Actes des Journées "Dictionnaires électroniques des XVIe-XVIIe s.",
Clermont-Ferrand, 14-15 juin 1996
M.-L. Demonet, "Pour une édition électronique de la Briefve Declaration de Rabelais"

2. Les différents états du texte

Ne seront présentées que les éditions parues du vivant de l'auteur, en 1552 et 1553. L'intérêt d'une polyédition qui donne différentes versions du texte dont les variantes sont principalement graphiques est justifié par l'importance de l'établissement du texte pour une attribution mise en doute par les uns (Raymond Arveiller, André Tournon, Gérard Defaux) et soutenue par d'autres (Mireille Huchon, Claude Gaignebet). Les incohérences graphiques relevées entre les exemplaires laissent perplexe sur le soin que Rabelais aurait pu apporter à l'une ou l'autre édition. La variante mythologie/mitologie (BD1/ BD2/ BD3) est significative si l'on veut établir la réalité d'une adhésion de Rabelais à une étymologie antiquisante, surtout pour un tel mot, qui est à la fois la cornice de la Briefve Declaration et du prologue du Quart Livre[3]. Les différents états seront proposés à l'identique (format, police, style) à l'exception des abréviations qui seront résolues.

Nous n'avons pas encore terminé la collation de tous les exemplaires des éditions de 1552-1553. Il apparaît déjà que les cinq exemplaires consultés présentent des différences de graphie. Il faudrait donc parler d'"états" et non d'éditions. Cette collation devrait permettre d'établir la filiation des exemplaires de la Briefve Declaration, différente selon toute vraisemblance de ce qui a pu être établi pour le Quart Livre, ce qui confirme à la fois le lien entre le roman et le lexique, et la relative indépendance de ce dernier qui dénonce la liberté du genre lexicographique par rapport à l'usage[4].

Lors de notre présentation orale, nous avions proposé de voir trois états du texte:

  1. un état mythologies/ homes (Paris, Fezandat 1552, Rothschild et British Museum), mais il existe quelques différences entre les deux exemplaires consultés. = BD1
  2. un état mitologies/ homes (Lyon, Aleman 1552, Harvard, Arsenal), avec également des différences entre les deux exemplaires. = BD2
  3. un état mitologies/ hommes (sl 1553, BN Paris et Bibliothèque de Lyon), avec des différences plus importantes. = BD3
Mais les comparaisons effectuées depuis obligeraient à en distinguer d'autres, et de nouvelles vérifications sont nécessaires. Si l'on néglige les différences entre les deux formes de 1) -- et il n'est pas sûr que cela soit souhaitable --, et si l'on dédouble 2) et 3), on aboutit déjà à cinq états, en attendant la collation des exemplaires non encore vérifiés et moins accessibles (Musée Condé, Yale et Bodmeriana notamment).

Outre les disparités de graphie, qui montrent que celui qui a établi le texte de la Briefve Declaration ne respecte guère la littéralité du texte romanesque, nous avons pu constater deux importantes anomalies. La première concerne les numéros des pages ou des feuillets auxquels renvoie la Briefve Declaration: à peu près justes dans le premier état (Rothschild/ British Museum), ils peuvent ensuite indiquer une pagination complètement différente de celle du roman, ou renvoyer à des numéros de feuillet inexacts, alors même qu'il s'agit de pages. La deuxième anomalie rend encore plus circonspect: entre Musaphiz et microcosme, la Briefve Declaration ne suit pas l'ordre du prologue[5]. L'enchaînement logique n'est rétabli qu'après l553, c'est-à-dire probablement après la mort de l'auteur. Cette perturbation pourrait être expliquée par le remaniement du prologue entre la première édition Fezandat (janvier 1552) et la deuxième (mars 1552), révélé par un carton dans l'exemplaire de l'Arsenal[6]. Or le passage retouché en fonction d'événements politiques récents correspond aux mots déplacés dans le lexique. Aucun des éditeurs actuels de Rabelais ne s'est à notre connaissance préoccupé de cette incohérence qui attire l'attention sur le lien étroit entre le lexique, la biographie et l'Histoire. Une édition électronique devra résoudre le problème de la présentation de ces différences.

Il faudrait également donner les liens avec les états successifs du Quart Livre, l'examen comparatif faisant apparaître que jamais aucun exemplaire de la Briefve Declaration ne reproduit exactement les graphies des mots traités telles qu'elles apparaissent dans l'édition correspondante du roman. Certes, le taux de variation ne doit pas excéder celui que Mireille Huchon a constaté à l'intérieur d'un état particulier. Mais certaines graphies, comme la phonétique mitologie, se trouvant dans les dictionnaires de l'époque, l'argument graphique peut renforcer également la thèse de l'emprunt direct à ces dictionnaires. L'utilisateur pourra juger à partir des différences offertes au regard.

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Notes

3. Pour l'importance des graphies et leur analyse statistique, voir Huchon 1981.

4. Pour la description précise des éditions, voir Huchon 1981 et Screech & Rawles 1987.

5. L'ordre des mots dans le prologue est le suivant: Musaphiz - soloecisme - cahin caha - vertuz de Styx - periode - aberkeids - categorique - nectar - Olympe - metamorphose - figure trigone equilaterale - philautie - mer Tyrrhene - Apennin - tragedies - pastophores - Cyclopes - dodrental - tubilustre - Olympiades - an intercalare - microcosme. Comparer avec l'ordre suivi par la Briefve Declaration: Musaphiz - cahu caha - vertus de Styx - categoricque - soloecisme - periode - aber keids - nectar - metamorphose - figure trigone aequilaterale - Cyclopes - tubilustre - Olympiades - an intercalare - philautie - Olympe - Mer Tyrrhene - Appennin - tragoedies - pastophores - dodrental - microcosme.

6. Voir Huchon 1981: 63 et suiv., Screech & Rawles 1987: 243-4.