Autre marque de sa québécité, les occurrences métalinguisiques (traitement dictionnairique, discussions de la graphie ou de l'usage, présentation dans des listes de mots typiquement québécois) sont aussi nombreuses que les occurrences linguistiques (emploi dans un texte sur le monde et non sur les mots).
Ce statut de mot marqué s'illustre dans certains contextes-clés: le Dictionnaire des identités culturelles de la francophonie (A.14=B.13, B.14); le long article des Archives – Laurier Gareau (B.17), qui discute de sens, formes et étymologie en s'appuyant sur plusieurs dictionnaires; les deux pages de la revue de vulgarisation Québec français mentionnées par le CIRAL (B.15); et le fait que enfirouâper ait été désigné "mot de la semaine" en mars 1999 (B.16).
Du côté de l'emploi du mot enfirouaper (y compris variantes et dérivés) dans des textes parlant du monde, on est frappé par sa fréquence en poésie (A.1=B.1, B.2, B.3) et par deux occurrences où ce sont des maîtresses qui se laissent (ou ne veulent pas se laisser) enfirouaper par leurs animaux chéris (B.4, B.5). Le sens à connotation affective "séduire" (résistance mitigée de la part du soumis, qui se laisse conquérir en connaissance de cause) contraste avec celui à connotation agressive et péjorative de "tromper" (résistance neutralisée); seul le second est donné par les dictionnaires, si l'on excepte l'ambigu "enjôler, emmiauler" de Dulong 1989.
Dans le poème B.3, enfirouaper est en cooccurrence avec séduire et conquérir c'est le pouvoir des gestes; alors que les mots, comme c'est le cas de l'usage prépondérant d'enfirouaper dans les autres textes, ont celui de mentir, de tromper (cf. "Comme un politicien, le génie cherchait un moyen D'm'enfirouaper, c'est ben certain, c't'un beau menteur" dans le poème B.2). L'enfirouapage est en effet presque toujours associé aux manipulations politiques: A.5=B.12, A.6, A.7, A.8, A.9=B.10, B.7, B.8, B.9, B.11. La différence entre séduction consentie et agression brute est marquée par les deux constructions factitives, se laisser enfirouaper et se faire enfirouaper; seule la seconde est notée dans les dictionnaires (Laurier Gareau, B.17, relève un exemple de se laisser enfirouaper dans le Dictionnaire de la langue québécoise rurale de David Rogers).
Le mot serait hors registre socio-linguistique: il s'emploie aussi bien dans un débat de l'Assemblée nationale du Québec (A.6, cf. A.5=B.12), que dans un journal (A.3, A.4), dans une revue à apparence savante (A.10) ou sur une page de libres propos (A.7, A.8, A.9=B.10, B.7, B.8, B.9, B.11). C'est un mot à usage contestataire, polémique: pour donner plus de force à ce qui est dit, on appuie sur l'expressivité du mot (origine populaire, phonétisme onomatopéique) en le mettant volontiers entre guillemets (A.5=B.12, A.7, A.9=B.10, B.9, B.11) ou en attirant l'attention sur le mot par un commentaire (B.7, B.8).
Forme (dont formes fléchies) | Catégorie | Occurrence linguistique | Occurrence métalinguistique WWW | Occurrence dictionnairique papier |
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enfirouaper | v. | A.1=B.1, A.3, A.4, A.5=B.12, A.9=B.10, B.2, B.3, B.4, B.5, B.9, B.11 | A.12=B.22, A.13=B.20, A.14=B.13, A.15=B.21, B.14, B.15, B.17, B.18, B.23, B.25 | C.5, C.7, C.8, C.9, C.10, C.11, C.14 |
enfirouâper | v. | A.6 | A.11=B.24, B.8, B.16, B.17 | C.1, C.2, C.3, C.4, C.6, C.13 |
emfirouaper | v. | B.17 | ||
anfirouaper | v. | C.7 | ||
anfirouâper | v. | B.19 | C.1, C.4 | |
enfirwaper | v. | C.9 | ||
enfirwâper | v. | B.17 | ||
enfrouapper | v. | C.9 | ||
enfirouapé | adj. | A.10 | ||
enfirouâpé | adj. | A.11=B.24 | C.6 | |
enfirouapé | n.m. | A.2=B.6 | ||
enfirouapage | n.m. | A.7, B.7 | ||
enfirouâpage | n.m. | B.8 | ||
enfirouapeux | adj. et n. | A.8 | C.7 | |
enfirouâpeur | n. | C.12 | ||
enfirouapette | n.f. | C.7 | ||
enfirouâpette | n.f. | A.11=B.24 | C.4, C.6 | |
enfiferouaper | v. | C.7 | ||
enfiferouâper | v. | B.17 | C.1, C.4 | |
anfiferouâper | v. | C.1, C.4 | ||
enfiferouâpé | p.p.=adj. | C.1, C.4 | ||
anfiferouâpé | adj. | C.4 |
Le mot enfirouaper n'est pas neutre. Québécisé par les fréquents commentaires et recensions métalinguistiques, il se prête par sa résonance orale, d'une part à l'affectif de la poésie et du pouvoir séducteur des animaux, d'autre part à l'agression de la polémique ou de la duperie politicienne.
Puisse ce modeste examen d'enfirouaper en synchronie contribuer à compléter la description diachronique tant attendue du futur Dictionnaire historique du français québécois dont les Presses de l'Université Laval ont publié un échantillon en 1998.
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