NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - 1993-2003

Le Livre 010101 (2003)
Tome 2 (1998-2003)
Conclusion

Si le ralentissement de la nouvelle économie observé depuis la fin 2000 affecte l’industrie du livre, le développement du livre numérique ne semble pas subir de contre-coup majeur. Le tout est de ne pas le limiter à son aspect commercial, et de cesser de l’opposer au livre imprimé pour le considérer plutôt comme un mode de diffusion complémentaire. Le livre numérique est encore dans l’enfance, et de nombreuses questions restent posées quant à sa présentation, sa distribution et ses supports de lecture.

Le rôle de l’internet

L’internet est devenu le principal véhicule de l’information, que celle-ci transite par le courrier électronique, les listes de diffusion, les forums de discussion, la presse électronique, les sites web, etc. Sous-ensemble de l’internet, le web doit rester cet outil de communication et de diffusion créé en 1990 pour favoriser les échanges au niveau personnel, local et global, en dépit des pressions exercées par les multinationales et autres canaux dirigistes pour contrôler cette information.

Lucie de Boutiny, romancière multimédia, écrit en juin 2000: "Des stratégies utopistes avaient été mises en place mais je crains qu’internet ne soit plus aux mains d’internautes comme c’était le cas. L’intelligence collective virtuelle pourtant se défend bien dans divers forums ou listes de discussions, et ça, à défaut d’être souvent efficace, c’est beau. Dans l’utopie originelle, on aurait aimé profiter de ce nouveau média, notamment de communication, pour sortir de cette tarte à la crème qu’on se reçoit chaque jour, merci à la société du spectacle, et ne pas répéter les erreurs de la télévision qui n’est, du point de vue de l’art, jamais devenue un média de création ambitieux."

Xavier Malbreil, auteur hypermédia, est plus optimiste. "Concernant l’avenir de l’internet, je le crois illimité, explique-t-il en mars 2001. Il ne faut pas confondre les gamelles que se prennent certaines start-up trop gourmandes, ou dont l’objectif était mal défini, et la réalité du net. Mettre des gens éloignés en contact, leur permettre d’interagir, et que chacun, s’il le désire, devienne son propre fournisseur de contenu, c’est une révolution dont nous n’avons pas encore pris toute la mesure."

Cet optimisme est partagé par Christian Vandendorpe, professeur à l’Université d’Ottawa, interviewé à la même date: "Cet outil fabuleux qu’est le web peut accélérer les échanges entre les êtres, permettant des collaborations à distance et un épanouissement culturel sans précédent. Mais cet espace est encore fragile. (...) Il existe cependant des signes encourageants, notamment dans le développement des liaisons de personne à personne et surtout dans l’immense effort accompli par des millions d’internautes partout au monde pour en faire une zone riche et vivante."

La convergence multimédia

L’industrie du livre subit le contrecoup de ce qu’on appelle la convergence multimédia. Celle-ci peut être définie comme la convergence des secteurs de l’informatique, du téléphone, de la radio et de la télévision dans une industrie de la communication et de la distribution utilisant les mêmes autoroutes de l’information. Cette convergence entraîne l’unification progressive des secteurs liés à l’information (imprimerie, édition, presse, conception graphique, enregistrements sonores, films, etc.). Ces secteurs utilisent désormais les mêmes techniques de numérisation pour le traitement du texte, du son et de l’image alors que, par le passé, ce traitement était assuré par divers procédés sur des supports différents (papier pour l’écriture, bande magnétique pour la musique, celluloïd pour le cinéma).

La numérisation permettant désormais de créer, enregistrer, stocker, combiner, rechercher et transmettre des données de manière simple et rapide, le processus matériel de production s’en trouve considérablement accéléré. Si, dans certains secteurs, ce nouveau type de production entraîne de nouveaux emplois, par exemple ceux liés à la production audio-visuelle, d’autres secteurs sont soumis à d’inquiétantes restructurations. La convergence multimédia a aussi d’autres revers, à savoir des contrats occasionnels et précaires pour les salariés, l’absence de syndicats pour les télétravailleurs, le droit d’auteur souvent mis à mal pour les auteurs, etc. Et, à l’exception du droit d’auteur, étant donné l’enjeu financier qu’il représente, il est rare que ces problèmes fassent la Une des journaux.

