NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - Enquête

Le Livre 010101: Enquête (2001)
6. L'édition électronique

6.1. Un développement rapide
6.2. Un service complémentaire pour les éditeurs "classiques"
6.2.1. L'exemple des éditions du Choucas
6.3. Les éditeurs en ligne francophones
6.3.1. Editel, créé en 1995
6.3.2. CyLibris, créé en 1996
6.3.3. Diamedit, créé en 1997
6.3.4. 00h00.com, créé en 1998
6.3.5. La Grenouille Bleue / Gloupsy, créé en 1999
6.3.6. Luc Pire électronique, créé en 2001
6.4. Vers un nouveau type d'édition?
6.4.1. L'auto-édition, solution adoptée par certains auteurs
6.4.2. Un pari en cours: l'édition de la littérature hypertexte et hypermédia
6.4.3. Un pari à venir: l'édition de documentaires hypertextes et hypermédias


6.1. Un développement rapide

De plus en plus de livres et de revues sont publiés en deux versions: numérique et imprimée. Ce qui, après tout, est assez logique puisque tout document imprimé récent est précédé d'une version électronique sur traitement de texte, tableur ou base de données. Certaines publications sont uniquement numériques, ou n'existent désormais plus qu'en version numérique. L'édition électronique est désormais en bonne place à côté de l'édition traditionnelle, du fait des avantages qu'elle offre: stockage plus simple, accès plus rapide, diffusion plus facile, coût moins élevé, etc. Tôt ou tard, tous les livres et revues auront une version numérique, et il deviendra probablement ridicule d'établir une distinction entre document électronique et document imprimé, si ce n'est le choix du support.

Pour la publication d'ouvrages et de périodiques à caractère scientifique, dans lesquels l'information la plus récente est primordiale, la numérisation permet de s'orienter vers une diffusion en ligne qui rend beaucoup plus facile les réactualisations régulières. Point n'est besoin d'attendre une nouvelle édition imprimée soumise aux contraintes commerciales et aux exigences de l'éditeur. Si nécessaire, une édition imprimée est toujours possible, mais uniquement à la demande, ou tout simplement en tirant les quelques pages nécessaires sur son imprimante. Certaines universités produisent des manuels "sur mesure" composés d'un choix de chapitres sélectionnés dans une base de données, choix complété par divers articles et commentaires. Pour un séminaire, une conférence, ou toute autre manifestation, un très petit tirage peut être effectué à partir d'un choix de textes électroniques.

Le numérique amène une certaine zizanie dans le monde de l'édition, ce qui n'est peut-être pas un mal: des éditeurs vendent directement leurs titres en ligne, des éditeurs numériques et librairies numériques diffusent les versions numériques de livres publiés par des éditeurs "classiques", des auteurs s'auto-éditent ou promeuvent eux-mêmes leurs oeuvres publiées, des sites littéraires se chargent de promouvoir de nouveaux auteurs pour pallier les carences de l'édition traditionnelle, etc.


6.2. Un service complémentaire pour les éditeurs "classiques"

Très vite, des éditeurs "classiques" exploitent les possibilités de l'internet pour faciliter et renforcer leur activité. On prendra ici l'exemple des éditions du Choucas, petit éditeur indépendant basé dans la région d'Annecy (Haute-Savoie).

6.2.1. L'exemple des éditions du Choucas

En 1992, Nicolas et Suzanne Pewny fondent les éditions du Choucas, spécialisées dans la littérature et les livres d'art. Ils créent leur site web dès novembre 1996. "Lorsque je me suis rendu compte des possibilités que l'internet pouvait nous offrir, je me suis juré que nous aurions un site le plus vite possible, explique Nicolas Pewny en juin 1998. Un petit problème: nous n'avions pas de budget pour le faire réaliser. Alors, au prix d'un grand nombre de nuits sans sommeil, j'ai créé ce site moi-même et l'ai fait référencer (ce n'est pas le plus mince travail). Le site a alors évolué en même temps que mes connaissances (encore relativement modestes) en la matière et s'est agrandi, et il a commencé à être un peu connu même hors de France et d'Europe.

