation, l'opinion de Ménage et de Carlo Dati (Origini, 474-5, avec un supplément à 508, Giunta, s.v. AUGELLO) sur l'étymologie de tornare, qui à bon droit était rattaché au latin tornare 'travailler au tour' et 'tourner' ; et commenta : « Neque contemnenda eorum conjectura », en ajoutant toutefois des doutes d'ordre sémantique et plusieurs correspondants d'autres langues européennes, pour éveiller le soupçon que tornare « ex Germanorum veterum propria voce descendisse potuerit ».

Même quand il n'était pas d'accord [41], Muratori s'acquittait du devoir scientifique de citer son prédécesseur autorisé.

Ménage, comme je l'ai anticipé, constitue le premier point de repère muratorien pour la dissertation XXXIII consacrée à l'étymologie ; on peut supposer que le modénais, amoureux déçu, fût obligé de creuser sans pitié dans les fautes ménagiennes pour justifier son ouvrage. Une sorte d'excuse, alors, semble la conclusion de la dissertation (col. 1120), qui sert de préface au second Catalogus :

Nous avons déjà vu les confessions de notre auteur sur sa méfiance progressive envers Ménage, ses raisons, et les doutes du premier catalogue à propos de certaines étymologies : mais il est bon de répéter que le nom et l'ouvrage de l'angevin reviennent à chaque page, systématiquement. Que Ménage soit le plus important parmi les étymologistes sur qui Muratori s'appuyait, on le comprend d'après leur liste dans la première colonne (1083), du moment qu' un espace supérieur à tous les autres lui est dédié :

Et l'on peut saisir la présence de Ménage même là où il n'est pas cité : comme à la col. 1086, quand Muratori discute la provenance du nom du fleuve Po, en apportant les mêmes témoins (de l'ancien nom celtique Bodincus, rattaché à l'allemand boden 'fond') qui se trouvaient déjà dans le pléthorique article PO des Origini 1685, 374-6 [44]. La conclusion est tout à fait différente : Ménage pensait à une origine grecque du mot ; Muratori, plus logiquement, à une source pré-latine, et peut-être que la non-citation eût le but d'épargner une autre réprimande. En effet les pages suivantes sont pleines de critiques : sur l'étymologie de mallo, vanga, gramola, et plus loin sur celles de mastino, imbroglio, frasca, macchia ('maquis'), prugnuolo, garzone etc., que Ménage tirait du latin au prix d'aventureuses échelles, dignes d'un sourire de suffisance [45].

Les fautes les plus graves des Origini étaient (on l'a déjà dit) le nombre trop réduit d'étymologies non latines, et la tendance à se valoir de reconstructions fantomatiques au lieu d'attestations réelles fondées sur les documents. Muratori présente en succession historique les différents langages qui ont déterminé, avant et après le latin, l'état actuel de l'italien, en donnant, bien sûr, sa juste importance au latin vulgaire. Son erreur principale est exactement le contraire de celle de Ménage : chercher les racines des mots inconnus de préférence en dehors du latin, surtout dans les langues « septentrionales » (c'est-à-dire les vieilles langues germaniques).

Ainsi, il semble approuver d'abord le ménagien viridis indiqué avec justesse comme source de verza (1089 ; cf. Origini 105, s.v. BERZA) ; mais ensuite il soupçonne une origine pré-latine ou une parenté avec l'allemand wirz. De même, pour tagliare (1108) Muratori ne se contente pas de l'étymon talea, indiqué à bonne raison par presque tous les chercheurs, et va fouiller la racine dans l'allemand teilen 'partager'.

Vers la fin de la dissertation (1117), il range becco 'bec' parmi les germanismes non reconnus par Ménage ; mais dans le second Catalogus (1152), il se ravisera, rappelant un fameux passage de Suétone qui parle d'un Antonius Beccus de Toulouse : « proinde recte Menagius et alii Celticam vocem Becco appellarunt » [46]. Et la même liste de germanismes de la col. 1117 comprend l'adjectif ricco : c'est un consentement tacite aux Origini, qui décidaient (398) « Dal tedesco rik, che significa la stessa cosa : voce d'origine celtica, e che significò forte, potente ».

Mais, quelquefois, l'insatisfaction de Muratori envers les étymons latins ménagiens est justifiée, comme pour gualcire ('fouler' et 'friper'), « purum putum verbum Teutonicae linguae », bien que « a Calx, Calcis, Calcire frustra hoc verbum traxit Menagius » (col. 1105 ; cf. Origini p.271).

