NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - Perspectives
En février et mars 2003, comment les professionnels du livre voient-ils l'avenir du livre numérique (au sens large, et pas seulement commercial), dans le cadre de leur activité professionnelle et/ou en général? Voici leurs réponses.
Jean-Pierre Balpe, professeur, chercheur et écrivain
Olivier Bogros, créateur de La bibliothèque électronique de Lisieux
Emilie Devriendt, responsable du site Translatio
Gérard Fourestier, créateur de Rubriques à Bac
Pierre François Gagnon, créateur d'Editel
Jean-Paul, explorateur d'hypermédia
Anne-Bénédicte Joly, écrivain auto-éditeur
Nicolas Pewny, consultant en édition électronique
Marie-Joseph Pierre, enseignante-chercheuse à La Sorbonne
Philippe Renaut, gérant des éditions du Presse-Temps
François Vadrot, PDG de FTPress
Russon Wooldridge, créateur du Net des études françaises
Denis Zwirn, PDG de Numilog
Directeur du département hypermédias de l'Université Paris 8, écrivain, chercheur et théoricien de la littérature informatique, Jean-Pierre Balpe nous envoie ses réponses le 10 février 2003.
En ce qui concerne son activité: "Prenant ma retraite l'an prochain, mes 'activités' se réduisent mais je compte toujours utiliser les capacités du numérique pour faire du livre hors du livre: projets de spectacles, installations, etc. (...) Ce qui m'intéresse est d'explorer cette voie-là, du moins tant que j'aurai envie d'écrire ou de faire écrire."
En ce qui concerne l'avenir du livre numérique en général: "L'avenir est déjà assuré par la numérisation des livres et tout ce qu'elle permet. Cela ne peut que se développer. Si votre question porte sur l'e-book, je n'y crois pas dans les configurations techniques actuelles. Pour qu'il ait un réel avenir il faudrait un support souple aussi pratique que le papier et aussi bon marché. Ça viendra, mais je crains que nous en soyons loin. En plus le livre n'existe pas, il y a des quantités de types de livres, romans, encyclopédies, poèmes, livres scolaires, livres techniques, manuels, etc., et chaque type a un avenir différent dans le numérique: le manuel scolaire numérique est appelé à remplacer le livre dès que les élèves seront suffisamment équipés. Je crois qu'il faut raisonner en secteurs et voir quels sont les besoins particuliers de ces secteurs auxquels la 'numérisation du livre' peut répondre et sous quelle forme."
Directeur de la médiathèque municipale de Lisieux (Normandie), Olivier Bogros crée en juin 1996 La bibliothèque électronique de Lisieux, une des premières bibliothèques francophones du réseau. Début 2003, la bibliothèque électronique comprend 540 textes, numérisés en mode texte à partir des collections de la médiathèque. A titre personnel, Olivier Bogros est aussi l'auteur du site Miscellanées, un mélange de textes choisis par ses soins.
Le 8 mars 2003, Olivier Bogros écrit:
"L'avenir du livre numérique, j'y crois beaucoup, même si sa forme matérielle définitive reste encore à venir. Les fichiers de livres numériques existent sur de nombreux sites et sous de nombreux formats. Et puis il y a le web et les pages html qui s'affichent librement sur les écrans de nos machines. Je pense bien sûr et d'abord dans mon domaine de compétence aux textes patrimoniaux ou du domaine public qu'encore trop peu de bibliothèques françaises mettent en ligne ou alors sous des formats image trop lourds et contraignants. Des initiatives particulièrement innovantes sont aussi à l'oeuvre: Grisemine (bibliothèques de l'Université de Lille 1, ndlr), @rchiveSic, les étonnantes collections de la BIUM (Bibliothèque interuniversitaire de médecine) de Paris, ColiSciences, ... qui s'ajoutent à des réalisations plus anciennes mais toujours dynamiques. De plus en plus d'internautes font du réseau, à tort ou à raison, le lieu unique de leur recherche documentaire; les institutions publiques ont l'obligation de répondre à cette demande."
Emilie Devriendt est élève professeure à l'Ecole normale supérieure (ENS) de Paris et doctorante à l'Université de Paris 4-Sorbonne. Elle est aussi la responsable du site Translatio, créé en septembre 2001. Translatio est le site miroir de trois sites académiques dédiés à la diffusion de ressources documentaires dans le domaine des études françaises, et plus particulièrement de l'histoire de la langue française.
Le 9 février 2003, Emilie Devriendt écrit:
"Je ne parlerai pas du livre numérique à strictement parler, concept qui semble aujourd'hui s'être révélé un échec total pour les entreprises qui ont tenté de le commercialiser. Je constate d'ailleurs que des projets datant d'il y a quelques années, projets selon moi plus astucieux, plus ergonomiques, et à l'évidence moins coûteux comme celui du 'baladeur de texte' (@folio), n'ont toujours pas 'percé'. Loin d'être au fait de tous les aspects qui ont contribué et contribuent à cet état de fait, je ne me risquerai pas à prédire quoi que ce soit dans ce domaine très circonscrit.
Si l'on envisage l'avenir non plus du 'livre', mais du 'texte' électronique, celui-ci n'apparaît pas plus prévisible ou prédictible, mais il est quelques points que l'on peut souligner, et quelques évolutions que l'on pourrait à tout le moins appeler de ses voeux. Dans ce domaine que l'on appelle parfois l'informatique littéraire, deux aspects du texte électronique m'intéressent plus particulièrement, dans une perspective d'enseignement ou de recherche: la publication de ressources textuelles, par exemple littéraires, sur le Web au format texte ou au format image (exemple: Gallica ou la Bibliothèque électronique de Lisieux); la publication de bases de données textuelles interactives, c'est à dire d'outils de recherche et d'analyse linguistique appliqués à des textes électroniques donnés (exemple: la Nefbase du Net des Etudes Françaises ou, si l'on veut citer une banque de données payante, Frantext). Aujourd'hui ce type de ressources est relativement bien développé (même si aucune 'explosion' ne semble avoir eu lieu si l'on compare la situation actuelle à celle d'il y a deux ou trois ans). En revanche, on ne peut véritablement mesurer les usages qui en sont faits.
