Actes des Journées "Dictionnaires électroniques des XVIe-XVIIe s.",
Clermont-Ferrand, 14-15 juin 1996
I. Leroy-Turcan, "Intérêt d'une base informatisée pour le Dictionnaire Etymologique ou Origines de la Langue Françoise, 1694, de Gilles Ménage: les modalités de mise en oeuvre"

4. Bref commentaire des annexes

4.1. Commentaire de l'Annexe 1: "Cadre élémentaire de la préparation des fiches informatisées".

4.1.1. Choix de codes: un choix tout à fait personnel avec comme principe d'aide l'utilisation d'abbréviations facilitant la mémorisation des codes.

Neutralité linguistique du signe $: le choix de ce signe nous a été suggéré par T.R.Wooldridge; ce signe présente l'avantage de n'être pas utilisé dans la langue française des dictionnaires anciens, ce qui permet de l'utiliser comme élément introducteur de balise ou de code.

4.1.2. Organisation de l'encodage: nous avons d'abord choisi de respecter l'ordre des informations en fonction de l'économie du texte de chaque article. Chaque information nouvelle est codée. Chaque code se trouve en début de ligne; les alinéas que nous introduisons par ce biais pour que chaque code visualisé soit systématiquement en début de ligne sur l'écran de l'ordinateur ou sur une version imprimée, ne sont pas linguistiques. Les alinéas qui sont le fait de Ménage lui-même bénéficient d'un code souvent associé à celui de sous-vedette ou d'ajout.

4.1.3. Les marques systématiques: toute nouvelle information est codée, mais, lorsqu'une même information implique deux valeurs, correspond à deux ou trois fonctionnements linguistiques, nous avons choisi, au moins dans un premier temps, d'associer deux ou trois codes en les séparant simplement par une barre oblique: ces séquences indiquent donc la pluralité de lectures, d'analyses d'une même phrase. Tel est par exemple le cas des étymologies définitoires ou des définitions étymologisantes, des traductions qui correspondent à la fois à un étymon et à une définition, etc.

4.1.4. L'utilisation plus souple de codes au gré du texte saisi: la liste des codes reste évidemment tout à fait ouverte et malléable. Ainsi, Catherine Verdin, qui a travaillé sur le vocabulaire de la danse dans le DEOLF, a d'abord utilisé le système de base tel que je l'ai proposé en 1994 puis enrichi, puis elle l'a modifié et enrichi en fonction de son corpus.

4.1.5. Lecture objective et subjectivité de l'interprétation: si certains codes sont liés indiscutablement à une lecture objective du texte, il est indéniable que bien d'autres s'inscrivent dans le vaste monde de l'analyse textuelle et de l'interprétation. L'avantage de la base hypertextuelle associée est de permettre d'établir des liens chaque fois qu'une démonstration de l'encodage paraît s'imposer.

4.2. Commentaire des Annexes 2 et 3

4.2.1. Commentaire de l'Annexe 2: comment rendre compte d'une synchronie délicate à apprécier? le lecteur moderne se trouve dans l'obligation d'analyser l'implicite du texte de l'article consulté en fonction de sa cohérence interne propre, elle-même inscrite dans la plus vaste cohérence intratextuelle du dictionnaire. Le rôle du spécialiste qui a la reponsabilité de créer les bases est d'aider toute consultation.

4.2.2. Nous en sommes restée jusqu'à présent à la synchronie figée du texte de 1694; or, nous savons qu'elle repose sur plusieurs états antérieurs de recherches dont nous conservons des traces manuscrites et des travaux publiés. Nous avons déjà eu plusieurs fois l'occasion de montrer l'intérêt d'une étude comparée de la première édition des Origines de la langue françoise (= OrLF, 1650), des Observations sur la langue Françoise (= ObLF, 1572 et 1675-6) et du DEOLF, résultat des travaux progressivement enrichis; nous avons aussi démontré l'apport essentiel des notes manuscrites que Ménage et plusieurs de ses contemporains ont portées sur un exemplaire des OrLF consultable à la BN (Rés. X. 923).

L'appréciation linguistique de l'épaisseur textuelle du DEOLF passe par la prise en compte de ce qui s'inscrit dans la dynamique de genèse du texte. Encodage fin pour une base analytique et base hypertextuelle associée permettent, par leur complémentarité, de mieux répondre aux exigences de consultations assistées par ordinateur.

4.3. Commentaire de l'Annexe 3: un exemple, la première page de saisie analytique du vocabulaire des végétaux dans Ménage[50].

Certes, le texte en soi est intéressant, mais combien plus à travers lui, les différentes étapes de la conscience linguistique de l'auteur! Au nom de quel critère admettre la possibilité de déraciner un texte de son histoire propre quand on veut étudier l'histoire des théories et des pratiques qui, grâce aux réflexions des érudits, des savants, grammairiens et lexicographes, lui ont donné naissance? L'expérience menée sur le lexique thématique des végétaux nous paraît suffisamment concluante pour nous encourager à mener d'autres études selon les mêmes modalités.

5. Conclusion

Tout lecteur de dictionnaires anciens mesurera les dangers d'une informatisation non contrôlée par rapport à l'implicite du discours dictionnairique[51]. On comprendra donc mieux la nécessité de respecter une hiérarchie des niveaux d'encodage en relation avec la multiplicité des fonctionnements du DEOLF et la polyvalence des informations, le tout s'inscrivant dans l'absence d'unité de composition.

Cela nous conduit à proposer des modalités de lecture, à guider l'utilisateur, à orienter le consultant dans l'interprétation (les interprétations) textuelle(s) du dictionnaire, lieu de discours réel qui implique la dimension d'une logique interne du Non-dit: c'est bien cet aspect qui détermine le spécialiste à faciliter l'accès aux textes à tout consultant, notamment avec la mise en oeuvre des listes de séquences-clés métalinguistiques. L'article du dictionnaire ancien, univers d'écriture extrêmement ouvert, exige une lecture souple, une analyse textuelle fine allant jusqu'à l'étude stylistique.

L'informatisation d'un dictionnaire ancien ne saurait donc se limiter à une "photographie" réductrice: tout utilisateur averti des bases dictionnairiques en est désormais convaincu et les mises en oeuvres de bases hypertextuelles lieux de discours pluriels en sont la preuve vivante et dynamique. La base Ménage/DEOLF, associée à la base Académie 1694, en sera, nous le souhaitons, un exemple suffisamment significatif pour encourager d'autres projets.

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Notes

50. Précisons que cela implique de créer une base Ménage-végétaux représentative de l'ensemble de ce domaine dans l'oeuvre lexicographique de Ménage (cf. Leroy-Turcan 1995b et notre travail à paraître sur l'Historia Botanica de Ménage).

51. Cf. l'exemple du DEOLF révélateur des marques grammaticales, des constructions syntaxiques; cf. encore les valeurs stylistiques de l'imparfait ou de l'emploi de on.