Si les débats relatifs au droit d’auteur sur l’internet ont été vifs ces dernières années, Philippe Loubière, traducteur littéraire et dramatique, ramène ce débat aux vrais problèmes. "Le débat sur le droit d’auteur sur le web me semble assez proche sur le fond de ce qu’il est dans les autres domaines où le droit d’auteur s’exerce, ou devrait s’exercer, écrit-il en mars 2001. Le producteur est en position de force par rapport à l’auteur dans pratiquement tous les cas de figure. Les pirates, voire la simple diffusion libre, ne menacent vraiment directement que les producteurs. Les auteurs ne sont menacés que par ricochet. Il est possible que l’on puisse légiférer sur la question, au moins en France où les corporations se revendiquant de l’exception culturelle sont actives et résistent encore un peu aux Américains, mais le mal est plus profond. En effet, en France comme ailleurs, les auteurs étaient toujours les derniers et les plus mal payés avant l’apparition d’internet, on constate qu’ils continuent d’être les derniers et les plus mal payés depuis. Il me semble nécessaire que l’on règle d’abord la question du respect des droits d’auteur en amont d’internet. Déjà dans le cadre général de l’édition ou du spectacle vivant, les sociétés d’auteurs - SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques), SGDL (Société des gens de lettres), SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), etc. - faillissent dès lors que l’on sort de la routine ou du vedettariat, ou dès que les producteurs abusent de leur position de force, ou tout simplement ne payent pas les auteurs, ce qui est très fréquent."

Par ailleurs, de nombreux auteurs et créateurs sont soucieux de respecter la vocation première du web, créé pour être un réseau de communication et de diffusion à l’échelon mondial. De ce fait les adeptes du copyleft sont donc de plus en plus nombreux. Conçu à l’origine pour les logiciels, formalisé par la GNU General Public License (GPL) et étendu ensuite à toute œuvre de création, le copyleft contient la déclaration normale du copyright affirmant la propriété et l’identification de l’auteur. Son originalité est de donner au lecteur le droit de librement redistribuer le document et de le modifier. Le lecteur s’engage toutefois à ne revendiquer ni le travail original, ni les changements effectués par d’autres. De plus, tous les travaux dérivés de l’oeuvre originale sont eux-mêmes soumis au copyleft.

La nouvelle économie

Facteur inquiétant lié à la nouvelle économie, les conditions de travail laissent parfois fort à désirer. Pour ne prendre que l’exemple le plus connu, en 2000, la librairie en ligne Amazon.com ne fait plus seulement la Une pour son modèle économique, mais aussi pour les conditions de travail de son personnel. Malgré la discrétion d’Amazon.com sur le sujet et les courriers internes adressés aux salariés sur l’inutilité des syndicats au sein de l’entreprise, les problèmes commencent à filtrer. Ils attirent l’attention de l’organisation internationale Prewitt Organizing Fund et du syndicat français SUD PTT Loire Atlantique (SUD signifiant: solidaires unitaires démocratiques, et PTT signifiant à l’origine: poste, télégraphe et téléphone, et couvrant maintenant la Poste et France Télécom). En novembre 2000, les deux organismes débutent une action de sensibilisation commune auprès du personnel d’Amazon France pour les inciter à demander de meilleures conditions de travail et des salaires plus élevés. Des représentants des deux organisations rencontrent une cinquantaine de salariés du centre de distribution de Boigny-sur-Bionne, situé dans la banlieue d’Orléans (au sud de Paris). Dans le communiqué qui suit cette rencontre, SUD PTT dénonce chez Amazon France "des conditions de travail dégradées, la flexibilité des horaires, le recours aux contrats précaires dans les périodes de flux, des salaires au rabais, et des garanties sociales minimales". Le Prewitt Organizing Fund mène ensuite une action similaire dans les filiales d’Amazon en Allemagne et en Grande-Bretagne.