Le changement que l'internet a apporté dans notre vie professionnelle est considérable. Nous sommes une petite maison d'édition installée en province. L'internet nous a fait connaître rapidement sur une échelle que je ne soupçonnais pas. Même les médias 'classiques' nous ont ouvert un peu leurs portes grâce à notre site. Les manuscrits affluent par le courrier électronique. Ainsi nous avons édité deux auteurs québécois. Beaucoup de livres se réalisent (corrections, illustrations, envoi des documents à l'imprimeur) par ce moyen. Dès le début de l'existence du site, nous avons reçu des demandes de pays ou nous ne sommes pas (encore) représentés: Etats-Unis, Japon, Amérique latine, Mexique, malgré notre volonté de ne pas devenir un site commercial mais un site d'information et à connotation culturelle (nous n'avons pas de système de paiement sécurisé, etc., nous avons juste référencé sur une page les libraires qui vendent en ligne). (...) Nous voudrions bien rester aussi peu commercial que possible et augmenter l'interactivité et le contact avec les visiteurs du site. Y réussirons-nous? Nous avons déjà reçu des propositions qui vont dans un sens opposé. Nous les avons mis en veille. Mais si l'évolution va dans ce sens, pourrons-nous résister, ou trouver une voie moyenne? Honnêtement, je n'en sais rien."

Un an après, en juillet 1999, Nicolas Pewny relate: "Tous nos titres récents sont présentés sur le web, on peut contacter nos auteurs, participer à un jeu-concours, consulter le début - parfois le texte intégral - des nouveautés. Le texte intégral? Oui, nous croyons à la survie du livre dans son format classique parallèlement au format électronique. Le livre, ce n'est pas seulement un texte. C'est aussi un objet que l'on aime toucher, montrer, emmener en voyage, prêter... Nous pensons que le fait de pouvoir consulter le texte incite à se procurer le livre (si on a aimé bien sûr). La maintenance et les mises à jour du site, le courrier électronique, etc. sont devenus pour moi une tâche quotidienne s'ajoutant aux autres: mise en page des textes, correction, création des couvertures, rapport avec les auteurs, avec les médias, suivi de la distribution-diffusion, etc. Car comme dans d'autres petites maisons d'édition nous faisons tout nous-mêmes (sauf l'impression). A la suite de la mise en ligne de Corrida, l'exposition virtuelle Lorca-Puig, et plus récemment du site pour la recherche de sponsors pour Mon copain de Pékin, un livre de photographies dédié à Pékin, il semblerait que nous soyons amenés à créer des sites ayant un rapport avec l'art et/ou le livre. (...) Nous avons mis le début de chaque livre en format PDF et pour quelques livres le texte intégral en ligne. Un jeu-concours qui remporte un certain succès a aussi été mis en place. On peut gagner le livre de son choix. Beaucoup de nos visiteurs nous reprochaient de ne pouvoir acheter en ligne sur notre site. Après pas mal d'hésitations nous avons choisi Alapage pour la qualité de son service et pour la fiabilité de leur base de données. Néanmoins la page des librairies en ligne est toujours sur notre site si l'on préfère acheter ailleurs. Nous avons déjà quelques interviews d'auteurs disponibles en RealAudio sur une de nos pages. Nous allons essayer d'en faire d'autres avec de la vidéo. Enfin une alternative du site en DHTML, Javascript, Flash, existe. Nous la mettrons parallèlement en ligne à l'automne (1999)."

Fin 1999, séduit par les Fables pour l'an 2000 de Raymond Godefroy, écrivain-paysan normand, Nicolas Pewny crée la version web de ce recueil. En 2000, les éditions du Choucas lancent plusieurs versions numériques de leurs publications en partenariat avec 00h00.com et Mobipocket.

Mais le bilan des années 1992-2001 est assez lourd: dix ans de travail acharné pour publier une quarantaine de titres à l'enseigne du Choucas et de nombreux autres titres pour des tiers, des revenus sans aucune comparaison avec le travail investi, et enfin le dépôt de bilan de Distique, leur distributeur. En mars 2001, Nicolas et Suzanne Pewny décident de cesser leur activité d'éditeur, tout en condamnant sévèrement l'attitude du ministère de la Culture à l'égard des petits éditeurs indépendants. "Le soutien à la publication, à la distribution, à l'existence du livre me semblent importants, si l'on veut éviter que l'édition, dans le futur, ne soit l'apanage de deux ou trois grands groupes, écrit Nicolas Pewny en juin 2001. (...) Mais je ne regrette pas ces dix années de lutte de satisfactions et de malheurs passés aux éditions du Choucas. J'ai connu des auteurs intéressants dont certains sont devenus des amis... Maintenant je fais des publications et des sites internet pour d'autres. En ce moment pour une ONG (organisation non gouvernementale) internationale caritative; je suis ravi de participer (modestement) à leur activité à but non lucratif. Enfin on ne parle plus de profit ou de manque à gagner, c'est reposant."


