2.2.2.2.3. Paraphrases de décodage & paraphrases d'encodage

La section précédente contient beaucoup d'exemples dans lesquels une lexie française peut être considérée à la fois comme synonyme de l'adresse (décodage) et, au même titre que l'adresse, équivalent du latin subséquent (encodage) -- par exemple, desplanter dans "Arracher & desplanter, Explantare" (E 1539). Dans le dictionnaire latin-français, les deux mots français étaient les équivalents de l'entrée latine (décodage): "EXPLANTO ... Arracher & desplanter".

Lorsque, dans le Dictionarium latinogallicum, le mot latin n'avait pas d'équivalent simple en français, Estienne donnait souvent une paraphrase:

Passant dans le Dictionaire francoislatin, ces trois items sont rangés s.v. Bruvage, parmi les exemples d'emploi. En fait, ces "exemples" sont des définitions d'encodage dans lesquelles le "mot-adresse" bruvage est le genre prochain et le reste de l'item français ("de moust, & de miel", "(faict) d'Enule campane", "(faict) de pommes de bois seiches broyees auec du sel & du uin") la différence spécifique. Dans ces entrées, le mot-adresse n'a donc pas de statut propre et ne reçoit pas de traitement d'équivalence: melitites, nectorites et saprum ne sont que des espèces de "bruvage". Le lecteur n'est pas toujours conscient de la fonction compromise du français, comme l'illustre si bien K. Baldinger: "Estienne, comme d'ailleurs tous les auteurs de dictionnaires lat.-fr. du 16e siècle, se proposait de définir les termes latins. Même les éditions fr.-lat. visaient le même but. Il faut donc les lire à l'envers, en commençant par le mot latin qui est à la fin de chaque article. Prenons l'article brodequin dans Estienne 1539: "brodequin, une manière de brodequin ancien, de quoy usoyent hommes et femmes, Soccus. -- Une façon de brodequin à veneur qui empoigne le gras de la jambe, Cothurnus." Cothurnus et soccus, des chaussures assez différentes, sont définis tous les deux par 'une façon de brodequin', 'une manière de brodequin'. Ce sont cothurnus et soccus qui sont définis et non pas brodequin. En méconnaissant cet état d'esprit /./ on fait fausse route. C'est ce qui est arrivé à Sainéan qui, dans la meilleure édition critique de Rabelais, définit brodequin par 'une chausse montant jusqu'à la mi-jambe adoptée par les veneurs', en se fondant sur Estienne." [185]

Il est relativement aisé de déceler ces entrées dans le Dictionaire françois-latin; elles comprennent une très grande partie des items bilingues, dont la plupart sont gardés dans toutes les éditions et dans le Thresor. Il arrive, pourtant, de temps à autre, que Nicot s'y attaque. Voici cinq entrées consécutives de l'article TABLE dans E 1539 toutes héritées de DLG 1538:

En 1606, Nicot généralise la première: "Table de quelque metail que ce soit, Lamina"; supprime les deux suivantes et garde plus ou moins telles quelles les deux dernières, sans doute parce qu'elles contiennent alors un sémème du mot seul (table = "calculus", table = "index"). Comme le montrent les items de l'article TABLE cités ici, il est parfois difficile de distinguer formellement, dans la séquence française, un segment 'genre prochain' d'un segment 'sémème'. Dans le premier cas, le complément définitionnel est nécessaire à l'équation sémique; dans le deuxième cas, il peut être sous-entendu. Ainsi, lamina pourrait être interprété soit "Table de quelque metail que ce soit", soit "Table (de quelque metail que ce soit)". [186]

Quelquefois, à la place d'une différence spécifique, Estienne donne une dénomination française:

Dans ces deux cas, c'est la dénomination française qui coïncide avec l'adresse de l'article du dictionnaire français-latin, et non le terme générique. Dans l'exemple suivant, il y a en même temps une différence spécifique et une dénomination, de sorte que celle-ci est définie par ce qui la précède. Classée sous le mot correspondant au terme générique, l'entrée commence par une définition d'encodage double -- encodage monolingue et bilingue: Enfin, s.v. Taute (E 1539), on trouve une entrée encore plus complexe qui combine les deux types précédents: 2.2.2.2.4. Définitions générales et définitions particulières

