Actes des Journées "Dictionnaires électroniques des XVIe-XVIIe s.", Clermont-Ferrand, 14-15 juin 1996 | I. Leroy-Turcan, "Intérêt d'une base informatisée pour le Dictionnaire Etymologique ou Origines de la Langue Françoise, 1694, de Gilles Ménage: les modalités de mise en oeuvre" |
3.1.2. Nous devons cependant introduire pour le DEOLF des éléments de commentaires hypertextuels qui sont particuliers à cette oeuvre, et donc présenter des documents spécifiques.
En vertu de l'économie même du DEOLF, dictionnaire étymologique qui, en outre, assure parfois les fonctions d'un dictionnaire de langue, parfois celles de dictionnaires spécialisés, qu'il s'agisse des parlers dialectaux ou de vocabulaires techniques, parfois même encore celles d'un ouvrage encyclopédique, nous retiendrons pour l'hypertexte au moins trois grands thèmes[41]: un hypertexte linguistique (3.2.) centré sur le DEOLF lui-même, associant diachronie (3.2.1.) et synchronie dans les deux perspectives inter- et intra- textuelles (3.2.2.), et ouvrant sur les sources et la bibliothèque de Ménage (3.2.3.), un hypertexte dictionnairique (3.3.) intertextuel inscrivant le DEOLF dans la série des grands dictionnaires de la fin du XVIIe siècle et dans les discussions des grammairiens sur la langue française, un hypertexte plus culturel (3.4.) ouvert sur le rayonnement de l'oeuvre linguistique de Ménage en Europe.
3.2. L'hypertexte linguistique a pour objectif d'enrichir la consultation du DEOLF, étudié dans son identité: le dictionnaire et son objet, l'étymologie et la langue française; cela implique d'apprécier ses deux dimensions associant diachronie et synchronie, dans sa composante principale de dictionnaire étymologique et dans ses autres composantes de dictionnaire de langue et de dialectologie. L'hypertexte associé à l'identité de l'ouvrage conduit à introduire la dimension historique de sa genèse, de sa rédaction, de son écriture, avec les documents concernant les sources.
3.2.1. Pour la diachronie, nous distinguerons au moins deux aspects: la diachronie inscrite dans l'étymologie comparée des langues romanes conduisant à l'étymologie comparée des langues européennes et la diachronie propre au français menant de l'ancien français au français du XVIIe siècle.
3.2.1.1. L'hypertexte étymologique pourra établir des ponts, non seulement entre les différents travaux de Ménage sur l'étymologie en français et en italien, tout particulièrement pour le Français entre ses Origines de la langue françoise (1650) (=OrLF) et le DEOLF (1694), sans négliger les documents manuscrits dont l'analyse est capitale pour l'appréciation de la conscience linguistique de notre auteur, pour l'italien les Origini della lingua italiana (1669 et 1685), mais aussi avec d'autres travaux comme les commentaires sur auteurs littéraires où Ménage introduit un discours étymologique, que celui-ci corrige des travaux publiés antérieurement ou au contraire prépare la publication de textes ultérieurs. Nous avons déjà montré le rôle de ses Observations sur la poésie de Malherbe (1666) et de ses Observations sur la langue françoise (1672 et surtout 1675-6) (=ObLF) pour l'enrichissement des OrLF en vue de la publication du DEOLF; il en est de même pour les publications concernant la langue et la littérature italiennes[42]; dans un second temps, il faudrait introduire des textes du Vocabulario della Crusca qui ont influencé Ménage dans sa recherche étymologique ou des extraits de la correspondance italienne de Ménage relative à l'étymologie. De fait, il faut enrichir l'hypertexte en introduisant des extraits de textes sources étymologiques utilisés par Ménage. Par exemple, la base Estienne-Nicot réalisée par T.R. Wooldridge à Toronto, permet d'avoir accès à tous les articles du DEOLF dans lesquels Ménage cite Robert Estienne ou Jean Nicot pour une étymologie latine ou des définitions, mais elle permet aussi de vérifier des cas de sources cachées lorsque Ménage utilise Nicot sans donner sa référence. Il faudrait donc donner, au moins des exemples, dans un premier temps, concernant les principaux auteurs cités pour l'étymologie romane[43].