6.3. Les éditeurs en ligne francophones

Comme on le verra dans les lignes qui suivent, une place importante est occupée par l'édition en ligne non commerciale. A ceux qui se demandent s'il s'agit là de véritables éditeurs, on rétorquera que le fait de publier des versions numériques de livres publiés en version imprimée par d'autres maisons d'édition ne constitue peut-être pas non plus une véritable activité d'édition. Pourquoi n'y aurait-il pas enfin de la place pour tout le monde: éditeurs commerciaux, éditeurs non commerciaux, éditeurs de versions numériques, etc.? Pourquoi l'édition en ligne devrait-elle dès ses débuts être monopolisée par une seule maison d'édition ayant le réseau de relations nécessaire et le soutien des médias? Et reproduire ainsi le schéma de l'édition traditionnelle, à savoir la difficulté qu'ont les petits éditeurs d'être entendus et diffusés, et tout simplement d'exister face à quelques maisons d'édition ayant pignon sur rue?

6.3.1. Editel, créé en 1995

Dès avril 1995, Pierre François Gagnon, un québécois passionné de littérature, décide d'utiliser le numérique pour la réception des textes, leur stockage et leur diffusion. Il crée Editel, le premier site web d'auto-édition collective de langue française, devenu ensuite un site de cyberédition non commerciale en partenariat avec les auteurs maison (35 textes téléchargeables en janvier 2001) et un webzine littéraire.

En juillet 2000, il relate: "En fait, tout le monde et son père savent ou devraient savoir que le premier site d'édition en ligne commercial fut CyLibris (créé en août 1996 par Olivier Gainon, ndlr), précédé de loin lui-même, au printemps de 1995, par nul autre qu'Editel, le pionnier d'entre les pionniers du domaine, bien que nous fûmes confinés à l'action symbolique collective, faute d'avoir les moyens de déboucher jusqu'ici sur une formule de commerce en ligne vraiment viable et abordable, bien qu'il n'existe toujours pas de support de lecture 'grand public' qui soit crédible pour la publication payante de livres numériques. Nous l'attendons toujours dans le courant de l'an 2000! Nous sommes actuellement trois mousquetaires (Pierre François Gagnon, Jacques Massacrier et Mostafa Benhamza, ndlr) à développer le contenu original et inédit du webzine littéraire qui continuera de servir de façade d'animation gratuite, offerte personnellement par les auteurs maison à leur lectorat, à d'éventuelles activités d'édition en ligne payantes, dès que possible au point de vue technico-financier. Est-il encore réaliste de rêver à la démocratie économique? Tout ce que j'espère de mieux (...), c'est que les nouveaux supports de lecture, ouverts et compatibles grâce au standard OeB (Open eBook), s'imposeront d'emblée comme des objets usuels indispensables, c'est-à-dire multifonctionnels et ultramobiles, intégrant à la fois l'informatique, l'électronique grand public et les télécommunications, et pas plus dispendieux qu'une console de jeux vidéo."

6.3.2. CyLibris, créé en 1996

Fondé en août 1996 à Paris par Olivier Gainon, CyLibris (de Cy, cyber et Libris, livre) utilise l'internet et le numérique pour s'affranchir des contraintes liées à l'économie traditionnelle du livre. L'éditeur peut ainsi se consacrer à la découverte et à la promotion de nouveaux auteurs littéraires francophones, et à la publication de leurs premières oeuvres (romans, poésie, théâtre, policier, science-fiction, fantastique, etc.). Si CyLibris est avant tout un tremplin pour les nouveaux talents, les auteurs confirmés y ont aussi leur place (voir à ce sujet l'entretien avec Emmanuel Ménard, directeur des publications, qui expose en détail la procédure éditoriale de CyLibris).

Vendus uniquement sur le web, avec des extraits en téléchargement libre au format texte, les livres (52 titres en juin 2001) sont imprimés à la commande et envoyés directement au client, ce qui permet d'éviter le stock et les intermédiaires. Le site procure des informations pratiques à destination des auteurs en herbe: comment envoyer un manuscrit à un éditeur, ce que doit comporter un contrat d'édition, comment protéger ses manuscrits, etc. Au printemps 2000, CyLibris devient membre du Syndicat national de l'édition (SNE).

"CyLibris a été créé d'abord comme une maison d'édition spécialisée sur un créneau particulier de l'édition et mal couvert à notre sens par les autres éditeurs: la publication de premières oeuvres, donc d'auteurs débutants, explique Olivier Gainon. Nous nous intéressons finalement à la littérature qui ne peut trouver sa place dans le circuit traditionnel: non seulement les premières oeuvres, mais les textes atypiques, inclassables ou en décalage avec la mouvance et les modes littéraires dominantes. Ce qui est rassurant, c'est que nous avons déjà eu quelques succès éditoriaux (grand prix de la Société des gens de lettres (SGDL) en 1999 pour La Toile de Jean-Pierre Balpe, prix de la litote pour Willer ou la trahison de Jérôme Olinon en 2000, etc.).