Les synonymes simples ne sont pas des définitions au sens strict du terme, [189] et, dans l'énoncé définisseur, ne peuvent cerner l'aire sémantique de l'adresse que de façon très générale et vague, quoique le degré de généralité soit en rapport inverse avec le nombre de synonymes donnés. Ainsi, APPERT est bien mieux défini dans N 1606 ("C'est viste, isnel & habile") que dans E 1549-ND 1573 ("- & habile") et mieux défini que ACCROISSANCE ("accroissement" ND 1573), d'autant plus que ACCROISSEMENT est défini à la ligne suivante "Accroissance". [190] Autrement générales sont les séquences définitionnelles qui ne contiennent, en français, que le genre prochain:

La définition "Ce où il y a bien du burre" (N 1606 s.v. Burré, adj. m.) est plus générale (abstraite) que "La viande en laquelle on a mis beaucoup de burre" (N 1606 s.v. Burrée, adj. f.). Une paraphrase qui cherche à être explicitement compréhensive sera, elle aussi, un type de définition générale: La définition de ACCOLLER ("signifie proprement embrasser quelqu'vn, luy iettant les bras autour du col, mais on en vse aussi generalement pour embrasser" N 1606) comprend son emploi figuré (cf. "le trauersin qui croise accollant le mast de misaine" ND 1573 s.v. Barreaux), tandis que celle de ARBRE ("Signifie en general toute plante de grosses racines, gros tronc escorçu, esleuée en fueillu & escorçu branchage" N 1606) l'exclut (cf. "arbres d'un nauire" T 1564 s.v. Banderolle). [191] Lorsqu'une paraphrase renferme au moins un sème qui n'est pas partagé par le sémème du mot imbriqué dans un contexte donné, on peut parler de définition (relativement) particulière. À cet égard, la définition donnée ci-dessus de ARBRE est beaucoup moins particulière que celle de CYLINDRE ("est une piece de bois ronde & longue, ayant ..." E 1549) qui exclut toute autre matière que le bois (cf. "le Cylindre estoit de pierre" ND 1573 s.v. Bate). Parmi d'autres définitions exclusives, notons: 2.2.2.2.5. Traitement par le contexte

Outre qu'il reçoit un traitement explicite dans la ou les séquences définitionnelles éventuelles, le sémantisme du mot-adresse est en jeu dans les items phraséologiques.

Suivant une définition (simple ou composée), les exemples peuvent ou bien y ajouter des valeurs d'emploi:

ou des acceptions: En l'absence d'une définition en français, les exemples d'emploi peuvent expliciter, dans une certaine mesure, les acceptions potentiellement contenues dans le ou les équivalents latins liminaires. Par exemple, dans E 1539, les sens "idiome" et "organe", contenus dans "La langue Latine" et "Couper la langue a aucun", sont virtuels dans l'entrée-vedette "Langue, Lingua, Glossa" (N 1606 définit les deux). D'autre part, des acceptions exclues du premier item bilingue sont souvent consignées dans les séquences phraséologiques. Par exemple, "Bois, Lignum" (E 1539) ne comprend pas le sens de "lieu" ("Vng bois de plaisance"), ni "Bruit, Sonitus, Tumultus, Tumultuatio" (E 1539) celui de "rumeur" ("Bruit de quelque chose nouuelle").

À la place d'une entrée principale générique (adresse définie en français ou traduite en latin), les trois premières éditions du Dictionaire françois-latin mettent souvent en tête d'article une entrée spécifique (adresse imbriquée dans son premier exemple d'emploi): "Assister a la guerre" (E 1539 s.v. Assister). Dans ce cas, chaque nouvel exemple risque d'introduire une extension d'emploi sinon une acception différente. Ainsi, la deuxième entrée pour ASSISTER est "Assister en quelque lieu", plus générale que la première et englobant la troisième, "Assister, & estre present es assemblees du peuple". La quatrième introduit une deuxième acception: "Assister a aucung & luy aider". Ce genre de présentation exclut, en principe, tout complément ou déterminant qui ne soit pas donné, explicitement ou génériquement, dans la liste d'exemples. De la sorte, l'article CAUSER ("Causer vn endormissement // C'est vne des choses qui cause crainte") ne comprend pas l'emploi des compléments tremeur et esmotion ("tremeur causée ... de peur" s.v. Abhorrir, "esmotion de vague & flots, causée de tourbillon de vent" s.v. Birrasque).

