Avant de décrire les pôles du développement du web au sein de l’ENS littéraire, il convient de souligner un amusant paradoxe: quelle que soit leur discipline, les personnes qui s’engageaient dans une réflexion sur les pratiques éditoriales universitaires disposaient des ressources pour impulser un travail de publication —ou savaient où les trouver. Mais, dans le domaine des sciences humaines, la situation semblait verrouillée car aucune n’avait la légitimité lui permettant de réaliser un tel travail dans un cadre scientifique, ou même d’en faire état 1. En effet, les personnes étiquettés sciences humaines étaient élèves, documentalistes, sinon plus enseignants que chercheurs et n’avaient pas accès à la publication scientifique. Quant aux informaticiens, on attendait d’eux qu’ils publient dans les revues de leur discipline et non qu’ils s’approprient des débats qui a priori ne les concernaient pas.
À l’opposé, les professeurs patentés de l’École littéraire affichaient sans complexe leur pouvoir, en narrant pas le menu les affres de la création quand ils travaillaient à un livre, puis en se « faisant voir » dans les journaux, radios, voire télévisions une fois l’ouvrage publié. En revanche, l’idée d’une publication sur le web ne les effleurait pas, les bénéfices leur paraissant nuls. Bien sûr, ils mettaient en avant l’absence de validité scientifique de tels projets pour éviter d’y participer.
Cette notion de « légitimité », jamais explicitée, tout comme l’absence d’invitations à publier, pouvaient donner l’impression que l’édition, même savante, avait dans le domaine des sciences humaines des codes secrets qui ne pouvaient être dévoilés qu’au terme d’une initiation particulièrement complexe, voire douloureuse. Le pouvoir de l’imprimé semblait aussi inaccessible qu’occulte 2.