Ce positionnement de 'défricheur' est en soi original dans le monde de l'édition, mais c'est surtout son mode de fonctionnement qui fait de CyLibris un éditeur atypique. Créé dès 1996 autour de l'internet, CyLibris a voulu contourner les contraintes de l'édition traditionnelle grâce à deux innovations: la vente directe par l'intermédiaire d'un site de commerce sur internet, et le couplage de cette vente avec une impression numérique en 'flux tendu'. Cela permettait de contourner les deux barrières traditionnelles dans l'édition: les coûts d'impression (et de stockage), et les contraintes de distribution. Notre système gérait donc des flux physiques: commande reçue par internet - impression du livre commandé - envoi par la poste. Je précise que nous sous-traitons l'impression à des imprimeurs numériques, ce qui nous permet de vendre des livres de qualité équivalente à celle de l'offset, et à un prix comparable. Notre système n'est ni plus cher, ni de moindre qualité, il obéit à une économie différente, qui, à notre sens, devrait se généraliser à terme.

Aujourd'hui, CyLibris développe une activité de distribution de 'livres numériques', c'est-à-dire de fichiers téléchargeables. Nous n'avons pas lancé cette activité au départ car il nous semblait que les outils de sécurisation (c'est-à-dire permettant une réelle prise en charge des droits d'auteur) n'existaient pas il y a quatre ans. Les technologies évoluent, et nous sommes en train de tester plusieurs technologies pour lancer une réelle activité de livres numériques en 2001. Nous quittons donc notre métier d'éditeur pur pour nous intéresser de plus en plus aux technologies autour du livre sur internet. Bien entendu, nous pensons à faire bénéficier d'autres éditeurs de ce savoir-faire que nous sommes en train d'acquérir."

En quoi consiste exactement l'activité d'Olivier Gainon? "Je décrirais mon activité comme double. D'une part celle d'un éditeur traditionnel dans la sélection des manuscrits et leur retravail (je m'occupe directement de la collection science-fiction) , mais également le choix des maquettes, les relations avec les prestataires, etc. D'autre part, une activité internet très forte qui vise à optimiser le site de CyLibris et mettre en oeuvre une stratégie de partenariat permettant à CyLibris d'obtenir la visibilité qui lui fait parfois défaut. Enfin, je représente CyLibris au sein du SNE (Syndicat national de l'édition). CyLibris est aujourd'hui une petite structure. Elle a trouvé sa place dans l'édition, mais est encore d'une économie fragile sur internet. Notre objectif est de la rendre pérenne et rentable et nous nous y employons. Je pense que les choses changent et j'espère qu'en 2002 nous aurons doublé notre taille et que nous serons proche de l'équilibre."

Par ailleurs, l'équipe de CyLibris lance en mai 1999 une lettre d'information électronique sur le monde de l'édition francophone. Souvent humoristique et décapante, la lettre, d'abord mensuelle, paraît deux fois par mois à compter de février 2000. Elle change de nom en février 2001 pour devenir Edition-actu. Depuis ses débuts, son objectif n'est pas tant de promouvoir les livres de l'éditeur que de présenter l'actualité du livre tous azimuts.

6.3.3. Diamedit, créé en 1997

Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires, est conçu en 1997 par Jacky Minier. "J'ai imaginé ce site d'édition virtuelle il y a maintenant plusieurs années, à l'aube de l'ère internautique francophone, explique-t-il. A l'époque, il n'y avait aucun site de ce genre sur la toile à l'exception du site québécois Editel de Pierre François Gagnon. J'avais alors écrit un roman et quelques nouvelles que j'aurais aimé publier mais, le système français d'édition classique papier étant ce qu'il est, frileux et à la remorque de l'Audimat, il est devenu de plus en plus difficile de faire connaître son travail lorsqu'on n'est pas déjà connu médiatiquement. J'ai donc imaginé d'utiliser le web pour faire la promotion d'auteurs inconnus qui, comme moi, avaient envie d'être lus. Diamedit est fait pour les inédits. Rien que des inédits. Pour encourager avant tout la création.

Je suis, comme beaucoup de pionniers du net sans doute, autodidacte et multiforme. A la fois informaticien, écrivain, auteur de contenus, webmestre, graphiste au besoin, lecteur, correcteur pour les tapuscrits des autres, et commercial, tout à la fois. Mon activité est donc un mélange de ces diverses facettes. Toutefois, de plus en plus, je suis amené à me consacrer davantage à la promotion de mes sites que j'avais jusque-là tendance à négliger un peu, et j'envisage de déléguer largement la sélection des tapuscrits aux auteurs eux-mêmes, qui coopteraient ainsi entre eux les nouveaux venus. De cette manière, le cercle grandissant de passionnés de l'écriture devrait maintenir de lui-même un niveau de qualité suffisant pour conserver ou amplifier l'attrait que Diamedit exerce sur ses lecteurs."