La situation au sein de l'Université française, telle qu'elle m'apparaît, ne conduit pas spontanément à l'optimisme de ce point de vue. Tous les cursus 'littéraires' sont loin de comprendre une formation obligatoire aux nouvelles technologies (qu'il s'agisse d'ailleurs de bureautique, de recherche documentaire ou d'analyse textuelle). Or sans un apprentissage sérieux de ce type risque paradoxalement de se constituer une nouvelle forme d'analphabétisme au sein même d'une population intellectuelle, les étudiants, les enseignants, les chercheurs ; ou, à tout le moins, une informatisation 'à deux vitesses' de cette population. Ici, l'idéal de l'accessibilité (formats libres, gratuité) des ressources textuelles publiées en ligne prend véritablement tout son sens."
Diplômé en science politique et professeur de français à Nice, Gérard Fourestier crée en 1998 le site Rubriques à Bac, un ensemble de bases de données à destination des lycéens et étudiants. ELLIT (Eléments de littérature) regroupe des centaines d'articles sur la littérature française du 12e siècle à nos jours, ainsi qu'un répertoire d'auteurs. RELINTER (Relations internationales) recense 2.000 liens sur le monde contemporain de 1945 à nos jours. Ces deux bases de données sont accessibles par souscription, avec version de démonstration en accès libre. Lancée en juin 2001 dans le prolongement d'ELLIT, la base de données Bac-L (baccalauréat section lettres) est en accès libre.
Le 8 février 2003, Gérard Fourestier écrit:
"Bien que ça et là, on assiste à des avancées pédagogiques par l'intégration des nouvelles technologies, l'institution de l'Education nationale est par trop timorée quant à un projet global qui aurait enfin fait entrer l'école dans le siècle du numérique.
Espérons qu'avec les nouvelles générations de profs qui vont débouler au fur et à mesure des retraites de leurs aînées, se fera sentir par la base la nécessité d'une autre approche de la lecture au travers d'un produit que le 'ludique' n'a pas hésité à s'approprier à grande échelle.
L'ère Gûtemberg a vécu, du moins dans son monopole, faute d'un mieux technologique et pratique jusqu'à une époque récente, mais les décideurs d'encore aujourd'hui sont toujours ceux d'hier. Pourtant, et à l'évidence, les avantages du numérique sont nombreux: gain de poids dans les cartables, accroissement du volume d'information, diminution des contingence de stockage; possibilités offertes aux mal-voyants, sans parler de l'aspect création qui rend plus attrayant un outil plus performant, etc.
Bref, le numérique, c'est déjà le présent et c'est incontournable, sauf que les formats sont encore trop nombreux, et que c'est aussi sûrement un frein à un essor plus rapide.
J'ai bien pensé mettre mes sites en ligne sur des supports 'e-book' mais un 'livre' de ce type serait comme une goutte d'eau dans l'océan s'il ne bénéficie pas d'une structure qui en fait la promotion. Tant que je n'aurai pas l'assurance de cette promotion et parce qu'il faut des moyens que je n'ai pas, je différerai cette nouvelle aventure et je le regrette vivement."
Dès avril 1995, Pierre François Gagnon, poète et essayiste québécois, décide d'utiliser le numérique pour la réception des textes, leur stockage et leur diffusion. Il crée Editel, site pionnier de l'édition littéraire francophone et premier site web d'auto-édition collective de langue française. Editel devient ensuite un site de cyberédition non commerciale en partenariat avec quelques auteurs maison (notamment Jacques Massacrier et Mostafa Benhamza), ainsi qu'un webzine littéraire.
Le 11 février 2003, Pierre François Gagnon nous envoie ce texte, intitulé: Eloge du Livre unique.
"Le 'Livre unique' aux multiples pensées tous azimuts, est appelé à constituer, grâce à l'objet-support ultime que sera le papier électronique, la plate-forme de lancement globale de la Civilisation numérique, laquelle n'est encore exprimée qu'à l'état d'ébauche farouche et sauvage sur le Web d'aujourd'hui.
Il nous manque de toute urgence cette épée de feu, de justice divine érigée entre les mains de tous et chacun dans la lutte contre la pauvreté et l'ignorance dans lesquelles les élites de pouvoir et d'argent croient avoir tout intérêt à maintenir leurs peuples respectifs.
Et, n'en déplaise aux gourous de la pop-philo qui nous prêchent le statu quo techno-culturel du haut de leur notoriété, il ne s'agit pas seulement d'une nouvelle utopie néoromantique qui serait issue de la postmodernité prétendument antihumaniste. Il s'agit bien plus prosaïquement des conditions d'émergence spirituelle d'une classe moyenne supérieure qui soit également prospère et unie dans le monde entier.
Nous sommes rien de moins, à l'époque de ces Nouvelles Lumières, que face à une révolution démocratique et altermondialiste, virtuellement libre de tout droit ultralibéral, enfin affranchissable à l'échelle planétaire de l'économie de marché facho-totalitaire sous l'empire états-unien.
Voilà donc ce qui fait si peur aux classes possédantes du savoir-faire de ce temps de transition que je qualifierais presque de transhistorique, tant il m'apparaît nécessaire et évident: que tout cela leur échappe de justesse, elles qui contrôlent pourtant les moyens de conception et de production de la science et des technologies!
C'est dire ainsi combien la Société - et non pas tant l'Amour - est désormais à réinventer bien au-delà de la droite et de la gauche, au risque sinon, de nous engluer dans les prolongements dévastateurs du 20e siècle, guerres, famines et maladies endémiques. Ça n'a malheureusement rien à voir avec autant de prophéties de malheur.
Au contraire, c'est exactement, au début de l'an 2003, ce qui est en train de se produire sous nos yeux ahuris, ne serait-ce qu'à commencer par les projets d'un bombardement nucléaire soi-disant 'limité' que les Pentagone nourrissent pour les États voyous tels que l'Irak.