Les problèmes auxquels la nouvelle économie est confrontée depuis la fin 2000 n’arrangent rien. On assiste à l’effondrement des valeurs internet en bourse. De plus, alors qu’elles représentent souvent la principale source de revenus des sociétés internet, les recettes publicitaires sont moins importantes que prévu. Dans tous les secteurs, y compris l’industrie du livre, le ralentissement de l’économie entraîne la fermeture d’entreprises ou bien le licenciement d’une partie de leur personnel. C’est le cas par exemple de Britannica.com en 2000, d’Amazon.com et BOL.fr en 2001, de Cytale, Vivendi et Bertelsmann en 2002, et de Gemstar en 2003.

En novembre 2000, la société Britannica.com, qui gère la version web de l’Encyclopaedia Britannica, annonce sa restructuration dans l’optique d’une meilleure rentabilité. 75 personnes sont licenciées, soit 25% du personnel. L’équipe qui travaille à la version imprimée n’est pas affectée.

En janvier 2001, la librairie Amazon.com, qui emploie 1.800 personnes en Europe, annonce une réduction de 15% de ses effectifs et la restructuration du service clientèle européen, qui était basé à La Haye (Pays-Bas). Les 240 personnes qu’emploie ce service sont transférées dans les centres de Slough (Royaume-Uni) et Regensberg (Allemagne). Aux Etats-Unis, dans la maison-mère, suite à un quatrième trimestre 2000 déficitaire, les effectifs sont eux aussi réduits de 15%, ce qui entraîne 1.300 licenciements.

En juillet 2001, après deux ans d’activité, la librairie en ligne française BOL.fr ferme définitivement ses portes. Créée par deux géants des médias, l’allemand Bertelsmann et le français Vivendi, BOL.fr faisait partie du réseau de librairies BOL.com (BOL: Bertelsmann on line).

En avril 2002, la société française Cytale, qui avait lancé en janvier 2001 le Cybook, premier livre électronique européen, doit se déclarer en cessation de paiement, le nombre d’appareils vendu étant très inférieur aux pronostics. L’administrateur ne parvenant pas à trouver un repreneur, Cytale est mis en liquidation judiciaire en juillet 2002 et cesse ses activités.

En juillet 2002, la démission forcée de Jean-Marie Messier, président-directeur général de Vivendi Universal, multinationale basée à Paris et à New York, marque l’arrêt des activités fortement déficitaires de Vivendi liées à l’internet et au multimédia, et la restructuration de la société vers des activités plus traditionnelles.

En août 2002, la multinationale allemande Bertelsmann décide de mettre un frein à ses activités internet et multimédias afin de réduire son endettement. Bertelsmann se recentre lui aussi sur le développement de ses activités traditionnelles, notamment sa maison d’édition Random House et l’opérateur européen de télévision RTL.

En juin 2003, Gemstar, société américaine spécialisée dans les produits et services numériques pour les médias, décide de cesser son activité eBook. L’arrêt de la vente des appareils de lecture, les Gemstar eBook, est suivi de l’arrêt de la vente de livres numériques en juillet 2003. Cette cessation d'activité sonne également le glas des éditions 00h00, pionnier français de l’édition numérique, créé en mai 1998 et racheté par Gemstar en septembre 2000.

Francfort et Paris sont eux aussi atteints par le pessimisme ambiant. Si, en octobre 2000, le livre électronique est l'une des vedettes de la Foire internationale du livre de Francfort, il se fait beaucoup plus modeste lors de la Foire de 2001. La même remarque vaut pour le Salon du livre de Paris, qui en mars 2000 a son Village eBook, en mars 2001 héberge le premier sommet européen de l’édition numérique (eBook Europe 2001), et en 2002 et 2003 n’a pas de manifestation ebook particulière.

Toutefois, pendant la même période, les ventes d’assistants personnels (PDA) sont en forte progression, tout comme le nombre de titres lisibles au moyen de logiciels de lecture conçus pour PDA. Un beau démenti au scepticisme de certains professionnels du livre qui jugent leur écran beaucoup trop petit et voient mal l’activité noble qu’est la lecture voisiner avec l’utilisation d’un agenda, d’un dictaphone ou d’un lecteur de MP3.