Comment Jacky Minier voit-il l'avenir? "Souriant. Je le vois très souriant. Je crois que le plus dur est fait et que le savoir-faire cumulé depuis les années de débroussaillage verra bientôt la valorisation de ces efforts. Le nombre des branchés francophones augmente très vite maintenant et, même si en France on a encore beaucoup de retard sur les Amériques, on a aussi quelques atouts spécifiques. En matière de créativité notamment. C'est pile poil le créneau de Diamedit. De plus, je me sens moins seul maintenant qu'il y a seulement deux ans. Des confrères sérieux ont fait leur apparition dans le domaine de la publication d'inédits. Tant mieux! Plus on sera et plus l'expression artistique et créatrice prendra son envol. En la matière, la concurrence n'est à craindre que si on ne maintient pas le niveau d'excellence. Il ne faut pas publier n'importe quoi si on veut que les visiteurs comme les auteurs s'y retrouvent."

6.3.4. 00h00.com, créé en 1998

Créées par Jean-Pierre Arbon, ancien directeur de Flammarion, et Bruno de Sa Moreira, ancien directeur de Flammarion Multimédia, les éditions 00h00.com (prononcer: zéro heure) débutent leur activité en mai 1998. "La création de 00h00.com marque la véritable naissance de l'édition en ligne (ou plus exactement de l'édition numérique commerciale, ndlr), lit-on sur le site web. C'est en effet la première fois au monde que la publication sur internet de textes au format numérique est envisagée dans le contexte d'un site commercial, et qu'une entreprise propose aux acteurs traditionnels de l'édition (auteurs et éditeurs) d'ouvrir avec elle sur le réseau une nouvelle fenêtre d'exploitation des droits. Les textes offerts par 00h00.com sont soit des inédits, soit des textes du domaine public, soit des textes sous copyright dont les droits en ligne ont fait l'objet d'un accord avec leurs ayants-droit. (...) Internet est un lieu sans passé, où ce que l'on fait ne s'évalue pas par rapport à une tradition. Il y faut inventer de nouvelles manières de faire les choses. (...) Le succès de l'édition en ligne ne dépendra pas seulement des choix éditoriaux: il dépendra aussi de la capacité à structurer des approches neuves, fondées sur les lecteurs autant que sur les textes, sur les lectures autant que sur l'écriture, et à rendre immédiatement perceptible qu'une aventure nouvelle a commencé."

Les 600 titres du catalogue - essentiellement des rééditions numériques d'ouvrages publiés par d'autres éditeurs - sont disponibles sous la forme d'un exemplaire numérique et d'un exemplaire papier. D'après l'éditeur, les exemplaires numériques représentent 85% des ventes. Les collections sont très diverses: 2003 (nouvelles écritures), actualité et société, communication et NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication), poésie, policiers, science-fiction, etc. Pas de stock, pas de contrainte physique de distribution, mais un lien direct avec le lecteur et entre les lecteurs. Sur le site, les lecteurs peuvent créer leur espace personnel afin d'y rédiger leurs commentaires, recommander des liens vers d'autres sites, participer à des forums, etc.

Les éditions 00h00.com sont rachetées en septembre 2000 par l'américain Gemstar, société leader dans le domaine des technologies et systèmes interactifs pour les produits numériques. Après avoir acquis en janvier 2000 les deux sociétés américaines à l'origine des premiers modèles de livres électroniques, NuvoMedia, créatrice du Rocket eBook, et Softbook Press, créatrice du Softbook Reader, Gemstar continue ainsi d'étendre son empire en accédant cette fois au marché francophone. Selon Henry Yuen, président de Gemstar (cité par l'AFP), "les compétences éditoriales dont dispose 00h00.com et les capacités d'innovation et de créativité dont elle a fait preuve sont les atouts nécessaires pour faire de Gemstar un acteur majeur du nouvel âge de l'édition numérique qui s'ouvre en Europe". 00h00.com prépare le lancement en Europe du Gemstar eBook, livre électronique produit et commercialisé par Thomson Multimédia sous licence de Gemstar (voir 8.1 pour un descriptif plus complet).