Plus l'essentiel des connaissances de toute nature demeurera gratuitement accessible à tous et à toutes, sans conditions matérielles particulières, plus le niveau moyen de l'intelligence collective sous toutes ses formes tendra à s'élever pour le meilleur, et espérons-le, sans le pire.
Dès lors, les exigences sociales et culturelles se raffermiront toujours davantage, désamorçant volontairement l'économie prédatrice. La nature du travail, définitivement transformée, la démocratie, profondément rénovée, la communauté pourra redevenir aussi vivante et créative qu'au temps jadis. Il ne sera plus jamais ridicule et absurde de parler tout simplement de bonheur domestique.
Je fais maintenant l'éloge du développement durable de la pensée universelle, libre et sans contraintes, ubiquitaire et fraternelle, à travers le réseautage polyglotte de toutes les cultures. Le Livre unique comme pierre philosophale remplacera tous les objets de culte de la communication et de l'information tout en sacrifiant les pyramides aliénantes.
Imaginez tous les cerveaux supérieurement intelligents, interconnectés en permanence, dans l'élaboration transcendant les divers Âges de l'Humanité, d'un tout nouveau projet de civilisation conçu et réalisé sur une base numérique, qui soit finalement assez fluide pour évoluer sans trop de heurts vers la paix et la prospérité perpétuelles. Voilà la seule anti-utopie que je connaisse d'avance, réaliste et réalisable, car elle est d'ores et déjà indispensable à notre survie commune.
La déesse Gaïa est notre jardin intérieur. La révolution industrielle a été son viol collectif. Tout autour de soi, pour qui a pu accéder à ce tragique niveau de conscience cosmique, il n'y a plus que ruines et désolation. La légalité immorale, cruelle et violente, étend sa domination pratiquement absolue dans tous les domaines, en particulier dans l'édition.
La sagesse du livre fut pétrifiée vivante et enfermée à perpétuité, sous bonne garde capitaliste, par l'imprimerie de papier, laquelle n'aura été qu'une technique de conservation et de diffusion des idées plutôt rustique et rudimentaire. Et inefficace à part peut-être le papier d'amiante à l'épreuve de tout - à titre par exemple de double système de sécurité quant à l'archivage total et quasi définitif! Il nous faut finir d'abattre les bastilles qui menacent de s'écrouler avec nous dans l'oubli et la poussière d'étoiles, faute d'assurer la libre circulation immédiate des oeuvres!
Numérisons et libérons la Culture tout entière avant que les vendeurs du Temple ne s'en emparent au nom de l'État sous leur propre gouverne néolibérale ou gauchisante de travers! On ne peut pas voler ni dilapider le domaine public; pis encore, il se trouve trop longtemps restreint aux ayant droits de l'auteur à sa mort: 70 ans, quelle folie! Cet héritage collectif devrait être imposable sans aucun délai: diffusé, distribué inconditionnellement, un point c'est tout!
À les en croire, le patrimoine culturel (ou même génétique) serait marchandisable. Le pillage corporatif de toute façon institutionnalisé à mort, la commercialisation des classiques fait rouler depuis belle lurette la planche à billets des éditeurs. Les États se refusent aujourd'hui à débloquer des budgets conséquents pour la numérisation systématique et exhaustive du fonds public de leurs bibliothèques nationales, tandis que le dépôt légal électronique et sécurisé tarde à devenir obligatoire. Quel espoir subsiste-t-il en ce moment même pour l'avenir du livre numérique, sauf dans le néant constellé d'effroi du sempiternel Marché-Dieu?"
Aussi discret que présent dans le monde de l'hyperfiction francophone, Jean-Paul, écrivain, est explorateur d'hypermédia. Il est le webmestre des Cotres furtifs, un site hypermédia collectif racontant des histoires en 3D. "Les membres des cotres, 'ensemble flou à géométrie variable', aiment jouer avec les mots en y associant images et sons, non pas comme de simples illustrations, mais comme partie intégrante du récit et de ses architectures. Ils s'intéressent donc plus à l'hypermédia qu'à l'hypertexte au sens strict. On ne les trouve que sur le net parce que c'est le dernier espace, instable, fluide et non-fermé, dont tous les passages ne sont pas encore contrôlés."
Le 4 février 2003, Jean-Paul écrit:
"L'avenir, 3 ans après le 5 août 1999...
Vaticinons donc.
L'avenir, s'il doit être, est à la révolution,
( n. f. Didac. Mouvement d'un mobile (partic. d'un astre) accomplissant une courbe fermée; durée de ce mouvement. La révolution de la Terre autour du Soleil.)
qui est retour à la case départ.
Rappel historique:
Aux débuts de l'hyperlien, la technique était rude & les tuyaux étroits: ce fut le règne de l'écriture nue, sans images, sans son.
Une poignée de pingoins sans boussole se creusaient la cervelle et lançaient avec les moyens du bord des écrits labyrinthiques dont le public n'existait pas.
L'intérêt fut vif (il y eut des articles, et des soirées de bars animées), mais restreint. Quel public aurait pu lire ces écrits, sur quel support?
Pas de public, pas d'argent. Hyperauteurs en quête de sponseurs, d'institutions, 'résidences', détournements & autres hold-ups légaux.
Un jour, que certains crurent de gloire ('enfin, ça démarre!'), déboulèrent de Jurrassik-Land & Fiscal Paradise des jumbos monstrueux, vracquiers gros-porteurs. Leurs soudures craquaient de trop d'or, qui dormait, mal (ce n'est pas bon pour le fric, de dormir).
Leurs radars venaient de signaler une mine, aux veines épaisses comme des pipe-line; un off-shore abstrait, virtuel, aussi abstrait, aussi virtuel que des lignes de cotation boursières: la Toile, où s'ébattaient nos pingoins bénévoles & croqueurs de grains non-décaféïnés.
Ce fut la ruée, on vit un Vivendi payer un simple nom de portail au prix de la tanzanite, la pierre dure la + précieuse, aussi dure qu'un mental de gagneur, mais précieuse.