La progression du livre numérique

Après avoir sonné un peu vite le glas du papier, on ne parle plus du "tout numérique" pour le proche avenir, mais plutôt de la juxtaposition papier et pixel, et de la publication simultanée d’un livre en deux versions. Il reste au livre numérique à faire ses preuves face au livre imprimé, un modèle économique qui a plus de cinq cents ans et qui est donc parfaitement rôdé. Le travail est gigantesque et comprend entre autres la constitution des collections, la mise en place d’un réseau de distribution, l’amélioration des supports de lecture et la baisse de leur prix.

Plus important encore, les lecteurs doivent s’habituer à lire des livres à l’écran. Si elle offre des avantages certains (recherche textuelle, sommaire affiché en permanence, etc.), l’utilisation d’une machine (ordinateur, assistant personnel ou livre électronique) est pour le moment loin d’égaler le confort procuré par le livre imprimé. Cependant, malgré les difficultés rencontrées, les adeptes de la lecture numérique sont de plus en plus nombreux. Ils attendent patiemment des appareils de lecture plus satisfaisants, puis des livres et journaux électroniques sur support souple.

Contrairement aux déclarations pessimistes ayant suivi l’enthousiasme des débuts, si la progression du livre numérique est lente, elle est constante, comme en témoigne le marché du livre numérique sur assistant personnel (PDA). Tous éditeurs confondus, les ventes de 2001 se chiffrent par milliers pour le New World College Dictionary de Webster, les romans de Stephen King et de Lisa Scottolini, les livres d’économie et les manuels pratiques. La librairie numérique Palm Digital Media annonce 180.000 titres vendus en 2001, lisibles sur le Palm Reader et le Microsoft Reader, soit 40% de plus qu’en 2000. PerfectBound, le service électronique de l’éditeur HarperCollins, propose 10% du catalogue imprimé sous forme numérique. Le nombre de titres vendus pendant le premier semestre 2002 dépasse largement celui des ventes de 2001. Chez le grand éditeur Random House, le nombre de livres numériques vendus en 2001 double par rapport à celui de 2000. En 2002, Random House décide d’assurer simultanément pour le même titre la fabrication du livre imprimé et celle du livre numérique.

Livre numérique et livre imprimé

Nous vivons une période transitoire quelque peu inconfortable, marquée par la généralisation des documents numériques et la numérisation à grande échelle des documents imprimés, mais qui reste fidèle au papier. Une enquête menée en 2000 et 2001 montre que, pour des raisons aussi bien pratiques que sentimentales, pratiquement personne ne peut se passer du livre imprimé et de ce matériau qu’est le papier, dont certains nous prédisaient la mort prochaine mais dont la longévité risque de nous surprendre (pour lire l’ensemble des réponses, lancer les requêtes "papier" ou "imprimé" dans la base interactive des Entretiens).

Contrairement aux idées reçues, il ne semble pas opportun d’opposer livre numérique et livre imprimé, comme le rappelle Olivier Pujol, promoteur du Cybook, premier livre électronique européen. Interviewé en décembre 2000, il écrit: "Le livre électronique, permettant la lecture numérique, ne concurrence pas le papier. C’est un complément de lecture, qui ouvre de nouvelles perspectives pour la diffusion de l’écrit et des oeuvres mêlant le mot et d’autres médias (image, son, image animée...). Les projections montrent une stabilité de l’usage du papier pour la lecture, mais une croissance de l’industrie de l’édition, tirée par la lecture numérique, et le livre électronique. De la même façon que la musique numérique a permis aux mélomanes d’accéder plus facilement à la musique, la lecture numérique supprime, pour les jeunes générations comme pour les autres, beaucoup de freins à l’accès à l’écrit."

Certains s’inquiètent cependant de la multiplication des formats, logiciels et machines de lecture. "Il a fallu inventer la hache de pierre avant de construire la Tour Eiffel, écrit à la même date Jean-Paul, explorateur d’hypertexte. Le but des dinosaures industriels qui s’entretuent pour imposer leur format de livre électronique est de détourner vers eux la partie rentable du contenu des bibliothèques (rebaptisé "information"). Ils travaillent aussi pour nous, en contribuant à banaliser l’usage de l’hyperlien."