6.3.5. La Grenouille Bleue / Gloupsy, créé en 1999

Marie-Aude Bourson, une lyonnaise passionnée de littérature et d'écriture, ouvre en septembre 1999 le site littéraire de la Grenouille Bleue. "L'objectif est de faire connaître de jeunes auteurs francophones, pour la plupart amateurs, explique-t-elle. Chaque semaine, une nouvelle complète est envoyée par e-mail aux abonnés de la lettre. Les lecteurs ont ensuite la possibilité de donner leurs impressions sur un forum dédié. Egalement, des jeux d'écriture ainsi qu'un atelier permettent aux auteurs de 's'entraîner' ou découvrir l'écriture. Un annuaire recense les sites littéraires. Un agenda permet de connaître les différentes manifestations littéraires." En décembre 2000, elle doit fermer le site pour un problème de marque. En janvier 2001, elle ouvre un nouveau site, Gloupsy.com, qui fonctionne selon le même principe que la Grenouille Bleue, "mais avec plus de 'services' pour les jeunes auteurs, le but étant de mettre en place une véritable plate-forme pour 'lancer' les auteurs". Elle envisage d'"en faire un jour une véritable maison d'édition avec impression papier des auteurs découverts".

6.3.6. Luc Pire électronique, créé en 2001

Lancé en février 2001, Luc Pire électronique est le département d'édition numérique des éditions Luc Pire, créées à l'automne 1994 et basées à Bruxelles et à Liège. Le catalogue de Luc Pire électronique, en cours de constitution, comprendra les versions numériques des livres déjà publiés par les éditions Luc Pire (300 titres au catalogue papier en juin 2001) et de nouveaux titres, soit en version numérique seulement, soit en deux versions, numérique et imprimée. Nicolas Ancion, son responsable éditorial, explique: "Ma fonction est d'une double nature: d'une part, imaginer des contenus pour l'édition numérique de demain et, d'autre part, trouver des sources de financement pour les développer. (...) Je supervise le contenu du site de la maison d'édition et je conçois les prochaines générations de textes publiés numériquement (mais pas exclusivement sur internet)."

Je pense que l'édition numérique n'en est encore qu'à ses balbutiements, ajoute-t-il. Nous sommes en pleine phase de recherche. Mais l'essentiel est déjà acquis: de nouveaux supports sont en train de voir le jour et cette apparition entraîne une redéfinition du métier d'éditeur. Auparavant, un éditeur pouvait se contenter d'imprimer des livres et de les distribuer. Même s'il s'en défendait parfois, il fabriquait avant tout des objets matériels (des livres). Désormais, le rôle de l'éditeur consiste à imaginer et mettre en forme des contenus, en collaboration avec des auteurs. Il ne fabrique plus des objets matériels, mais des contenus dématérialisés. Ces contenus sont ensuite 'matérialisés' sous différentes formes: livres papier, livres numériques, sites web, bases de données, brochures, CD-Rom, bornes interactives. Le département de 'production' d'un éditeur deviendrait plutôt un département d''exploitation' des ressources. Le métier d'éditeur se révèle ainsi beaucoup plus riche et plus large. Il peut amener le livre et son contenu vers de nouveaux lieux, de nouveaux publics. C'est un véritable défi qui demande avant tout de l'imagination et de la souplesse."


6.4. Vers un nouveau type d'édition?

6.4.1. L'auto-édition, solution adoptée par certains auteurs

Les éditeurs ne peuvent vivre sans les auteurs, alors que les auteurs peuvent enfin vivre sans les éditeurs. La création d'un site web leur permet de faire connaître leurs oeuvres en évitant les intermédiaires. C'est après avoir utilisé le circuit traditionnel des éditeurs - et avoir été passablement déçue par celui-ci - qu'Anne-Bénédicte Joly décide de s'auto-publier et d'utiliser le web pour se faire connaître. En avril 2000, elle crée son propre site. "Après avoir rencontré de nombreuses fins de non-recevoir auprès des maisons d'édition et ne souhaitant pas opter pour des éditions à compte d'auteur, j'ai choisi, parce que l'on écrit avant tout pour être lu (!), d'avoir recours à l'auto-édition, raconte-t-elle. Je suis donc un écrivain-éditeur et j'assume l'intégralité des étapes de la chaîne littéraire, depuis l'écriture jusqu'à la commercialisation, en passant par la saisie, la mise en page, l'impression, le dépôt légal et la diffusion de mes livres. Mes livres sont en règle générale édités à 250 exemplaires et je parviens systématiquement à couvrir mes frais fixes. Je pense qu'internet est avant tout un média plus rapide et plus universel que d'autres, mais je suis convaincue que le livre 'papier' a encore, pour des lecteurs amoureux de l'objet livre, de beaux jours devant lui. Je pense que la problématique réside davantage dans la qualité de certains éditeurs, pour ne pas dire la frilosité, devant les coûts liés à la fabrication d'un livre, qui préfèrent éditer des livres 'vendeurs' plutot que de décider de prendre le risque avec certains écrits ou certains auteurs moins connus ou inconnus.(...) Si l'internet et le livre électronique ne remplaceront pas le support livre, je reste convaincue que disposer d'un tel réseau de communication est un avantage pour des auteurs moins (ou pas) connus."

