2.2.2.2.1. Statut de la séquence définitionnelle: langue,
métalangue et monde
L'analyse contemporaine du texte lexicographique s'occupe des niveaux de
fonctionnement de ses composants. On fait une distinction, d'abord, entre,
d'une part, le mot-adresse de l'article et son traitement implicite par les
exemples d'emploi, qui relèvent de la langue, et d'autre part, le
traitement explicite du mot-adresse par les énoncés
définisseurs et les informations orthographiques, phonétiques,
étymologiques, grammaticales, stylistiques, etc., qui appartient
à la métalangue. [164] Lors de
l'examen des séquences définitionnelles, on essaie de
séparer celles qui peuvent sortir du dictionnaire pour s'employer
également en langue de celles qui ne fonctionnent qu'en
métalangue. [165] Dans une autre approche,
on distingue le synonyme de la définition, le premier étant une
variante de l'adresse et appartenant toujours à la langue. [166]
Un moyen de décider si une définition peut fonctionner
normalement en langue est de juger de sa probabilité d'y
apparaître. Ainsi, on dira que "Administrer ses affaires" (DFC 1967 s.v. Gérer) a
l'air moins
marqué que "Science qui a pour objet la description de la Terre" (DFC
1967 s.v. Géographie), qui ressemble toujours à une
definition. [167] Une
épreuve plus
objective est celle de la commutation, dans laquelle, dans un contexte
donné, on essaie de substituer le définisseur au défini.
Les deux exemples cités ci-dessus donnent alors des résultats
différents des premiers. "Science qui a pour objet la description de la
Terre" a des chances de pouvoir se substituer à
géographie ("étudier la -"), tandis que "Administrer ses
affaires" ne peut jamais remplacer gérer transitif ("- son capital").
L'utilisateur à la recherche d'un synonyme saura normalement
interpréter la définition, bien qu'il fût bien mieux servi
par une présentation comme "Administrer (ses affaires)". [168] La distinction entre
synonyme et définition
est fondée sur la notion de lexicalisation, puisque seuls des items
lexicaux ou lexicalisés peuvent fonctionner comme synonymes. Les
synonymes sont le plus souvent simples (BOURRASQUE "syn.:
TOURMENTE" (DFC 1967)), mais peuvent être
analytiques (BOURRADE "syn.: COUP DE
COUDE" (DFC 1967)).
Ce sont toujours les dictionnaires de la langue contemporaine qui fournissent
le champ d'investigation à ces méthodes, et cela pour deux
raisons. Ce sont les plus systématiques, et la langue qu'ils
décrivent et qu'ils utilisent comme métalangue relève de
la compétence linguistique de l'analyste. Comment, cependant, aborder
un dictionnaire ancien, qui en plus de son manque de normalisation, renferme
la description d'un état de langue passé? On ne peut encore rien
dire du degré de lexicalisation des unités. Dans E 1549 s.v.
Babillard, on lit: "Vng babillard, Vng rapporte nouuelle, Vng deceleur de
secrets, Aius locutius". D'après sa construction, rapporte
nouvelle semblerait être un composé, donc un item
lexicalisé; effectivement, dans la nomenclature s.v. Rapporter, on
trouve: "Vng rapportenouuelle, Rapporteurs de nouuelles, Rumorum
expectores". Quant à deceleur de secrets, sa construction ne
laisse rien déduire; la nomenclature donne bien "Deceleur de
secret, Proditor arcani, Index" (comme aussi "Decelement de secret,
Arcanorum proditio, Indicium"), mais rien ne permet de dire que la
séquence française n'a pas été créée
en fonction du latin. Les mots simples, non plus, ne sont pas toujours
assurés d'un statut linguistique: dans E 1549 (et encore dans le
Thresor), le mot BRIGADER est défini
"Compaigner". Compaigner n'est pas donné dans la
nomenclature, ce qui ne signifie évidemment rien; pourtant, dans N
1606, on lit s.v. Accompagner: "Composé de ad & compagner
inusité". On est amené à conclure que du temps
d'Estienne le mot s'employait mais qu'à la fin du siècle il
était sorti de l'usage. [169] Dans
l'impossibilité de statuer sur l'appartenance linguistique des
définisseurs, il est donc plus utile de les considérer tous
comme fonctionnant en métalangue.
La justesse du terme de métalangue appliqué à toutes les
séquences définitionnelles peut encore être mise en doute
dans le cas des définitions encyclopédiques. Si l'on admet que
la définition d'un signe linguistique relève de la
métalangue, on ne peut guère pretendre la même chose pour
celle d'un objet (non linguistique). Comment distinguer une définition
encyclopédique d'une définition linguistique? Pour J.
Rey-Debove, la première peut être caractérisée
comme "excédant les traits sémiques pertinents dans une analyse
componentielle du sémème de plusieurs mots". [170] Puisque cette analyse n'a
jamais été
faite de façon suivie par les lexicographes, tout dictionnaire de
langue renferme un très grand nombre de définitions
encyclopédiques. [171] Et cela pour une
raison pratique: "la définition /./ doit dans de nombreux cas
excéder l'analyse sémique, car si les définitions
n'étaient ni redondantes ni encyclopédiques, elles se
transformeraient en énigmes ou en devinettes". [172] La définition
encyclopédique pouvant
donc qualifier un mot ou une chose, c'est la nature de l'entrée qui
devra décider du statut de la définition.