Ces appareils de lecture ne sont probablement qu’une étape transitoire. Après être passé du papier au numérique entre 2000 et 2005, avec lecture par le biais d’une machine, il est probable que le livre retourne au papier entre 2005 et 2010. Ce papier serait cette fois électronique, à savoir un support permettant de concilier les avantages du numérique et le plaisir d’un matériau souple s’apparentant au papier.

La littérature numérique

De l’avis de Jean-Pierre Balpe, directeur du département hypermédias de l’Université Paris 8, interviewé en février 2002, "les technologies numériques sont une chance extraordinaire du renouvellement du littéraire". Depuis 1998, de nombreux genres ont vu le jour: sites d’écriture hypermédia, œuvres de fiction hypertexte, romans multimédias, hyper-romans, mail-romans, etc. On peut désormais parler d’une véritable littérature numérique, qui est elle-même un sous-ensemble de l’art numérique puisque, de plus en plus, le texte fusionne avec l’image et le son en intégrant dessins, graphiques, photos, chansons, musique ou vidéo.

Lucie Boutiny, qui participe à ce vaste mouvement, relate en juin 2000: "Depuis l’archaïque minitel si décevant en matière de création télématique, c’est bien la première fois que, via le web, dans une civilisation de l’image, l’on voit de l’écrit partout présent 24 h / 24, 7 jours / 7. Je suis d’avis que si l’on réconcilie le texte avec l’image, l’écrit avec l’écran, le verbe se fera plus éloquent, le goût pour la langue plus raffiné et communément partagé." Un beau pari pour les écrivains des années 2000.

Cet avis est partagé par Nicolas Pewny, consultant en édition électronique, qui écrit en février 2003: "Je vois le livre numérique du futur comme un 'ouvrage total' réunissant textes, sons, images, vidéo, interactivité: une nouvelle manière de concevoir et d’écrire et de lire, peut-être sur un livre unique, sans cesse renouvelable, qui contiendrait tout ce que l’on a lu, unique et multiple compagnon."

L’édition électronique

De même que la littérature numérique contribue au renouvellement du littéraire, l’édition électronique contribue au renouvellement de l’édition. De nombreux auteurs mettent leurs espoirs dans l’édition électronique, commerciale ou non, pour bousculer une édition traditionnelle qui aurait fort besoin d’une cure de rajeunissement et d’une redéfinition de ses objectifs. Quelque peu oubliée, semble-t-il, la tâche d’un éditeur n’est-elle pas d’abord de découvrir des auteurs et de promouvoir leurs oeuvres?

Anne-Bénédicte Joly, écrivain auto-éditant ses oeuvres, se réjouit du mouvement qui se dessine dans ce sens. En mai 2001, elle écrit: "Certains éditeurs on line tendent à se comporter comme de véritables éditeurs en intégrant des risques éditoriaux comme le faisaient au début du siècle dernier certains éditeurs classiques. Il est à ma connaissance absolument inimaginable de demander à des éditeurs traditionnels d’éditer un livre en cinquante exemplaires. L’édition numérique offre cette possibilité, avec en plus réédition à la demande, presque à l’unité. (...) Je suis ravie que des techniques (internet, édition numérique, ebook...) offrent à des auteurs des moyens de communication leur permettant d’avoir accès à de plus en plus de lecteurs."

De plus, l’existence de livres numériques braille et audio permet pour la première fois aux personnes handicapées visuelles d’accéder à l’ensemble du patrimoine scientifique et littéraire. Toutefois, dans de nombreux pays, l’édition spécialisée est toujours confidentielle sinon clandestine, le problème du droit d’auteur sur les transcriptions n’étant toujours pas résolu.