Quelques billets $£€ voletèrent jusqu'aux chercheurs, inventeurs, petites mains tricoteuses du html & autres entoileurs de 'Projet En Cours'. La technique suivait, élargissant les tuyaux étroits pour en faire du haut-débit.
L'hypertexte put muer, passer hypermedia.
Et...
ce fut l'implosion, qui emporta les gros-porteurs 'partenaires financiers' (tant mieux) mais aussi (hélas) des projets passionnants, vrais hypermedia où l'image et le son faisaient enfin jeu égal avec les mots, au lieu d'être cantonnés à leur second rôle ancien de faire-valoir.
Les survivants se retrouvent avec des carte-bleues flasques. Gueule de bois & ventre creux, mais la volonté farouche d'avancer.
Retour à la case départ, donc.
(fin du rappel)
Mais la case a changé, le temps est passé sur elle, et sur nous. Durant ces courtes années excitantes, nous avons appris à jouer sur notre tas de sable avec des armes qui ne nous étaient pas destinées (n'oublions jamais que tout cela vient d'Arpanet, de nécessité militaire. Du sérieux, pas des rêveurs). On s'en est mis plein les yeux.
Les scores (provisoires) du mundial des e-sumos & autres JM6 nous ont aussi montré que la question du support est secondaire & se résoudra toute seule: il y aura finalement (prenez des notes, capital-risqueurs) 3 formats: écran téléphone, écran livre, écran album-BD/jeu-video.
Or, ces armes, il faut bien qu'elles servent. Et puisque leur rime est: larmes, notre but du jour sera: faire pleurer Nikita, de rire et d'autre. La toucher plein coeur, qu'elle soit prête à payer pour connaître la fin d'un roman hypermedia, en PDF, en CDRom ou même en imprimé.
Bref, l'avenir?
Il se présente à nous sous le soleil d'Icare & des horribles travailleurs.
Sauf que, dans notre domaine DNS, l'avenir n'existe pas, ni le passé (où vont les liens morts?): l'hyperlien, c'est l'immobilité absolue, le déplacement sans la durée. Pas de ligne du temps, pas d'horaire d'embarquement... No past, no future: présents."
Anne-Bénédicte Joly, romancière et essayiste, habite en région parisienne. En avril 2000, elle décide d'auto-publier ses oeuvres en utilisant l'internet pour les faire connaître. "Mon site a plusieurs objectifs, raconte-t-elle en juin 2000, deux mois après son ouverture. Présenter mes livres (essais, nouvelles et romans auto-édités) à travers des fiches signalétiques (dont le format est identique à celui que l'on trouve dans la base de données Electre) et des extraits choisis, présenter mon parcours (de professeur de lettres et d'écrivain), permettre de commander mes ouvrages, offrir la possibilité de laisser des impressions sur un livre d'or, guider le lecteur à travers des liens vers des sites littéraires."
Le 13 février 2003, Anne-Bénédicte Joly écrit:
"Le livre numérique ne sera un progrès pour tous que s'il permet un réel accès universel à la culture, que s'il renforce la libre expression de la pensée et le plaisir de créer, que s'il propose une alternative aux solutions d'édition existantes et enfin, que s'il offre un moyen d'expression universelle.
C'est dire que, dans le cadre de mes activités d'auteur auto-éditant ses oeuvres, je suis en droit de fonder de grands espoirs sur le livre numérique.
Internet est avant tout un merveilleux vecteur de diffusion et de promotion. Je tente de m'inscrire dans cette logique en proposant sur mon site non seulement une présentation synthétique de mes travaux mais aussi des extraits de mes écrits afin que les lecteurs-internautes puissent découvrir mon univers littéraire. Ne disposant pas de l'appui d'une maison d'édition, ni encore moins de son réseau de communication et de diffusion, la question de la présentation de mon livre au public se pose. Le livre numérique me permettrait, en affinant une politique de prix (les internautes lecteurs semblent disposés à payer un e-book à 50% de sa valeur en version papier), de proposer mes écrits à un plus grand nombre de lecteurs. Puisque le net est un promoteur de l'accès à des livres moins connus (ou absents des réseaux admis de diffusion), je réfléchis actuellement à l'idée de pousser la logique jusqu'à offrir l'accès au livre lui-même. La question de la diffusion serait donc réglée.
Par ailleurs, se pose aussi la question de la quantité de tirage d'un livre. J'édite en moyenne un ouvrage à 300 voire 400 exemplaires. Dommage(s), mon dernier roman paru en janvier 2003, a été édité à 300 exemplaires. Cette limitation étant directement liée au coût de fabrication du livre, à l'investissement global et à la détermination du point mort (combien faut-il que je vende de livres pour rentrer dans mes frais?). Prenons le cas de deux de mes précédents livres (Le meublé livres et Deux par d'eux) qui sont aujourd'hui épuisés. J'ai eu, depuis mon site et directement par certains lecteurs, quelques demandes concernant ces livres. Malheureusement, à chaque fois ma réponse est la même. 'Je suis navrée, le livre est épuisé. Vous ne le rééditerez pas? A priori non.' Je ne peux pas, en effet, financer la réédition (et dans quelles quantités?) de ces livres. Le livre numérique constitue, pour autant que les lecteurs souhaitent lire mes écrits sous ce format, une alternative possible.
Bien entendu, comme tout créateur, je suis très attentive (et parfois même inquiète) à l'utilisation illicite de mes écrits. La question de la protection de mes oeuvres occupe une place centrale dans ma réflexion. Il existe aujourd'hui des techniques interdisant les copies illicites et infinies des oeuvres, les impressions totales ou partielles des textes... Bref la réponse technologique existe.
Enfin, je réfléchis également sur la perception des droits d'auteur induits par la diffusion d'une oeuvre sur le net. Dans une récente étude (réalisée en 1999 par Médiangles pour le compte de la SGDL - Société des gens de lettres), 82% des 2.372 personnes interrogées considèrent que les auteurs devraient toucher des droits pour la diffusion de leurs oeuvres sur le net. Je partage évidemment cette position même si elle reste difficile à mettre en oeuvre tant du point de vue pratique, que du point de vue du mode de perception des droits.