En d'autres cas le modénais, soutenu par ses chartes médiévales, revendique l'antiquité de termes italiens que Ménage déclarait étrangers, comme zappa (colonnes 1109-10), issu du grec selon les Origini (499), tandis que Muratori trouvait sappa et zappare sur des documents latins du haut Moyen Âge.

Et, souvent, les Antiquitates sont plus heureuses dans la découverte des vrais étymons latins. J'ai ci-dessus touché à la raillerie envers des échelles comme celles créées pour macchia 'maquis' ou prugnuolo : aux racines dumus (> *dumaculum, Origini p.302) et fungus (> *fruginulus ; ou bien *potironulus, 388), Muratori oppose, d'après ses paperasses, les plus simples et plus raisonnables macula (1116, et déjà diss. XXI, dans le même tome II de l'éd. 1739, col. 151) et prunus (1117-8).

Une autre simplification, acceptée par les répertoires étymologiques modernes, existe pour l'italien menzogna et le français mensonge (1114), à propos desquels Ménage avait bâti une échelle à sept membres qui descendait de mendacium, tandis que Muratori trouve en Du Cange et dans d'autres sources médiévales l'exact mentio (avec les dérivés mentiosus et mentionarius > it. menzognero) [47].

Une étymologie fort difficile, sur laquelle on discute encore maintenant, mais que Muratori paraît avoir saisie, est celle de bruciare / brûler [48]. Ménage (Origini 130) avait forgé de toutes pièces une échelle partant de pruna > *prunacius ; les Antiquitates (col. 1091) remontent au latin urere, perurere, perussiare / perussulare / perustulare.

Et nous voilà au dictionnaire étymologique muratorien (le second Catalogus), qui n'existerait pas sans les Origini ménagiennes [49], mais qui, selon l'ordre naturel des choses, s'en détache pour se livrer à de nouvelles conjectures [50].

La contenance de Muratori envers les trouvailles de Ménage change suivant les différentes situations. Il faut souligner encore que le Catalogus s'occupe de paroles « quarum origo investigatur », c'est-à-dire d'étymologies débattues, difficiles à résoudre ; il est donc explicable qu'il y ait moins de consentements que de critiques avec Ménage et les autres étymologistes de l'italien (dont l'angevin, répètons-le, est jugé le plus important).

Ménage est plus attaqué là où sa faiblesse est davantage reconnue : l'excès d'échelles latines au lieu d'étymologies non latines. Par exemple, Muratori indique avec justesse (ou à peu près) l'origine germanique de biondo (Ménage 1685, 11 : albidus -- de Guyet, cf. Leroy-Turcan 1991 : 336-7 -- ou blandus) ; greppia, en accord avec Ferrari (que Ménage, 268, citait in extremis, mais en préférant proposer l'absurde praesepe) ; guari (Origini 272 avarius ; voir Ayres-Bennett 1993 : 31, pour quelques incertitudes à propos du français apparenté guère) ; guisa (Or. 274 visa ou divisa) ; spia (contre le grec-latin spicare de Or. 446) ; suppa / zuppa (de sapa ou offa, selon Or. 460 et 503) [51]. Du grec est justement tiré endica, qui en Or. 213 était rattaché au latin emo > *emptica ; et à l'onomatopéique baiare (pour abbaiare) Muratori remonte pour baia 'raillerie', que les Origini, à la p.82, inclinaient à tirer de *verbalia *verbagium, en faisant des commentaires sarcastiques sur Ferrari [52].

Pour d'autres mots Ménage avait entrevu une racine étrangère, mais d'une façon douteuse, ou s'en repentant ensuite : ainsi pour strale, compris par Zehnder (1939 : 52) parmi « les germanismes [...] reconnus comme tels », alors que dans les Origini 1685 : 457 on lit :

Ce que Muratori lui reproche, dès la première rédaction du Catalogus (1739, col. 1311, et déjà ms., c. 31v) :

Suivent les attestations des langues gothique, francique et saxonne (straal, strael etc., « proprie significans sagittam, telum, spiculum, jaculum »), qui prouvent l'origine du mot italien telle qu'on l'admet actuellement.