Un procédé que la lexicographie contemporaine a remis en honneur [193] est celui qui consiste en la définition du mot en contexte. En plus de l'exemple donné plus haut ("Assister a aucung & luy aider" ), citons:

2.2.2.2.6. Statut synonymique de l'énoncé définisseur: l'identité des fonctions

Que la séquence définitionnelle soit purement métalinguistique ou qu'elle puisse fonctionner aussi en langue (cf. 2.2.2.2.1), le consulteur moderne s'attend à ce qu'elle ait la même fonction grammaticale que le défini. [195] C'est une condition nécessaire à l'équation sémantique.

Dans les items monolingues du Thresor, la règle de l'identité des fonctions est respectée dans la plupart des cas:

  1. Nom

    Courtisane ... la Dame, Damoiselle ou chapperonniere suyuant la court d'vn Prince (N 1606)

    GORGIAS ... cette piece d'habillement ... dont les femmes ... bandoient le bas de leur poitrine (N 1606)

    Hardes ... vn amas de menu equipage seruant à l'vsage de la personne (N 1606)

    FOVLE ... presse de gens allans tumultuairement ensemble (ND 1573)

    COVRTISAN ... celuy qui suit la court d'vn Prince (N 1606)

    Filles Penitentes ... celles qui laissants la vie lubrique se rendent au monastere (N 1606)

  2. Adjectif

    GOVLARD ... goulu, gourmant (ND 1573)

    GROSSIER ... lourd d'esprit (N 1606)

    GORGIAS ... proprement & mignonnement habillé (N 1606)

    MARTIAL ... qui appartient à Mars presidant au fait des armes, ou digne de Mars, ou qui resemble à Mars (N 1606)

    FORCENÉ ... hors du sens ... ayant le sens troublé au moyen de quelque vision (ND 1573)

  3. Adverbe

    BIEN ... positiuement ... superlatiuement (N 1606)

    Fraudulemment ... par ou auec fraude, tromperie & deception (N 1606)

  4. Verbe

    DESCOGNOISTRE ... n'auoir plus cognoissance de ce qu'autrefois on a cogneu ... nier, desauoüer (N 1606)

    GREVER ... Porter dommage à aulcun (ND 1573)

    Courtiser ... faire la court par suyte & offices d'obedience & respect à vn plus grand (N 1606)

  5. Préposition

    DE ... par (N 1606)

    A ... selon ... en ... pour ... De ... Auec (ND 1573)

En cas de difficulté ou simplement par facilité, Nicot a parfois recours à un définisseur latin ayant même fonction grammaticale que le défini français: Les exceptions à la règle sont de plusieurs sortes. D'abord, à l'époque de Nicot, le nom substantif et le nom adjectif étaient moins clairement distingués qu'aujourd'hui. Cela donne des propositions relatives définissant des noms, et des pronoms démonstratifs, voire des noms, pour définir des adjectifs: On peut noter que les propositions relatives traduisant un nom latin sont très fréquentes dans les items bilingues d'Estienne (cf. 2.2.1.1.4): "Qui prend gage d'aucung, Pignerator" (E 1539 s.v. Gage). Un deuxième type d'exceptions concerne l'emploi, dans la définition, d'une proposition circonstancielle introduite par quand. Cette construction constitue une sorte de définition naturelle qui se rencontre dans l'usage ordinaire de la langue ("(Un) X c'est quand ..."), mais qui est proscrite par la lexicographie moderne puisqu'elle est sentie comme inexacte et agrammaticale. Le procédé est utilisé par Nicot, quoique rarement: Il est fréquent dans les items bilingues d'Estienne: "Quand une fumee & uapeur sort de quelque chose, Vaporatio" E 1539 s.v. Fumée; "Quand les deux parties qui plaident s'entr'entendent ensemble pour tromper ung tiers, Colludere" E 1539 s.v. Partie. Un troisième cas concerne les mots grammaticaux. Les solutions apportées au problème du traitement sémantique de ces mots à contenu sémique pauvre sont variables. En plus des équations monolingues ou bilingues à fonction identique des deux termes (cf. ci-dessus A et DE), il est possible de rencontrer chez Nicot des nominalisations: On est proche de la deuxième métalangue, qui traite le signe total (cf. "DE ... preposition locale"). En fait, comme dans les dictionnaires modernes, c'est la deuxième métalangue qui se substitue souvent à la première dans le traitement des mots outils: Il est bien entendu que de nombreux mots ne reçoivent, dans le Thresor, aucun traitement sémantique explicite.

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