En conclusion, et parce que je me situe déjà en dehors des rouages classiques de la diffusion d'un livre, je considère que le e-book constitue à n'en pas douter une nouvelle voie de développement pour accroître la diffusion de mes livres et me permettre de rencontrer un public encore plus large.
En règle générale, le livre numérique offre des avantages significatifs. Il peut être acheté 24h/24 et 7j/7 depuis n'importe quelle partie du monde et être téléchargé facilement. Le prix est toujours inférieur à la version papier, alors que la qualité (graphisme, mise en page...) n'est en rien diminuée. Les fonctionnalités multimédia sont accessibles et le support 'livre' devient un outil interactif: navigation hypertexte, signets, notes, commentaires... Le livre numérique est moins gourmand en terme de stockage (bibliothèque) et il est, de fait, plus aisément transportable. Il s'abîme moins. Il n'est jamais épuisé. Bref, du point de vue des 'fabricants' et des 'producteurs' les avantages sont certains.
Côté lecteur, hormis les capacités techniques répondant à des besoins réels pour les lecteurs malvoyants de modifier à dessein la taille des caractères, je ne sais pas si le plaisir lié à l'objet livre sera identique... Ouvrir un livre, sentir sa couverture craquer légèrement, respirer l'odeur des feuilles, de l'encre, toucher le papier, manipuler le livre. Bref tout ce qui nous permet de considérer le livre comme un objet vivant, comme objet à vivre. De même, comment s'émerveiller numériquement devant une édition originale, ou encore la finesse de gravures sur bois dans un ouvrage?
Enfin, au-delà de la littérature, les avantages sont incontestablement très nombreux dans des domaines aussi variés que l'éducation (remplacer les livres scolaires par des e-books), les milieux professionnels devant se référer à de véritables annuaires ou ayant recours à des 'bibles' techniques ou commerciales, ou encore offrir un produit de substitution aux quotidiens, aux magazines et autres revues en facilitant un accès simple, rapide et direct à l'information.
En conclusion, je pense que le livre numérique offre une foultitude d'avantages en sacrifiant peut-être, pour la littérature, les livres d'art et la poésie, la notion de plaisir de lire.
Or les écrivains n'écrivent-ils pas avant tout pour être lus avec plaisir?
En tout cas, je suis avec un grand intérêt l'évolution des mentalités en la matière."
Nicolas Pewny est le fondateur du Choucas, petite maison d'édition basée en Haute-Savoie et spécialisée dans les polars, la littérature, les livres de photos et les livres d'art. Nicolas Pewny tient aussi à avoir des activités non commerciales, afin de faire connaître des livres pour lesquels il a un coup de coeur, par exemple les Fables pour l'an 2000 de l'écrivain-paysan normand Raymond Godefroy. Les éditions du Choucas cessent malheureusement leur activité en mars 2001, une disparition de plus à déplorer chez les petits éditeurs indépendants. Nicolas Pewny met désormais ses compétences éditoriales et numériques au service d'autres organismes.
Le 9 février 2003, Nicolas Pewny écrit:
"Quel chemin parcouru depuis le temps du papyrus ou du parchemin! Le 15e siècle a vu naître le livre imprimé et le 19e siècle a démultiplié cette révolution. Au 20e l'informatique et le numérique ont encore tout bouleversé...
A l'aube du 21e il est facile de constater que l'Internet a évolué, et l'importance du 'contenu' s'est accrue, il est devenu un élément primordial. L'accès à ce 'contenu' devient peu à peu payant. Et le public concerné - en forte augmentation - est prêt à payer pour un contenu riche et ciblé.
La presse s'en est rendue compte la première, et des journaux tels que Le Monde ont mis en place une version numérique, souvent interactive, d'où le nom de l'édition, incluant des 'services' comme l'accès aux archives, la possibilité de stocker les informations en ligne, etc.
Des éditeurs (Campus Press, Eyrolles, Eni, par exemple) s'en sont rendus compte aussi, et produisent des ouvrages numériques pour des sujets tels que l'informatique, l'Internet, les nouvelles technologies, sciences & techniques, etc. Plus pratiques à utiliser et bien moins chers que la version 'papier'!
Personnellement je me suis tellement habitué à trouver toute information en ligne ou dans des ouvrages sous forme numérique que je serais désemparé si j'étais privé de ces moyens de recherche.
L'informatique évolue rapidement. Les ordinateurs se libèrent des fils de connexion, deviennent plus rapides et maniables, les écrans plus confortables, les techniques du 'numérique' vont évoluer également, évoluent déjà.
Je vois le livre numérique du futur comme un 'ouvrage total' réunissant textes, sons, images, vidéo, interactivité: une nouvelle manière de concevoir et d'écrire et de lire, peut-être sur un livre unique, sans cesse renouvelable, qui contiendrait tout ce que l'on a lu, unique et multiple compagnon.
Utopique? Invraisemblable? Peut-être pas tant que cela!"
Marie-Joseph Pierre, enseignante-chercheuse à l'Ecole pratique des hautes études (EPHE, section Sciences religieuses, Paris-Sorbonne), est depuis toujours férue de nouvelles technologies, bien avant que cela ne devienne dans l'air du temps. Elle fait partie de ces professeurs et chercheurs toujours prêts à mettre leur savoir à la disposition d'autrui, aussi bien ses collègues et étudiants que les habitants d'Argentan (Normandie), dont elle est l'une des maires-adjoints.