L'énoncé lexicographique qu'est l'article de dictionnaire
contient un certain nombre de composants (adresse, catégorie
grammaticale, prononciation, définition(s), exemples d'emploi, etc.) --
semblables aux mots lexicaux de la phrase linguistlque -- articulés au
moyen de copules, copulatives, circonstants, etc., (les mots outils du
discours linguistique). La plupart de ces connecteurs sont, dans les
dictionnaires modernes, des signes symboliques (signes de ponctuation),
d'où parfois une certaine ambiguïté
d'interprétation. "POULAIN. Petit du cheval",
discours sur le mot, est à lire: "Le mot poulain signifie 'petit
du cheval'"; comme discours sur la chose: "Le poulain est le petit du cheval".
"La définition est une définition de chose avec la copule
être, mais elle n'est qu'une propriété du signe
avec la copule signifier." [173] Chez
Nicot, les choses ne se passaient pas exactement de la même
façon, puisque même dans le cas, fréquent, de
l'explicitation (linguistique) de la copule, on ne peut toujours dire pour
certain s'il envisageait l'adresse comme un mot ou comme une chose, ou s'il ne
faisait tout simplement pas la différence. Pour nous en tenir aux noms
communs (lieu de rencontre du mot et de la chose), nous remarquons que la
copule la plus fréquente est être:
BACCHANALES, estoient les festes ... (T 1564)
BADELADRE ... est vne maniere d'espée
(N 1606)
BAGVE ... c'est proprement vng anneau (ND
1573)
BARLVE ... Se prend pour vne offuscation (N
1606)
BATVS ... signifie la confrairie de ceux qui
... (N 1606)
Tablier pour une grande nappe fort large (E 1549)
Tabouret ... Signifie ... ce petit siege ... (N 1606)
BAC ... est vn grand bateau (N 1606)
souvent c'est:
BAGAGE ... C'est le menu equipage que ... (N
1606)
On rencontre également signifier:
BACELE ... signifie Chastellenie (ND 1573)
se prendre pour:
BARRES ... se prend ... pour exceptions &
defenses (N 1606)
ou pour:
BAC, pour vaisseau à nauiger (N 1606)
Cependant, signifier, se prendre pour et pour sont
souvent suivis de l'article:
BANDE ... signifie proprement vne piece de quelque
estoffe (N 1606)
et être peut s'employer sans article:
Ban, c'est cry publique (ND 1573)
Les différents termes s'interchangent à l'intérieur d'un
même article suivant les exigences de la syntaxe ou du style:
BAFFROY, BAFFRAY ... est vn taudis ...
Et ... on appelle en quelques lieux des noms susdits vne bien
grande & maistresse cloche ... Baffray aussi se prend pour vne
bastille ... (N 1606)
La copule reliant l'adresse à l'indication de sa classe grammaticale
est généralement implicite chez Nicot, n'étant
exprimée que par une virgule. Lorsque l'adresse est une forme ayant
dans la langue plusieurs fonctions grammaticales, [174] cette copule est souvent
explicitée par le
verbe être, celle introduisant la définition étant
alors le plus souvent signifier:
TACHE ... ores est nom f. gen. & signifie vne macule ou souillure ... & par metaphore, Blasme (N 1606)
TASCHE ... Est ores nom f.gen. Qui signifie ce qu'vn ouurier ou artisan a entreprins (N 1606)
2.2.2.2.2. Définition, unité de traitement et
élément d'entrée
Les copulatives '&', 'ou' et ',' peuvent se placer entre
des variantes-adresses, tout comme elles peuvent séparer le mot-adresse
de son traitement définitionnel. [176] Des
trois, c'est & qui est le plus souvent appelé à
introduire une précision de sens. Ainsi, destorse au sens de
"pliement ou flechissement" se traduit en latin "Flexus", tandis qu'au
sens de "fouruoyement" il se dit "Aberratio":
Destorse & pliement ou flechissement, Flexus. //
Notons tout de suite que ce procédé, que B. Quemada appelle "la
coordination traductive", [177] n'est
utilisé, dans le DFL-Thresor, que par Estienne et a son origine
dans le dictionnaire latin-français; [178]
de ce fait, son utilité traductive n'est, dans le dictionnaire
français-latin, que fortuite.
Pour Livet, les deux mots français étaient nécessaires
à l'analyse du latin, [179] argument
réfuté par Brandon qui n'y voit que des synonymes, le
deuxième indiquant le sens du premier; [180] avis partagé par B.
Quemada. [181] Il est possible, dans un
certain nombre de cas,
d'appuyer cette seconde opinion par l'épreuve de la commutation. Par
exemple, dans E 1539, "Flexus" est donné comme traduction non seulement
de "Destorse & pliement ou flechissement", mais également de
PLIEMENT et de FLECHISSEMENT. De
même, "Aberratio" sert a traduire, d'une part "Destorse &
fouruoyement", et d'autre part FOURVOYEMENT. Voici
d'autres exemples tirés de E 1539:
Destorse & fouruoyement, Aberratio. (E 1539)
Arracher & desplanter, Explantare
Desplanter, Explantare
S'arrester & seiourner en quelque lieu,
Affermir & fortifier, Firmare
Fortifier ... Firmare
Amollir & fondre, Liquefacere
Fondre ... Liquefacere
> Appert ... C'est viste, isnel & habile (N 1606)
Les faits & prouësses d'aucun (s.v. Fait)
Faits d'armes, sont prouësses & vaillances d'vn Cheualier en combattant. Ainsi dit on, les hauts & grands faits d'armes d'vn tel (s.v. Armes)
ISNEL, prompt, vif, legier, habile (T
1564)
> ISNEL ... C'est leger, dehait, prompt &
viste (N 1606)
Brusquement, Ferociter. Rudement, malgratieusement, hastiuement (T 1564)
DESHAICT, tristesse, marrisson, contens, desbat, desordre (ND 1573)
Allee & uenue, Itus & reditus, Obseruatio.
Allees & uenues pour quelque affaire,
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