3.2.1.2. Pour le domaine de l'étymologie au sein du français, nous distinguerons encore deux domaines, selon l'épaisseur des périodes appréhendées: la diachronie propre au français est appréciable, non seulement pour toutes les références aux textes médiévaux et aux formules juridiques anciennes, quelles qu'en soient les exploitations linguistiques faites par Ménage, mais aussi pour les références aux textes du moyen-français et de la renaissance; d'autre part, nous avons déjà eu l'occasion d'introduire la notion de synchronie épaisse à propos de l'utilisation que fait Ménage des formes dialectales, indépendamment de sa réfléxion sur les usages concurrents, dans la dialectique opposant l'Usage et les usages concomitants[44].
3.2.1.3. La dialectologie dans le DEOLF constitue elle-même un aspect important de l'hypertexte situé aux frontières entre diachronie et synchronie: rappelons ici que l'introduction de régionalismes en si grand nombre dans un dictionnaire concernant l'histoire du français est une particularité de l'oeuvre de Ménage[45] et que le DEOLF entièrement informatisé permettra d'extraire un dictionnaire des parlers dialectaux en France au XVIIe siècle[46]; de fait, un premier objectif consiste à marquer pour les repérer plus aisément toutes les formes dialectales, puis à les analyser en fonction de la conscience linguistique de Ménage, avant de retrouver la logique plus large du fonctionnement des parlers du terroir encore vivants et parallèles au français normé -- bilinguisme, intercompréhension -- entre Paris et les Provinces.
3.2.2. La synchronie: dans une rubrique plus particulièrement orientée sur la synchronie de l'usage du français dans la seconde moitié du XVIIe siècle, figureront tous les textes susceptibles d'illustrer ou d'expliquer les choix linguistiques de Ménage dans la continuité de Vaugelas ou par opposition à lui, qu'il s'agisse de réflexion théoriques ou de textes illustrant différentes pratiques dans des synchronies plus ou moins épaisses (cf. dans la base Académie, la distinction entre la base de textes critiques et celle de textes littéraires contemporains); nos documents principaux seront bien sûr les ObLF, les Remarques de Vaugelas, les Doutes de Bouhours et les Notes de Thomas Corneille sur les Remarques de Vaugelas dont nous avons déjà souligné l'intérêt (reconnaissance de la conscience linguistique de Ménage par ses contemporains)[47]: ce que nous avons fait à partir de l'échantillon thématique saisi par C. Grosse sur le vocabulaire de la Mort dans le Dictionnaire de l'Académie en introduisant des extraits de Streicher sera enrichi et ciblé sur Ménage (exemples prochainement installés sur notre site). Des liens entre l'hypertexte de la première édition du Dictionnaire de l'Académie française et celui du DEOLF seront évidemment marqués.
3.2.3. Les sources et la bibliothèque de Ménage: la question des sources de Ménage pour son oeuvre philologique, sujet d'une ampleur démesurée, a déjà été évoquée à maintes reprises[48], mais nous n'avons pas encore eu le loisir de pouvoir la traiter de façon exhaustive. La version informatisée du DEOLF nous offrira l'outil capable de recenser de façon absolue toutes les références nécessaires et c'est alors que nous pourrons enrichir l'hypertexte d'une base textuelle associée nourrie des principaux textes de référence. Déjà, grâce aux travaux de T.R. Wooldridge sur les sources de Nicot, plusieurs textes sont disponibles, ce qui permet de donner des échantillons; et notamment de formuler des hypothèses sur les sources cachées[49]. Nous compléterons ces documents par le catalogue de la bibliothèque de Ménage dont nous préparons la publication: ce catalogue, qui est actuellement conservé à la B.N. dans les manuscrits latins, est un outil essentiel pour vérifier quels textes Ménage avait constamment à sa disposition, plus de deux mille titres, et dans quelles éditions il les possédait (originaux, contrefaçons, rééditions).