La diffusion libre du savoir

Fait qui vaut aussi pour les voyants, certains préfèrent la rentabilité économique à la diffusion gratuite du savoir, y compris pour les oeuvres tombées dans le domaine public. On a d’un côté des éditeurs électroniques qui vendent notre patrimoine littéraire en version numérique, de l’autre des bibliothèques numériques qui le scannent en mode texte pour le diffuser gratuitement à l’échelle de la planète. De même, on a d’une part des organismes publics et privés qui monnaient leurs bases de données au prix fort, d’autre part des éditeurs et des universités qui mettent leurs publications et leurs cours en accès libre sur le web. Reste à savoir si, pour les premiers, les profits dégagés en valent vraiment la peine. Dans de nombreux cas, il semblerait que la somme nécessaire à la gestion interne soit au moins équivalente aux gains réalisés. Est-il vraiment utile de mettre un pareil frein à la diffusion de l’information pour un profit finalement nul? Comme l’explique en février 2001 Russon Wooldridge, professeur au département d’études françaises de l’Université de Toronto, "il est crucial que ceux qui croient à la libre diffusion des connaissances veillent à ce que le savoir ne soit pas bouffé, pour être vendu, par les intérêts commerciaux."

La diffusion gratuite du savoir n’est toutefois possible que parce qu’il existe en amont des organismes financeurs, par exemple des universités ou des laboratoires de recherche. Ou alors parce qu’une petite équipe en place (rémunérée) est relayée par un vaste réseau de volontaires (bénévoles) gagnant leur vie par ailleurs et décidant de consacrer une partie de leur temps à une activité qu’ils estiment importante pour le bien de la collectivité. C’est le cas du Projet Gutenberg, pionnier des bibliothèques numériques, ou encore de Bookshare.org, bibliothèque numérique à destination des aveugles et malvoyants résidant aux Etats-Unis.

De nombreuses questions

"L’internet pose une foule de questions et il faudra des années pour organiser des réponses, imaginer des solutions, écrit en janvier 2001 Pierre Schweitzer, concepteur du baladeur de textes @folio. L’état d’excitation et les soubresauts autour de la dite 'nouvelle' économie sont sans importance, c’est l’époque qui est passionnante."

En effet, nombreuses sont les zones vierges à explorer, et nombreux sont les modèles - économiques ou non - à créer. Des choix politiques et culturels s’imposent puisque, aussi sophistiquées soient-elles, les technologies numériques ne sont jamais que des moyens permettant de véhiculer un contenu. On dispose maintenant des techniques permettant une très large diffusion des livres par-delà les frontières, les langues et les handicaps, et ceci à moindres frais. Reste à créer ou renforcer la volonté politique et culturelle dans ce sens, à tous les échelons.

Il importe aussi de ne pas oublier la formation des professionnels du livre, comme le précise Emilie Devriendt, élève professeure à l'Ecole nationale supérieure (ENS) de Paris et responsable du site Translatio. "Tous les cursus 'littéraires' sont loin de comprendre une formation obligatoire aux nouvelles technologies (qu'il s'agisse d'ailleurs de bureautique, de recherche documentaire ou d'analyse textuelle), explique-t-elle en février 2003. Or sans un apprentissage sérieux de ce type risque paradoxalement de se constituer une nouvelle forme d'analphabétisme au sein même d'une population intellectuelle, les étudiants, les enseignants, les chercheurs; ou, à tout le moins, une informatisation 'à deux vitesses' de cette population."

De plus, pour les œuvres contemporaines, comment concilier respect du droit d’auteur et diffusion auprès d’un large public? L’activité des auteurs numériques et des éditeurs électroniques, commerciaux ou non, leur permettra-t-elle un jour de gagner leur vie? Ou devront-ils continuer d’être informaticiens, enseignants, traducteurs, etc., et exercer cette activité sur leur temps libre?

Il semblerait aussi que le système en place oublie trop souvent que ce sont les auteurs qui font les livres. Nombre d’entre eux se plaignent à juste titre d’être les parents pauvres de l’édition, ce qui est tout de même un comble. Il serait donc grand temps que les auteurs prennent leur destin en main, sans plus se laisser impressionner par tous ceux pour lesquels le livre ne sera jamais qu’un produit dégageant un profit, l’auteur étant le dernier servi. L’internet et les technologies numériques offrent de nouveaux outils, et des possibilités de diffusion sans précédent. Reste à créer de nouvelles structures pour l’édition et la distribution, en évitant de copier les anciennes.


Table des matières


Vol. 1 (1993-1998)
Vol. 1 & 2 (1993-2003)


© 2003 Marie Lebert