Le 8 février 2003, Marie-Joseph Pierre écrit:
"Il me paraît évident que la publication des articles et ouvrages au moins scientifiques se fera de plus en plus sous forme numérique, ce qui permettra aux chercheurs d'avoir accès à d'énormes banques de données, constamment et immédiatement évolutives, permettant en outre le contact direct et le dialogue entre les auteurs. Nos organismes de tutelle, comme le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) par exemple, ont déjà commencé à contraindre les chercheurs à publier sous ce mode, et incitent fortement les laboratoires à diffuser ainsi leurs recherches pour qu'elles soient rapidement disponibles. Nos rapports d'activité à deux et à quatre ans - ces énormes dossiers peineux résumant nos labeurs - devraient prochainement se faire sous cette forme. Le papier ne disparaîtra pas pour autant, et je crois même que la consommation ne diminuera pas... Car lorsque l'on veut travailler sur un texte, le livre est beaucoup plus maniable. Je m'aperçois dans mon domaine que les revues qui ont commencé récemment sous forme numérique commencent à être aussi imprimées et diffusées sur papier dignement relié. Le passage de l'un à l'autre peut permettre des révisions et du recul, et cela me paraît très intéressant."
Philippe Renaut est gérant des éditions du Presse-Temps. Fondé en 2002 par cinq associés passionnés de littérature, Le Presse-Temps est une maison d'édition littéraire qui mise avant tout sur la qualité et le suivi de chaque livre, avec un tirage prévu de 2.000 exemplaires par titre et un rythme de publication d'une dizaine de livres par an, loin des considérations du "toujours plus, toujours plus vite" du marché actuel. Philippe Renaut est aussi le rédacteur en chef d'Edition-actu, une lettre électronique bimensuelle (deux fois par mois) décalée, informative et humoristique sur le monde de l'édition. Edition-actu est publié par l'éditeur CyLibris, qui fut en son temps un pionnier de l'édition électronique.
Le 21 février 2003, Philippe Renaut écrit:
"Commençons tout d'abord par établir un sens clair au terme Livre numérique. Car le Livre numérique est bien un Livre et pas un sous-produit dérivé de l'informatique. En effet, si on tente de décrire le livre en fonction de son support physique (objet relié, avec des pages etc.), on arrive vite à une impasse, car dès lors faut-il bannir le livre de poche sous prétexte que sa qualité est inférieure et que l'on y retrouve pas 'le plaisir de l'objet livre'? Non, car le livre de poche est un instrument essentiel de diffusion de la culture, vers le grand public et en ce sens est un livre à part entière. Aussi, plutôt que de s'attacher au support attachons-nous au contenu. Même si le livre numérique possède par essence un contenu plus volatile, téléchargeable, effaçable, etc, il est avant tout vecteur de transmission d'un contenu culturel, et d'un contenu culturel fruit d'un travail éditorial. C'est plutôt par la conjonction de ces deux éléments essentiels - vecteur de communication d'un contenu travaillé éditorialement - que l'on peut définir le livre par opposition à la mise en ligne ou mise à disposition massive de texte sans un regard ou une labellisation professionnels. En effet sans pouvoir assurer que magiquement l'oeil d'un éditeur permet de déceler le mauvais du bon, il reste néanmoins l'instrument par lequel un lecteur peut tenter de trier dans la production désormais pléthorique de livres. Parfois des ouvrages de qualité se retrouveront malheureusement auto-édités pour n'avoir su être décelés, et d'autres médiocres se retrouveront édités envers et contre tout, mais cela ne change rien au processus de base qui veut que le tamis éditorial joue son rôle et aide le public dans ses choix (il suffit de considérer le niveau moyen des manuscrits reçus par une maison d'édition pour s'en convaincre!). De la même manière, un surfeur sur le Web va utiliser ses annuaires préférés pour identifier les sites qui lui sembleront les plus adaptés, seuls outils permettant encore un tri dans la masse désordonnée et titanesque d'informations qui lui est accessible.
Dans ce cadre le Livre numérique à toute sa place puisqu'il reste un Livre et que le support numérique lui offre des possibilités nouvelles. Encore une fois, de même que le poche n'est pas venu supplanter le livre, mais est venu compléter le marché du livre en permettant à de nouveaux acheteurs d'accéder à la culture, le livre numérique n'est pas là en remplacement du livre mais en accompagnement. A l'heure d'aujourd'hui il est encore bien difficile de discerner quelles seront les utilisations les plus fréquentes du livre numérique et c'est ce flou qui rend fragiles les entreprises qui tentent depuis quelques années déjà de s'emparer du marché. Car pour vendre il faut cibler et pour cibler il faut anticiper, hors en ce domaine l'anticipation est ardue. Les premières tentatives ont tenté de créer une demande qui n'existait pas et ce fut un échec. La nouvelle vague saura sûrement mieux pressentir dans un marché plus mûr les désirs et les manques du lectorat. Documentation technique, grands voyageurs, personnes handicapées visuelles, base encyclopédique, et nouveaux romans interactifs, sont autant de portes entrouvertes qui méritent un nouveau coup de boutoir.
A quelques années près, le Livre numérique, quelque soit son support propriétaire, PDA, ou autre devrait percer dans très peu de temps."
En août 1999, François Vadrot fonde la société de cyberpresse FTPress (French Touch Press), basée à Paris. En septembre 1999, il lance Internet Actu, qui remplace LMB Actu (Le Micro Bulletin Actu). D'autres publications suivent, ainsi que des réalisations multimédias et des émissions de télévision, dont certaines suivent de près l'actualité du livre.
Le 9 février 2003, François Vadrot écrit:
"De façon générale, pour ma part je reste à lire les livres sur papier. Quant aux oeuvres en général, sur internet, elles prennent et prendront des formes que le livre imprimé ne permet pas, notamment par l'insertion de créations multimédia, insérées à l'intérieur, à l'instar des illustrations et photos dans les livres papier. Concernant FTPress, pour l'instant nous ne sommes pas sur cette voie de l'édition, mais plus sur celle de la communication multimédia pour les entreprises ou administrations. Cela commence à bouger dans ce sens."
Russon Wooldridge est professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto et créateur de ressources littéraires librement accessibles en ligne. En mai 2000, il fonde le Net des études françaises (NEF), suite au colloque qu'il organise pour un groupe de francophones (Colloque international sur les études françaises favorisées par les nouvelles technologies d'information et de communication, Toronto, mai 2000). Le Net des études françaises se veut d'une part "un filet trouvé qui ne capte que des morceaux choisis du monde des études françaises, tout en tissant des liens entre eux", d'autre part un réseau dont les "auteurs sont des personnes oeuvrant dans le champ des études françaises et partageant librement leur savoir et leurs produits avec autrui".