3.3. L'hypertexte dictionnairique associera plusieurs bases de dictionnaires réalisées ou bases échantillons pour les dictionnaires en cours d'informatisation: il s'agira de mettre en lumière, non seulement les composantes de la concurrence entre les grands dictionnaires de la seconde partie du XVIIe siècle et les influences réciproques de ces dictionnaires, mais surtout de vérifier les variantes et recoupements textuels en les inscrivant dans une problématique linguistique, en vertu de la conception du discours propre au dictionnaire de langue, que cette conception soit affirmée ou implicite. Ainsi seront illustrées, par exemple, la rivalité entre Ménage et l'Académie et la situation ambiguë de Ménage par rapport à Furetière ou à Thomas Corneille. D'autre part, dans une perspective d'analyse de discours, peuvent être appréhendés les différents publics auxquels s'adressent les dictionnaires, les critiques formulées par les premiers lecteurs, la rivalité ou la complémentarité entre dictionnaire et grammaire ou textes de "notes et remarques sur...", et, au-delà, le rayonnement de ces ouvrages en Europe, leur diffusion sur le marché du livre, leur présence dans les grandes bibliothèques, ce qui nous conduit à l'ouverture culturelle et socio-culturelle.
3.4. L'hypertexte culturel ne saurait être une base fourre-tout mais peut s'organiser selon plusieurs grandes thématiques: le dictionnaire, clé de voûte d'une oeuvre qui n'est pas uniquement linguistique ou bien le dictionnaire, aboutissement de l'oeuvre linguistique d'un auteur; le dictionnaire, reflets d'une oeuvre, d'une culture et d'une époque, lieu de discours pluriels marqués ou non marqués; peuvent figurer ici, outre des extraits de la correspondance latine, française et italienne de Ménage, des textes relatifs à sa vie, à ses échanges avec les savants européens; par exemple, des extraits du Menagiana et de l'Anti-Menagiana, peuvent être du plus haut intérêt pour comprendre certaines polémiques dont on trouve des échos dans le DEOLF. Enfin, dans une perspective historique plus large et ouverte sur la destinée du DEOLF, l'hypertexte pourra comporter un chapitre sur les critiques formulées aux siècles suivants par diverses personnalités littéraires et scientifiques comme Turgot, Voltaire, Féraud, Nodier, Littré, Diez, Meier, etc.
Si le dictionnaire est parfois considéré lui-même comme un monde que l'informatique aide à mieux apprécier et comprendre, il faut reconnaître que la dimension hypertextuelle de bases associées aux bases dictionnairiques ouvre les portes d'autres univers dont la richesse est indissociable des lectures plurielles menées par les consultants des bases.
[Suite] -- [Retour à la Table des matières]
Notes
41. Rappelons, que le propre de l'hypertexte est d'être
dynamique et ouvert: les lignes qui suivent sont
présentées à titre de proposition, des
échantillons seront prochainement accessibles sur le site
Ménage d'Internet.
43. Nous pensons, par exemple, à Du Cange et à
Vossius; pour l'étymologie européene, il faudrait
introduire notamment des extraits des oeuvres de Pontanus, de
Becanus, de Cambden, etc.
44. Cf. Leroy-Turcan 1991, 1993b, 1995b.
45. Certes, Jean Nicot a été à ce titre un
précurseur, mais la fréquence de ces formes est bien
moindre dans le Thresor de 1606 et l'exploitation
linguistique n'est pas comparable: Ménage affirme par ce
biais que les formes dialectales sont une composante essentielle du
français du XVIIe siècle.
46. Projet éditoral en préparation avec la
collaboration de Brigitte Horiot du CNRS.
48. Notamment à propos de notre étude sur les
phytonymes (Leroy-Turcan 1995b) et plus récemment dans notre
contribution aux Mélanges Höfler (Leroy-Turcan à
paraître).
49. Cf., sur ce sujet, Wooldridge 1995.