Les potentialités de l’édition électronique renvoient une fois de plus à un savoir-faire qui n’est pas toujours à la portée de tous. Nous rappelons ici les trois temps de l’évolution de la publication chez les auteurs des deux enquêtes. Ce point a surtout un intérêt historique, dans la mesure où se multiplient les logiciels « clé en main » d’édition de revues savantes électroniques, et dans la mesure où l’on va peut-être, dans les prochaines années, assister à des spécialisations professionnelles comme celles que l’on rencontre dans l’imprimé. D’autres lectures de l’évolution des sites web peuvent être faites, mais celle-ci met en évidence le lien entre développement technique et questionnements sur les pratiques de recherche.
D’autre part, ces possibilités d’indexation totale —longtemps dévalorisées par les littéraires, et qui, avec le développement des moteurs de recherche, connaissent un grand succès dans le monde industriel— remettent en cause les notions d’index traditionnels: tout mot est potentiellement indexé, et toute forme d’index est envisageable (ce qui incite à en multiplier les types). A ce sujet, nous ne pouvons résister au plaisir de citer Gérard Genette quand il présente son index des noms 14: « Avec le lot habituel d’erreurs et d’omissions, cet index renvoie aux occurrences effectives des noms d’auteurs et à leurs occurrences implicites par mentions de titres. Un peu plus utile aurait été un index des titres (parfois plusieurs par œuvre) avec indication des noms (même remarque) et des dates (idem), mais on m’assure qu’il aurait été plus long que le livre. Tel qu’il est, comme de la plupart, sa véritable fonction est d’éviter à l’auteur la marque infamante: no index. ». On assiste alors à une première rupture avec tout un lot de pratiques imposée à l’auteur.
À ce stade d’« offre de services », les responsables du site prennent conscience des avantages de la publication électronique, notamment en termes de coût. Le serveur finit par être un outil qui centralise les travaux d’un groupe de chercheurs, et à cette publication sont souvent associés d’autres outils de communication: lettre d’information ou forum (liste de discussion) en sont les exemples les plus connus. Ainsi, la publication proprement dite se complète par la mise en place d’un réseau 15 ouvert ou semi-fermé 16. C’est aussi le moment où les auteurs mesurent l’audience des pages et dossiers (avec les fichiers access_log).
Cette phase est aussi celle d’une découverte, plus douloureuse: la constitution d’un réseau social de chercheurs nécessite des mises à jour fréquentes (annonce du prochain séminaire, publication de nouveaux documents, mais aussi vérification de la permanence des liens proposés). Ainsi, l’activité de gestion prend de plus en plus d’importance et renvoie à une organisation de plus en plus automatisable du serveur, tout en imposant de multiples vérifications manuelles. C’est à ce moment que le site trouve les moyens humains et financiers pour survivre, ou meurt.
Ainsi, un site web élaboré conteste les formes d’organisation de la publication aux marges du texte noble: en bousculant la notion d’index, si utile mais si fastidieux à réaliser, en transformant le rapport au texte, traduit comme une vulgaire base de données, en faisant de même pour la bibliographie, en rapprochant le document érudit de la somme des outils et méthodes si rarement enseignés qui en ont facilité la conception. L’internet met en valeur de nouvelles possibilités techniques, proprement informatiques, qui réhabilitent les aspects obscurs, non-dits, de la production scientifique que sont les outils et méthodes.