Le 9 mars 2003, Russon Wooldridge écrit:
"D'abord, qu'est-ce que le livre? C'est toujours, dans l'esprit des gens comme dans l'usage de la langue, un objet plus ou moins portable fait d'un ensemble de feuillets de papier reliés. Du point de vue historique c'est le codex de papyrus, de parchemin ou de papier connu depuis deux millénaires. Le livre contient un texte dont la lecture se fait linéairement de manière suivie et dont la maîtrise peut s'aider d'une lecture linéaire ponctuelle ou d'une lecture verticale permises par l'éventuelle structuration donnée par une table des matières ou un index. (Voir à ce sujet Alberto Manguel, A History of Reading, 1996.)
Le livre numérique serait une version électronique du contenu du codex sans son contenant. On doit distinguer deux types de livres numériques: ceux qui retiennent l'image du codex - il s'agit des livres en 'portable document format' (pdf), par exemple - et ceux qui profitent du médium informatique pour en permettre lectures linéaires et verticales - il s'agit alors, pour ce qui est du World Wide Web, des formats 'hypertext markup language' (html) ou 'text only' (txt).
Comment se prononcer sur l'avenir du livre numérique? Faisons une première constatation sur le degré d'acceptation des nouvelles technologies. Si l'expression un téléphone portable s'est très vite abrégée en un portable, c'est que cet appareil permet à son usager de téléphoner à tout moment et en tout lieu. Jusqu'ici l'expression un livre numérique ne s'est pas, du moins pas encore, abrégée en *un numérique. Le substantif numérique n'a toujours que le sens 'ce qui relève du domaine numérique' et ne s'emploie qu'avec l'article défini: le numérique. Quand je voyage dans le métro, dans un tramway, un autobus, un train ou un avion, je vois autour de moi des gens qui dorment, qui sont plongés dans leurs pensées, qui conversent ou qui lisent. Certains lisent un journal ou un magazine, beaucoup lisent un livre en papier. Aucun ne lit un livre numérique. Bien que le monde du livre ait été modifié par les forces du marché et les effets des développements technologiques, les grandes librairies du type Indigo ou Chapters attirent un grand nombre de personnes de tout âge et de tous les goûts, que l'on y voit lisant un livre papier confortablement installés dans des fauteuils ou assis dans la section café à discuter littérature, cuisine ou jardinage. Le prix de £16.99 (27 euros/dollars, ndlr) et les 768 pages du dernier Harry Potter, qui doit sortir en librairie le 21 juin 2003, n'ont pas nui aux précommandes et on a prévu un premier tirage de plusieurs millions d'exemplaires.
Autrement dit, l'écran n'a pas réussi à concurrencer le papier dans la lecture personnelle, qui est le mode usuel d'utilisation ou d'appropriation du livre.
Quelle est donc la place du livre numérique et, si celui-ci a une place, quel en est l'avenir? Disons tout de suite qu'il a une place certaine, cruciale, celle de rendre accessibles des textes difficilement trouvables en librairie ou en bibliothèque. Le patrimoine livresque d'une culture se trouve ainsi protégé et diffusé par des programmes tels que Gallica, de la Bibliothèque nationale de France, ou le Project Gutenberg.
Dans quelle mesure cependant ce patrimoine est-il vraiment protégé? L'encre posée sur le papier est toujours lisible plusieurs siècles après; le livre numérique sera-t-il encore lisible dans cent ans? Il y aurait lieu, je crois, d'évoquer Le chêne et le roseau de La Fontaine. Il y a des livres numériques lourds et fragiles, d'autres légers et résistants. La lourdeur se mesure en termes de complexité du langage de stockage et d'affichage, la fragilité en termes d'utilisabilité du support. La plupart des logiciels de gestion de bases de données tels que ceux utilisés par les projets Frantext ou ARTFL, par exemple, sont complexes et dépendants de systèmes d'opération particuliers. Il n'est pas certain que les fichiers pdf ou les CD-ROMs et DVD-ROMs soient utilisables à long terme. En revanche, les textes en format html ou txt sont légers (simples) et pourront être lus pendant longtemps, quels que soient les plate-formes ou systèmes d'opération.
À ce titre, les éditeurs de livres numériques les plus importants seraient ceux de programmes collaboratifs comme le Project Gutenberg, dont les textes sont librement accessibles en ligne sur des sites comme The Online Books Page, The Internet Public Library, Eldritch Press ou ClassicReader.com; ou des entreprises individuelles comme Athena, Maupassant par les textes ou la Bibliothèque électronique de Lisieux. Ma propre contribution personnelle à cet effort est quelques textes de la Renaissance française accessibles en ligne en mode lecture (html), plus quelques dictionnaires de la même période (voir RenDico) stockés en format ASCII-DOS sur un ordinateur à Toronto et un serveur à Paris."
Denis Zwirn fonde en avril 2000 la société Numilog, avec Hervé Zwirn et Patrick Armand. Mise en ligne en septembre 2000, la librairie numérique Numilog est la première librairie à vendre exclusivement des livres numériques, par téléchargement et dans plusieurs formats. Quant à la société Numilog, elle est à la fois une librairie en ligne, un studio de fabrication et un diffuseur de livres numériques. Début 2003, le catalogue comprend plus de 3.000 ebooks (livres et numéros de revues) en français et en anglais, aux formats PDF (Acrobat Reader), LIT (Microsoft Reader) ou PRC (Mobipocket Reader), grâce à un partenariat avec une quarantaine d'éditeurs.