De même, Zehnder (1939 : 53) place cotone et fondaco parmi les arabismes reconnus : mais en vérité, comme l'observe bien le Catalogus (respectivement, col. 1191 et 1206 ; pour d'ultérieures notices cf. Leroy-Turcan 1991 : 92-3), les Origini au début de leurs lemmes prennent d'Angelo Canini la supposition qu'il s'agit d'arabismes, mais à la fin débusquent les étymons présumés dans le grec-latin cydonion (« dalla similitudine che à la bambagia colla lanugine delle mele cotogne », p.188) et le latin fundus (« e più mi aggrada questa derivazione : anzi la tengo per verissima », p.229). Muratori reste au contraire fidèle à Canini, commentant pour cotone « ludit aut ludere videtur Menagius », et pour fondaco « nugantur, paene dixi, Ferrarius et Menagius » : et sa fidélité est gratifiée par les dictionnaires modernes.

Mais il faut avouer que parfois c'est Muratori qui ne reconnaît pas l'exactitude d'un étymon latin signalé par Ménage, et s'obstine à chercher ailleurs, à l'intérieur ou (pis) à l'extérieur du latin. Ainsi en est-il de avvisare ou gridare [53], au sujet desquels le modénais pense stupidement à des racines allemandes ; mais aussi certaines reconstructions latines de Muratori sont moins heureuses que les ménagiennes : comme scorgere (excorrigere Ménage, scorta < excurritare Muratori) ; ou, surtout, la série déictique coloro, qua, qui, quello, rattachée à des préfixes divers tandis que Ménage avait compris avec justesse l'unicité de sa formation avec eccum [54]. Muratori, enfin, ne voit pas la Giunta à l'article BRONZO (Origini, p.509), où Ménage rappelle le brunus de Du Cange, qui (à travers *brunitia) aurait donné le français bronze ; ce serait plus ou moins la même hypothèse que celle du Catalogus (col. 1169), qui toutefois ne connaît que les « duras etymologias » et les « somniatas scalas » du répertoire principal (p. 129-30 : cyprium, fundere etc.) [55].

En quelques cas d'étymologie douteuse, Muratori restait plus lié à ses principes de prudence : pour lisca, il refusa (col. 1239) le « durum plane etymon » spina des Origini, p.297 [56], en se bornant de supposer une connexion avec le fr. areste et le lombard resca [57]. Et déjà dans le texte de la dissertation XXXIII il avait placé frasca parmi les mots incertains du premier Catalogus (1096), en ajoutant, à la col. 1114 :

(comme viridesco de Ferrari ou ramus de Ménage, Origini 232), mais en publiant un document modénais de l'année 871 où on lit « frascarium ad virgas faciendum » (c'est-à-dire, pour ramasser du petit bois : col. 1115-6) [59].

Quelquefois, la prudence avait inspiré Ménage lui-même, et Muratori l'approuve ; ainsi en est-il pour cimurro, où est répété l'appel de Origini 171 (Catalogus, col. 1185, « Menagium audi ») [60] :

D'autres corrections sont plutôt des améliorations à des conjectures ménagiennes. Pour approcciare les Origini (p.55) avaient heureusement trouvé la première source dans le latin appropiare ; le Catalogus (1131-2) met en relief le français approcher, source directe du mot italien ; mais Muratori se trompe quand il insiste pour proposer approximare comme origine du verbe français.

De banco les Origini (p.88) avaient indiqué, dès le premier moment, la racine germanique banc, sur laquelle le Catalogus (col. 1148) serait justement d'accord ; mais il y a la seconde hypothèse ménagienne (abacus) [61] qui aboutit à la critique de Muratori (duquel vient un autre étymon inacceptable : le latin planca). En ce qui concerne brodo, Ménage (127) signalait le latin tardif brodium ; son erreur était d'en chercher l'origine dans le grec [62], tandis que Muratori (1168-9) y reconnaissait la source « septentrionale » ; de même, les Origini (213) entrevoyaient d'elsa un prédécesseur germanique, en lui préférant, toutefois, un autre hellénisme, refusé par le Catalogus (1198) qui justement rappelle les anciens termes allemands helt, helza, etc.