Elle place toutefois quelques espoirs dans l'édition numérique. "Certains éditeurs on line tendent à se comporter comme de véritables éditeurs en intégrant des risques éditoriaux comme le faisaient au début du siècle dernier certains éditeurs classiques. Les techniques modernes (édition numérique, e-book...) sont accessibles, n'exigent pas (ou de moins en moins) de moyens financiers importants et peuvent donc être au service de ces éditeurs. Ils jouent aujourd'hui le rôle de découvreur de talents. Il est à ma connaissance absolument inimaginable de demander à des éditeurs traditionnels d'éditer un livre en cinquante exemplaires. L'édition numérique offre cette possibilité, avec en plus réédition à la demande, presque à l'unité. En résumé, je souhaite que l'objet livre continue de vivre longtemps et je suis ravie que des techniques (internet, édition numérique, e-book...) offrent à des auteurs des moyens de communication leur permettant d'avoir accès à de plus en plus de lecteurs."

Ces commentaires font écho à ceux de Jacky Minier, créateur de Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires. "En matière d'édition numérique, (...) permettre une impression pour utilisation personnelle est un excellent moyen de promotion de l'auteur et de son oeuvre. Même si c'est un exemplaire gratuit. Et quand cet auteur (ou artiste) deviendra très connu, les mêmes éditeurs papier qui le boudent se jetteront dessus pour le publier alors qu'ils auraient à peine lu son manuscrit auparavant!"

Raymond Godefroy, écrivain-payan, a d'abord publié son recueil Fables pour l'an 2000 en version web sur le site des éditions du Choucas, en décembre 1999, avant d'envisager une version imprimée. "Internet représente pour moi un formidable outil de communication qui nous affranchit des intermédiaires, des barrages doctrinaires et des intérêts des médias en place, écrit-il fin 1999. Soumis aux mêmes lois cosmiques, les hommes, pouvant mieux se connaître, acquerront peu à peu cette conscience du collectif, d'appartenir à un même monde fragile pour y vivre en harmonie sans le détruire. Internet est absolument comme la langue d'Esope, la meilleure et la pire des choses, selon l'usage qu'on en fait, et j'espère qu'il ne permettra de m'affranchir en partie de l'édition et de la distribution traditionnelle qui, refermée sur elle-même, souffre d'une crise d'intolérance pour entrer à reculons dans le prochain millénaire."

Si certains auteurs manifestent un optimisme mesuré, d'autres ne se font pas d'illusion. "L'internet va me permettre de me passer des intermédiaires: compagnies de disques, éditeurs, distributeurs, écrit Jean-Paul, écrivain et musicien. Il va surtout me permettre de formaliser ce que j'ai dans la tête (et ailleurs) et dont l'imprimé (la micro-édition, en fait) ne me permettait de donner qu'une approximation. Puis les intermédiaires prendront tout le pouvoir. Il faudra alors chercher ailleurs, là où l'herbe est plus verte..."

6.4.2. Un pari en cours: l'édition de la littérature hypertexte et hypermédia

"La lucidité nous a ouvert les yeux sur quoi: un écran, constate Lucie de Boutiny, auteur multimédia. Dans ce rectangle lumineux des lettres. Depuis l'archaïque minitel si décevant en matière de création télématique, c'est bien la première fois que, via le web, dans une civilisation de l'image, l'on voit de l'écrit partout présent 24 h /24, 7 jours /7. Je suis d'avis que si l'on réconcilie le texte avec l'image, l'écrit avec l'écran, le verbe se fera plus éloquent, le goût pour la langue plus raffiné et communément partagé. Faudra-t-il s'en justifier encore longtemps devant les éditeurs en papier mâché qui ont des idées de parchemin fripé? Faut-il les consoler en leur précisant que la fabrique de littérature numérique emprunte les recettes de la littérature traditionnelle (y compris celle écrite avec la voix, ou transmise sur des tablettes, voire enregistrée sur des papyrus, etc.) et pas seulement. Bref, il serait temps de rafraîchir cette bonne vieille littérature franco-française en phase d'épuisement. Ce n'est pas si grave, notre patrimoine nous sauve mais voilà la drôle de 'mission' dont il convient de s'acquitter - ceci dit, les sermons, les positions qui risquent de se sanctifier en postures, les bonnes résolutions moralisantes, je m'en tape, mais pour le coup, j'y cède -, ou alors il faut s'arrêter de se plaindre de la désacralisation du livre comme vecteur de la connaissance et de la culture, de la désertion des lecteurs, de l'illettrisme rampant, de la tristesse désuète si austère du peuple des écrivains, de leur isolement subi, de la pauvreté des moyens financiers qu'on leur accorde, et cela face à une industrialisation concentrationnaire de l'édition qui assomme le livre à coups de pilon, etc."