Le 3 février 2003, Denis Zwirn écrit:
"Nul n'est prophète en son pays, et je suis donc probablement mal placé, en tant que libraire numérique, pour faire de la prospective pertinente sur les livres numériques. On peut d'ailleurs se demander si quiconque est à même d'en faire, si tant est qu'en matière de technologie et de société, la prévision - ou la prophétie - est une discipline peu scientifique (on peut lire à ce sujet la critique faite par Karl Popper dans Misère de l'Historicisme). On peut en outre constater le tort que cause actuellement au développement serein du secteur des livres numériques les prophéties exubérantes faites au début de l'année 2000 par certains et reprises abondamment par la presse, qui s'acharne aujourd'hui et sans plus de nuances qu'hier à démolir ce qu'elle a adoré quelques mois.
En tant qu'acteur de la distribution de livres numériques, je me dois toutefois bien sûr d'avoir une stratégie, fondée sur des anticipations, c'est-à-dire sur des 'paris raisonnables' compte tenu de notre information du moment. Mais encore une fois, ces anticipations ne sont pas des prévisions: elles ont à la fois un caractère probabiliste (incertain) et conditionnel (elles décrivent des conditions d'évolution du marché). Ces précautions épistémologiques étant faites, voici quelques anticipations sur lesquelles se fonde la stratégie actuelle de Numilog (le 3 février 2003):
1. L'équipement des individus et des entreprises en matériel pouvant être utilisé pour la lecture numérique dans une situation de mobilité va continuer de progresser très fortement dans les dix prochaines années sous la forme de machines de plus en plus performantes (en terme d'affichage, de mémoire, de fonctionnalités, de légèreté...) et de moins en moins chères. Cela prend dès aujourd'hui la forme de PDA (Pocket PC et Palm Pilot), de Tablettes PC et de Smart phones, ou de Smart displays (écrans tactiles sans fil). Trois tendances devraient être observées: la convergence des usages (téléphone / PDA), la diversification des types et tailles d'appareils (de la montre-PDA-téléphone à la Tablette PC waterproof), la démocratisation de l'accès aux machines mobiles (des PDA pour enfants à 15 euros). Si les éditeurs et les libraires numériques savent en saisir l'opportunité, cette évolution représente un environnement technologique et culturel au sein duquel les livres numériques, sous des formes variées, peuvent devenir un mode naturel d'accès à la lecture pour toute une génération.
2. En dehors du contexte de la mobilité, la mise à disposition de publications numériques (livres, revues, thèses...) a des applications évidentes pour tous ceux qui travaillent avec des documents: enseignants, chercheurs, étudiants, journalistes, consultants... Trois avantages sont particulièrement significatifs dans ce domaine: l'accès instantané à distance, la modularité (accès limité aux chapitres, articles ou pages pertinents), les fonctionnalités informatiques de recherche dans une base. Le support de lecture privilégié est alors simplement l'ordinateur, qui permet notamment d'imprimer des pages de ces documents (mais les frontières ordinateurs / tablettes mobiles vont devenir floues). Plusieurs modèles de distribution émergeront probablement pour ces publications: l'accès sur abonnement à des vastes banques de textes numérisés, le prêt de documents numériques.
3. Dans l'univers numérique comme dans l'univers traditionnel, la distribution est en général mieux assurée par des professionnels de la distribution offrant un large catalogue de produits de marques différentes. Même si Internet est un formidable media permettant la distribution directe des livres par les auteurs (menaçant les éditeurs?) et par les éditeurs (menaçant les distributeurs?), une part extrêmement majoritaire des ventes de livres numériques sera effectuée par des distributeurs offrant des catalogues 'multi-auteurs' et 'multi-éditeurs', plus riche à consulter par les lecteurs. Ces distributeurs ne se limiteront pas nécessairement aux seules librairies en ligne actuelles (du type www.amazon.fr): il peut également s'agir de portails, ayant un accès à un grand nombre de visiteurs (du type www.yahoo.fr) ou de portails spécialisés sur des thèmes (du type www.laportedudroit.com). C'est une des manières dont le numérique peut changer le processus de distribution actuel. Ce modèle permet également de penser qu'il y a un rôle à jouer pour des 'diffuseurs numériques', offrant à ces différents points de distribution des catalogues clés en main (droits, fichiers, technologies de gestion des droits numériques). Numilog, au-delà de sa librairie www.numilog.com, a l'ambition de devenir un de ces diffuseurs.
4. Enfin, l'avenir du marché des livres numériques dépend de la possibilité de trouver un compromis entre trois éléments: le très légitime souci des auteurs et des éditeurs ne pas voir leurs oeuvres piratées et diffusées librement sur des sites Peer to Peer (du type Kazaa), la demande des lecteurs de ne pas être pénalisés en terme de droits d'usage sur les livres par une protection excessive et enfin le prix des livres numériques. Les controverses actuelles en France sur la notion d' 'exception de copie privée' dans le cadre de la transposition de la directive européenne sur la protection des droits d'auteur numériques en sont une excellente illustration, bien qu'elles se focalisent pour le moment plutôt sur la musique. On peut faire le pari que les compromis qui seront dégagés seront de nature multiples, selon le type de livres, le type de supports, le type de public et qu'aucun modèle uniforme ne s'imposera. A ce titre, les modèles cités plus haut d'accès sur abonnement à des banques de textes numériques et de sites de prêt de livres numériques sont de bonnes pistes. En ce qui concerne les livres vendus en 'pay-per-view', le prix des livres numériques s'ajustera probablement à la baisse sur les droits d'usage qui sont attachés à ces livres, une baisse de prix significative étant par ailleurs un des meilleurs moyens de limiter la tentation du piratage et de susciter la création d'un vaste marché. Enfin, de nombreux sites, y compris des sites commerciaux, proposeront des textes gratuits liés à différents usages: échange de textes au sein de communautés de recherche ou de débat, inédits testés par le public avant de passer dans le circuit commercial, textes du domaine public sans travail d'édition, extraits promotionnels de livres, livres publicitaires?... Cet espace d'accès libre à des ressources gratuites, qui se développera et représente un des bénéfices attendus d'Internet, est tout à fait compatible avec des espaces commerciaux d'accès payant et devrait même en être conçu comme complémentaire dans le cadre des multiples opportunités de synergies entre différentes formes de distribution qu'offrent les publications numériques."
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© 2003 Marie Lebert