À propos de rigattiere, les oscillations de nos deux chercheurs sont les mêmes que celles du meilleur représentant de l'étymologie moderne italienne, le DELI : il y a un accord de principe sur le latin barbare (Du Cange) regratarius, que Ménage (399) reconduit à grattare (mot d'origine franque) [63], tandis que Muratori, en accueillant une ancienne suggestion de son ami défunt Benvoglienti (lettre du 12 mai 1724, in Muratori, 1983, p.152-4), pense enfin au latin re-accaptare, pour lequel il se sert aussi du lemme ACCATTARE de Origini 31 [64]. Le DELI donne grattare comme première hypothèse, puis conclut :

Enfin, il y a la dernière catégorie utile à la détermination de l'apport ménagien à l'édifice muratorien : celle du commun accord sur des étymologies aujourd'hui confirmées. Contre toute apparence, et en dépit de certains détails dus au perfectionnisme des deux, elle n'est pas insignifiante.

Ainsi, bien que Muratori ne partage pas l'opinion sur arredo, il ne perd pas l'occasion d'approuver l'indication ménagienne d'une source germanique pour arnese (Origini 61-2, cf. Catalogus 1133) ; et encore, il convient avec Ménage lorsqu'il se rattache à Du Cange [65] pour bargagnare (dont Muratori vise ensuite à chercher la racine primitive), ou reconnaît dans le germanique spulle l'étymon de spola [66].

Sans réserves est le consentement pour stecco (col. 1307 : cf. Origini, p.453) :

Dans l'édition de 1751 la louange s'élève au niveau méthodologique, en poursuivant (p.341) :

Il en est de même à propos de sperone, où la racine germanique (allemand Sporen, anglais spurr[e]) trouvée par Ménage (p.446 ; cf. Catalogus col. 1306, et éd. 1751 p.339) sert au modénais pour repousser à bon droit l'hypothèse latine de son grand adversaire de Vérone, Scipione Maffei.

Maffei, en outre, rattachait giorno à hornus, « quod est hujus anni » : Muratori a beau jeu en répétant l'opinion des étymologistes les plus dignes de foi (col. 1216) :

Enfin (mais il y aurait d'autres exemples) Muratori ne peut que confirmer l'origine arabe de magazzino (Origini 303-4 ; le Catalogus, 1242, renvoie à la dissertation XXVI, dans le même tome II, 1739, col. 525).

Donc, quelques traces pas du tout négligeables du travail de Gilles Ménage, et de l'ancienne foi de Muratori envers l'« oracle du savoir », jalonnent la grand-route de l'étymologie italienne [68].


Notes

39. Le Origini delle lingue neolatine, Bologna, Pàtron, 19696, p.57-8. Pour un résumé de l'opinion des romanistes modernes sur cet ouvrage, voir Marri 1981 : 72-3 et note 5 ; puis, Antonio Sorella, Il progetto linguistico-culturale di L. A. Muratori, Pescara, Trimestre, 1981, chap. IV, p.53-69 ; Claudio Marazzini, introduction à L.A.M., Dell'origine della lingua italiana [= diss. XXXII de l'éd. 1751], Alessandria, Edizioni dell'Orso, 1988, p.9-32 ; et Storia e coscienza della lingua in Italia dall'umanesimo al romanticismo, Torino, Rosenberg & Sellier, 1989, notamment les p.82-7. Et qui était présent, comme le soussigné, au XVIIIe Congrès de la Société Linguistique Romane (Trèves, avril 1986), rappellera l'intervention à surprise d'Eugenio Coseriu à une séance plénière, lorsqu'il compara la dissertation muratorienne aux Orígenes del Español de R. Menendez Pidal.

40. Modène, Biblioteca Estense, Archivio Muratoriano, Filza 23, fasc. 1, carte 8r.

41. Le dissentiment se fit un peu plus évident dans l'édition italienne (1751 : 92) : « Si può dubitare se sia incontrovertibile cotale etimologia ».

42. La traduction de 1751 : 152, rend psephismata avec « patenti verità ».

43. « Illustrò non poco la nostra lingua », complète la traduction (p.115).