Encore balbutiante, l'édition d'oeuvres de fiction hypertextuelle cherche sa voie. "L'HTX (littérature hypertextuelle, ndlr) qui passe par le savoir-faire technologique rapproche donc le techno-écrivain du scénariste, du BD dessinateur, du plasticien, du réalisateur de cinéma, quelles en sont les conséquences au niveau éditorial? Faut-il prévoir un budget de production en amont? Qui est l'auteur multimédia? Qu'en est-il des droits d'auteur? Va-t-on conserver le copyright à la française? L'HTX sera publiée par des éditeurs papier ayant un département multimédia? De nouveaux éditeurs vont émerger et ils feront un métier proche de la production? Est-ce que nous n'allons pas assister à un nouveau type d'oeuvre collective? Bientôt le sampling littéraire protégé par le copyleft?"

6.4.3. Un pari à venir: l'édition de documentaires hypertextes et hypermédias

Pour les documentaires aussi, il est grand temps d'utiliser les nouvelles formes d'écriture et de lecture autorisées par le lien hypertexte et hypermédia, comme c'est déjà le cas depuis quelques années dans le domaine de la fiction. Pourquoi les auteurs de documentaires n'exploiteraient-ils pas eux aussi les possibilités offertes par l'hyperlien, en permettant ainsi au lecteur toutes sortes de cheminements, linéaires, non linéaires, par thèmes, etc.? C'est la démarche qui est tentée dans le livre que vous êtes en train de lire.

Outre plusieurs possibilités de lecture, le documentaire hypertexte offre de nombreux avantages par rapport au documentaire imprimé. Un simple lien permet d'accéder aux sites web mentionnés, ainsi qu'au texte intégral des documents cités et des références bibliographiques. Les erreurs peuvent aussitôt être corrigées. Le livre peut être régulièrement actualisé (ajouts en fonction de l'actualité, derniers chiffres et statistiques, etc.).

Ces horripilants index en fin d'ouvrage - mais combien pratiques, au moins quand ils existent - sont remplacés par la fonction "recherche" sur une page donnée ou par un moteur de recherche pour l'ensemble du site (en installant celui de Google par exemple). Un index peut toujours être envisagé, mais considérablement allégé, et principalement pour répertorier les concepts et notions. Pour prendre un exemple, dans l'index de ce livre, pour "livre numérique", on a quelques renvois aux chapitres et sous-chapitres, alors qu'un moteur de recherche donnerait une liste impressionnante de réponses, le terme revenant à longueur de page. L'index offre donc un service complémentaire.

Il reste à inventer un nouveau type de maison d'édition proposant des livres web, avec une infrastructure permettant leur actualisation immédiate et constante par FTP. Si ceci vaut pour tous les sujets, cela paraît d'autant plus indispensable pour les nouvelles technologies et l'internet. La place des livres traitant du web n'est-elle pas sur le web? L'auteur pourrait choisir de mettre son livre en consultation payante ou gratuite. La question du droit d'auteur serait également entièrement à revoir, ce qui ne serait sûrement pas un mal. Paiement à la source, paiement à la consultation? Et comment l'éditeur serait-il rémunéré? Quant aux versions imprimées, globales ou partielles, elles pourraient être faites à la demande, comme c'est déjà le cas chez plusieurs éditeurs de livres "classiques".

Quant au documentaire hypermédia, il permettrait d'inclure des images animées, de la musique et des vidéos. Ceci dans un deuxième temps peut-être. En France par exemple, seule 6% de la population dispose pour le moment de l'internet à débit rapide, un élément statistique que les créateurs et webmestres oublient trop souvent de prendre en considération. Pour le moment, si on crée des oeuvres hypermédias pour qu'elles soient lues ou consultées, il est préférable de proposer deux versions, une "lourde" pour les 6% qui ont l'internet par câble et DSL, et une "légère" pour les 94% qui ont une connexion "standard". La remarque vaut aussi pour la littérature hypermédia et plus généralement pour n'importe quel site professionnel. Si les créateurs et webmestres tiennent absolument à ne proposer qu'une version "lourde", en pariant sur l'avenir, ils pourraient au moins aller tester leur site de temps à autre à partir d'une connexion "standard" (avec le risque d'être surpris, sinon horrifiés par ce que le lecteur "standard" doit endurer), ceci pendant encore deux ou trois ans (?), avant que le World Wide Wait ne soit plus qu'un mauvais souvenir.


Chapitre 7: Livres numériques
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© 2001 Marie Lebert