2.2. Consultabilité

Un texte continu se lit et n'a qu'une entrée, le début, et une sortie, la fin, toute sortie intermédiaire étant en principe provisoire et à faire suivre d'une rentrée. Une série structurée de textes continus forme un texte discontinu, ou macro-texte. Sa lecture devient consultation si la lecture d'un des sous-textes, ou micro-textes, est précédée d'une recherche de localisation. Là où la lecture pure est une entité indépendante, la consultation est subordonnée à une activité plus large, son rôle étant de fournir des réponses à des questions. Comme instrument de consultation, un dictionnaire peut être plus ou moins efficace; c'est-à-dire que moins le temps de recherche et de lecture est long, plus le macro-texte est consultable. La présence ou l'absence dans le dictionnaire de l'information recherchée est une considération indifférente tant que l'interrogateur sait que l'information s'y trouve ou non. Généralement, on accroît la consultabilité par une plus grande fragmentation des items d'information accompagnée nécessairement d'une plus grande structuration, comprise du consulteur, des entrées qui y donnent accès. Dans quelle mesure, donc, peut-on consulter le Dictionaire françois-latin et le Thresor?

2.2.1. Présentation des adresses

2.2.1.1. Alphabet, étymologie et typographie

2.2.1.1.1. Le triple système: alphabet, étymologie et article

Les items du dictionnaire sont organisés selon trois systèmes de classement, établis dans la première édition et respectés de moins en moins dans les éditions non stéphaniennes, surtout le Thresor. Les entrées sont d'abord regroupées étymologiquement par familles dérivationnelles dont une forme de base est mise en vedette, les dérivés de celle-ci étant présentés en sous-vedettes. Les vedettes sont à leur tour classées par ordre alphabétique. Chaque vedette ou sous-vedette est l'objet d'un traitement d'équivalence, d'illustration ou d'explication, l'unité et son traitement constituant un article (ou micro-article). Les trois systèmes sont déterminés et distingués par la typographie. Comme nous l'avons dit, la triple organisation est établie dès la première édition du Dictionaire françois-latin (héritée, en fait, du Thesaurus); dans E 1539, les vedettes et à leur suite les sous-vedettes sont imprimées en tête du macro-article en grands romains; elles sont reprises en petits italiques dans le texte de l'article, une ligne en saillie correspondant généralement au début d'un micro-article. Le modèle nous est fourni par l'extrait suivant:

Le classement alphabétique est représenté ici par ABBREGÉ, ABBREVER, ABECE, ABOLIR, ABOMINATION, ABONDER, ABORDER, ABOUTIR, ABRI; le regroupement dérivationnel par ABONDER, ABONDANT, ABONDANCE, ABONDAMMENT, par exemple. La vedette ABONDER, son traitement et celui de ses dérivés, ABONDANT, ABONDANCE et ABONDAMMENT, représentent un macro-article; Abondant, ses équivalents latins, ses exemples d'emploi et les traductions de ceux-ci consitituent un micro-article.

À partir de E 1549, qui supprime les en-têtes de E 1539, les vedettes sont distinguées des sous-vedettes non seulement par l'ordre de présentation mais également par la typographie. Les éditions postérieures adopteront plus ou moins le même principe. Ainsi les vedettes seront imprimées en tête du macro-article en grands romains, les sous-vedettes en petits italiques. [56] ND 1573 et N 1606 distingueront également les noms propres en vedette en leur réservant des petits romains majuscules. [57] Voici un tableau du bon usage des différents caractères employés pour les vedettes et les sous-vedettes et la forme que nous leur donnons dans la presente étude: [58]

Ajoutons qu'à l'intérieur du micro-article, et la vedette et la sous-vedette sont reprises en petits italiques. Estienne introduit l'ordre alphabétique pour le classement des vedettes dès la premiere édition du Thesaurus (1531) et le respecte presque parfaitement. [59] Sur les cent premiers 'passages' (la position relative des 101 premières vedettes dépend de 100 jointures ou passages) du Thesaurus de 1531, il n'y a que 4 fautes de classement (donc 4%): ABLEGO, ABLECTAE; ABUNDO ("ABVNDO"), ABVERTO; ACATIUM, ACATIA; ACCIO, ACCINGO. Le nombre moyen de lettres pertinentes est 4,34, y compris le nombre respecté dans les passages fautifs. Comme les passages individuels varient entre 2 lettres pertinentes (ex: A, AB) et 7 (ex: ABINTEGRO, ABINTESTATO) et que les erreurs constatées ont lieu aux lettres 5, 4, 6 et 5 respectivement, le nombre moyen de lettres pertinentes observé est non pertinent et virtuellement infini. Dans le Dictionaire francoislatin de 1539, sur les 756 passages de l'échantillonnage A, B, La, Ta, il y a seulement 33 fautes (moins de 4,4%); la longueur moyenne du mot alphabétique est de 4,1 lettres (mais virtuellement infinie), la longueur réelle variant entre 1 et 7. Dans E 1549, le classement est amélioré: sur les 1268 passages de l'échantillonnage A, B, La, Ta, il y a seulement 22 fautes (1,74%). Les éditions postérieures n'atteindront pas ce degré d'exactitude. Voici pour l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, un tableau représentant la correction du classement alphabétique des mots imprimés en vedette dans les différentes éditions du DFL et le Thresor:

Les fautes de classement nuisent plus ou moins à la consultabilité du dictionnaire. Ainsi, pour O. Bloch, [60] EQUITABLE, GUISE et TENABLE manquent à la nomenclature du Thresor, tandis qu'ils se trouvent, le premier à 20 lignes de sa place alphabétique entre EQUINOCCE et EQUIPARER, le deuxième à 19 lignes de sa place entre GUIMAUVES et GUINDER, le troisième déplacé de 17 lignes entre TENANT et TENCER. Plus graves sont les cas de AFFILS (p. 20, col. 2, ligne 36 au lieu de 19.2.69), BOQUE (82.1.39 au lieu de 83.2.32) et BRUTHIER (92.2.51 au lieu de 94.2.44). Il n'est guère possible de dire que toute faute de classement entraîne la perte d'un item de nomenclature; tous les mots cités ci-dessus sont cachés dans une certaine mesure, les premiers à peine, les seconds beaucoup plus. Pourtant, il est parfois difficile de décider quel est (ou quels sont) l'item caché. Par exemple, pour la suite de vedettes LANCELÉE, LANCER, LANCEMAN, LANDE, le 'bon' ordre alphabétique est-il LANCELÉE-LANCEMAN-LANDE ou LANCELÉE-LANCER-LANDE? La seule réponse pratique, c'est que ni LANCER ni LANCEMAN n'est caché, c'est au consulteur de laisser errer un peu son regard.

Le classement alphabétique connaît aussi un certain nombre de variations expliquables; par exemple, lorsque la vedette est considérée comme mot phonétique plutôt que graphique (voir 2.2.1.2.2) ou que les systèmes alphabétique et étymologique sont confondus, la typographie aidant (voir 2.2.1.1.2). Contentons-nous ici de considérer le cas des composés (préfixaux et syntagmes codés). Ceux-cl peuvent s'écrire en éléments séparés et être classés selon l'ordre absolu des lettres: A BON ESCIENT (1549), A BRIDE AVALLEE (1549), A CE (1606), A CHEVAL (1573), AVOIR A FEMME (1606), LA SUS (1573); compte tenu seulement du premier élément: A CAUSE (1539), AU CONTRAIRE (1549); ou suivant l'élément le plus lexical: A L'AUTRE (1606) mis à la suite de AUTRE. Écrits en un mot, avec ou sans trait d'union ou apostrophe, ils sont classés soit comme un mot soit comme deux (classement en deux temps). Ainsi, la série "CONTRE..." est divisée avec quelque arbitraire en deux groupes: CONTR + et CONTRE +, chaque groupe étant classé selon l'ordre absolu des lettres: CONTR'AMONT, CONTR'ANIMEZ, CONTREBASSE, CONTR'ESCARPE, CONTR'ESCHANGER, CONTR'ESCRIRE, CONTR'ESTER, CONTR'IMITER, puis CONTREBALANCE, CONTREBAS, CONTREBONDIR, etc. (voir 1573). En revanche, tous les composés en "ENTRE..." sont classés comme des mots simples: s'ENTR'ACCOINTER, s'ENTR'ACCOLLER, s'ENTR'ACCOMPAIGNER, etc. (voir 1564).