44. Cf. aussi Zehnder 1939 : 29.

45. Voir par exemple 1739, col. 1087 pour gramola, de terere (Origini, 266, avec une échelle à neuf membres !) : « Certe quod Menagius ait risum tantummodo moveat. Et movebit sane, si scalam ab eo excogitatam commemorabo » (« la strana scala », précise la traduction de 1751 : 121). Ou la col. 1118 : « Vide etiam quae is tradit ad vocem garzone, quam e verna Latino, nobis stupentibus, et reclamantibus cunctis etymologiae legibus, deducit » (la considération est supprimée en 1751). En vérité, l'étymologie de garzone, présentée avec solennité (« State attenti... »), est une des plus typiques et des plus stupéfiantes des Origini (245-6) : du même verna (*vernulacaius, *vernaculettus, etc.) sont tirés aussi bien l'italien ragazzo que les français laquais (à propos duquel j'ai cité la lettre de Benvoglienti de 1716 ; et cf. aujourd'hui, pour l'évolution de la pensée ménagienne, Ayres-Bennett 1993 : 31-2) et valet ! Déjà Muratori s'était dit frappé par ces échelles dans une note restée aux Archives d'Etat de Modène (cf. Marri 1988 : 192-3, numéro 19) : « Tante genti straniere portavano nuove parole in Italia. V<edi> Garbuglio, che viene dall'inglese, e non dal latino, come vuole il Menagio. V. anche Garzone presso il Menagio, che ridicolosamente parla ». À propos de l'adverbe ridicolosamente (et sans rappeler ici Les précieuses ridicules de Molière, où Ménage fut satirisé sous le nom de Vadius), il faut dire que quiconque se sert de l'épée, périra par l'épée, car Ménage même s'en prévalait, par exemple (Origini 271, s.v. GUADAGNARE) pour se moquer de l'étymologie de gagner avancée par Charles de Bovelles : « gagner [...] la qual voce francese ridicolosamente dal Bovillo vien cavata dalla voce francese gaigne, cioè vagina » ; et il est possible que Muratori ait voulu, au moyen de ses railleries, châtier les intempérances ménagiennes : « Iniquus proinde sit, qui [...] etymologiam certam, aut propiorem vero nactus, praecedentes aliorum conjecturas, dum temeritate careant, rideat atque sugillet » (diss. XXXIII, col. 1120). Mais l'origine de garzone / garçon est encore incertaine (voir Picoche 1985, s.v. : du gallorom. *warkjo ou du gaulois *vassos ?) ; et, quant à garbuglio (qui, selon Ménage, « viene sicurissimo da turba », *turbulium, *ciurbulium, etc. : c'était une étymologie de F. Guyet, comme l'on apprend de Leroy-Turcan 1991 : 301, à propos de brouiller), la même Picoche, s.v. GRABUGE (telle connexion est déjà en Menage) pense à un dérivé de l'italien, qui à son tour serait issu de bollire et de l'onomatopéique gargagliare.

46. Cf. Origini, 97 (et Leroy-Turcan 1991 : 205). L'amendement muratorien avait été conseillé aussi par l'ami Benvoglienti, dont un cahier de notes sur le manuscrit des dissertations (mai 1730) rappelait le passage de Suétone (cf. Marri 1988 : 198-9 et 256-7), qui reviendra encore dans les Antiquitates, diss. XLI, 1740, III, 759.

47. La discussion sur menzogna n'était pas dans la première rédaction (où il y avait celle, analogue, sur frasca), et fut ajoutée sur une feuille rattachée à la carte 9r du manuscrit cité XXIII.1.

48. Voir DELI, s.v. BRUCIARE, qui s'en remet à la monographie de 1975 de H. Kramer où, des trente-cinq explications énumérées, est confirmée celle de Muratori : et encore Picoche 1985, s.v. BRÛLER, de *brustulare ; enfin Leroy-Turcan 1991 : 344.

49. Wolf Dietrich fait une brève comparaison entre les deux procédés étymologiques en « G. Ménage, J. G. Eckhart und L. A. Muratori : zur Entwicklung der etymologischen Forschung im 17. und 18. Jahrhundert », in Im Memoriam Friedrich Diez. Akten des Kolloquium zur Wissenschaftsgeschichte der Romanistik (Trèves, 1975), Amsterdam, Benjamins, 1976, p.77-100. À ce propos je remercie Maria Gesina Lieber qui m'a procuré une copie de cette rare publication.

50. En introduisant ce second Catalogus, dans le dernier alinéa de la dissertation XXXIII, avant la phrase ci-dessus citée sur Ménage trop enclin à présenter comme sûres ses hypothèses hazardées (voir aussi la note 42), Muratori insiste sur le principe que « etymologiarum studium appellari posse Artem conjectandi » et « minime expetendam esse ubique certam rerum notionem ».

51. S.v. SUPPA, en Origini 1685 est imprimé otta, mais il s'agit d'une coquille, vu que s.v. ZUPPA nous retrouvons encore offa. À la fin des deux lemmes, Ménage ajoute, sans l'approuver, l'étymologie de Ferrari, de l'allemand Supp, plus tard reprise par Muratori (qui s'appuyait cependant sur l'anglais G. Hickes) dans la dissertation XXV, 1739, tome II, col. 428-9 (auxquelles renvoie le Catalogus).

52. Cf. Zehnder 1939 : 78. Le rattachement à abbaiare avait été proposé par Benvoglienti, mais Muratori n'en fut jamais complètement persuadé : le lemme de l'éd. 1751, p.173, finit avec : « Non pare che da baiare, abbaiare si possa trarre questo vocabolo » (cf. Marri 1988 : 262-3).

53. Le quiritare ménagien est rejeté quoiqu'il fût bien connu par Muratori, qui l'avait cité, d'après Varron, dans la dissertation XXXIII, 1739, col. 1012.

54. « Ce que Ménage savait sur les pronoms et adverbes renforcés par eccu, est vraiment digne d'être retenu » : Zehnder 1939 : 63.

55. Mais l'étymologie de bronzo est encore en suspens : aux considérations de DELI il faut ajouter l'intervention de Mario Alinei (RLR 53, 1989, 2, p.443-51) en faveur de aes brundisium. Le latin-grec bronteum (< Bronte), de nouveau proposé par H. et R. Kahane (RPh 21, 1967-8, p.506-7), fut suggéré à Muratori, sans succès, par G. Pecci et U. Benvoglienti (voir Marri 1988 : 252-3). Pour un résumé de la question à propos de bronze dans les Origines françaises, cf. Leroy-Turcan 1991 : 300-1.

56. Dans les Origines françaises de 1694 aussi : cf. Leroy-Turcan 1993 : 222, n.59.

57. DEI pense que l'italien lisca vient du latin arista (qui a sûrement produit l'a. fr. areste, it. resta : cf. aussi Picoche 1985, s.v. ARÊTE), croisé avec le latin tardif lisca (d'origine germanique, précise DELI).

58. La traduction italienne est plus simple (1751 : 150) : « Io per me confesso di non saper l'origine di questo vocabolo ». Mais dans les lignes précédentes Muratori avait accentué la polémique envers Ménage, dont l'échelle était commentée en 1739 : « Perperam haec fuisse excogitata, meraque esse somnia, lector bene vigilans vel me tacente dignoscet » ; et en 1751 elle fut définie sarcastiquement « maravigliosa discendenza » devant laquelle « difficilmente si trattiene il riso ».

59. On discute encore sur frasca : DELI suppose que ce terme est pré-indo-européen.

60. Encore plus favorable est le commentaire des Dissertazioni 1751, p.213 : « Il Menagio onoratamente scrive : Non so » etc. Muratori ajoutait deux hypothèses, l'une arabe et l'autre des « peuples septentrionaux » ; DELI se limite à reconduire le mot italien à l'a. fr. chamoire « di origine incerta » (que DEI voudrait rattacher au lat. camoria, grec chamórroia 'flux vers terre').

61. Que Ménage lisait en Vossius (cf. la communication de D. Droixhe). Cette étymologie est ignorée par Zehnder 1939, qui à la page 50 comprend banco et elsa (dont nous traiterons plus bas) parmi les germanismes reconnus (voir ici note 27). Sur les français banquet et banque, tirés de l'italien, l'on peut lire Leroy-Turcan 1991 : 199 et 242.

62. Comme pour le fr. brouet dans les Origines (cf. Leroy-Turcan 1991 : 272-3).

63. Cf. Zehnder 1939 : 56.

64. Qui, en vérité, ne montre aucun rapport avec le mot rigattiere qui le suit.

65. Qui reste, cependant, la seule autorité à laquelle se réfèrent les Dissertazioni 1751, p.177. À propos du français barguigner dans les Origines cf. Leroy-Turcan 1991 : 324.

66. Origini, 449 ; le Catalogus, à vrai dire, s'occupe de spola accidentellement, à l'intérieur du lemme pania (col. 1258, dans une digression que les Dissertazioni 1751, p.290-1, ôteront), et omet le nom de Ménage, même si Muratori propose une étymologie substantiellement identique (Spule).

67. Les Origini 1685, p.259, renvoient soit au lemme jour des Origines françaises, soit au consentement de Francesco Redi.

68. En atteignant la fin de mon travail, je remercie le collègue et ami bolonais Corrado Rosso qui en a révisé savamment la forme française.