Dans une organisation secondaire, les dérivés d'une vedette sont classés, plus ou moins correctement (c.-à-d. en filiation dérivationnelle), à sa suite, le traitement d'une sous-vedette la séparant de la suivante. [61] Le plan tel que nous l'avons montré pour le macro-article ABONDER (cf. supra) connaît des variantes et beaucoup d'exceptions dès 1539. Une variante nous est fournie par le macro-article ACCOUSTUMER dans lequel les sous-vedettes ACCOUSTUMÉ et ACCOUSTUMANCE sont signalées non par un alignement en saillie mais par un pied-de-mouche (¶). Le non-signalement typographique se produit, cependant, tout comme le faux signalement en saillie. Ainsi, ACCOMPAIGNÉ n'est pas distingué s.v. Accompaigner, ni ACQUIT s.v. Acquicter, et ABBREVÉ s.v. Abbrever. La dernière entrée des articles APPRIVOISER et BARRE est placée en fausse saillie. La forme donnée en tête du macro-article n'est pas toujours la même que celle qui ouvre le micro-article: ainsi ABBREVÉ (s.v. Abbrever) et UNE ATTACHE (s.v. Attacher) non marqués dans l'en-tête deviennent dans leur sous-article ABBREVEE/ABBREVEZ et ATTACHES; ARMURES, marqué en tête de l'article ARMES, prend la forme non marquée ARMURE au début de son article propre. Plus déconcertant est le cas des sous-vedettes qui ne sont données qu'à l'intérieur du macro-article, sans être signalées dans l'en-tête global. Elles sont legion; par exemple: ACCOUSTRÉ et ACCOUSTREMENT (s.v. Accoustrer), AFFINEUR (s.v. Affiner), AGNUS CASTUS (s.v. Agneau), ARGENTER, ARGENTERIE et ARGENTINE (s.v. Argent), BABILLARDE (s.v. Babil), BARBETTE (s.v. Barbe), BELLOT (s.v. Beau), BRAYANT/BRAYART (s.v. Braire), BRUINÉ (s.v. Bruine), etc. Autrement dit, l'absence d'un mot des en-têtes ne veut rien dire. Le contraire peut arriver: ARBREAU donné en tête du macro-article ARBRE n'est pas le sujet d'un article propre et disparaît entièrement de la nomenclature dans E 1549. En revanche, AMIABLE, en tête du macro-article AMI et remplacé dans le texte de l'article par AMIABLEMENT, reçoit un traitement propre en 1549.

E 1549 respecte le classement de E 1539 et garde les distinctions d'alignement (quoique, comme nous l'avons fait remarquer plus haut, les en-têtes disparaissent et que seule la vedette s'imprime en grands romains). Par exemple, le macro-article AGUILLE, qui en 1539 se présente comme:

devient, en 1549: À partir de 1564, l'alignement en saillie cesse de démarquer le début des sous-articles, ne servant qu'à definir les limites de l'alinéa qui, lui, est ouvert par une entrée quelconque -- vedette, sous-vedette ou exemple.

Les fautes de classement étymologique sont perceptibles très tôt. Pour ne retenir que quelques-unes des plus évidentes, [62] on remarque la présence dans E 1549 s.v. Taciturnité de TACITEMENT, [63] la subordination dans ND 1573 de l'ancienne vedette BAN à la nouvelle BANIR, ou la présence dans la même édition s.v. Las ("Fatigatus") de LASSER ("tendre laqs") et LASSET ("cordon"). Citons aussi COPIEUX (1539) et COPIEUSEMENT (1549) s.v. Copie, et le cas complexe de DOCILE (1539), DOCILITÉ (1549) et DOCUMENT (1549) s.v. Docte. Dès 1539, un petit nombre de dérivés sont signalés en renvoi dans l'ordre alphabétique, mais ces renvois sont dans toutes les éditions l'exception et non la règle. E 1539 met dans l'ordre alphabétique BEUVERIE "cerchez Boire", BONTE v. Bon, BOUQUIN v. Bouc, BOUVIER v. Beuf, BRODEUR v. Bord, etc. À partir de 1549, on utilise dans les renvois ajoutés le mot "voyez" au lieu de "cerchez". [64] Dans l'échantillonnage A-Ac, Ar, Ba, Br-By, La, Ta, nous trouvons 5 renvois de ce type dans E 1539, 12 dans E 1549 et 11 dans T 1564. Il n'y en a presque pas d'ajoutés en 1573 et 1606, Nicot préférant faire d'un renvoi un second article (voir 2.2.1.1.2). Ces chiffres sont infimes en regard du nombre de sous-vedettes qui ne sont pas indiquées dans l'ordre alphabétique. Par exemple, dans T 1564, sur 108 sous-vedettes dont la place alphabétique ne serait pas immédiatement avant ou après celle de leur vedette, seules 17 sont données en renvoi. La situation est à peu près la même en 1606, 14 sous-vedettes y étant indiquées dans l'ordre alphabétique sur un total de 101. Les renvois dérivationnels permettent à la limite de construire un macro-article fragmenté par l'alphabet; par exemple, l'article SEANT renvoie à SIED et vice versa. Un macro-article peut aussi exister en double exemplaire; par exemple, en 1606, Nicot fait précéder l'article hérité:

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