Dictionnaire de l'Académie 1694 

 
Comparaison des Décisions sur la langue de 1673-1679 avec le Dictionnaire de 1694

© R. Wooldridge, septembre 1998
+ prise en compte des Observations de Mézeray, avril 1999


En 1906, l'Institut de France fit paraître chez son imprimeur, la Librairie de Firmin-Didot et Compagnie, le quatrième tome des Régistres de l'Académie françoise, 1672-1793. Le tome 4 contient, aux pages 91-98, un Appendice 10 intitulé "REGISTRE DE DECISIONS SUR LA LANGUE", décisions prises par les Académiciens entre 1673 et 1679.

Les sujets débattus furent les suivants : fond ou fonds de dela la Loire ou de dela Loire bienfacteur, bienfaicteur, bienfaiteur répétition de il/elle auparavant luy c'est à vous à qui je parle ou c'est vous à qui je parle toy en parlant à Dieu desireux genre de insulte genre de dialecte genre de Sphinx dancer/jouer/representer l'opera infiniment d'esprit ou infiniment de l'esprit puer ou puir rebarbatif, rebarbaratif prononciation de n finale participes actifs sous peine, sur peine capter la benevolence, capter/captiver la bienveillance homilie et homélie genre de minuict Æ genre de hymne et horloge ny lun ny lautre d'en profitera/profiteront il en a bien agy avec moy ils se sont prevalus/prevalu liguer actif? conquerant dormeje ou dors-je si à est article chaleur estouffante/estouffée profil ou porfil il s'en faut bien que vous (ne) soyez aussi riche que luy horlogeur ou horloger cette hauteur commande (à) la ville acquerir et conquerir i et y pluriel des mots en -ant/-ent propriétés du mot E doutes sur ce qui a été imprimé vingt et un cheval/chevaux.

Les comparaisons [*]. Sont confrontées ici les décisions concernant des propriétés lexicales avec ce qui se trouve dans le texte, et éventuellement la Préface, du Dictionnaire de 1694, à savoir celles concernant : 1. fond, fonds 2. bienfacteur, bienfaicteur, bienfaiteur 3. desireux 4. le genre de insulte, dialecte, Sphinx, minuict, hymne et horloge 5. dancer/jouer/representer l'opera 6. puer, puir 7. rebarbatif, rebarbaratif 8. les participes actifs 9. sous peine, sur peine 10. capter la benevolence, capter/captiver la bienveillance 11. homilie, homélie 12. Æ 13. liguer 14. conquerant 15. si à est article 16. chaleur estouffante/estouffée 17. profil, porfil 18. horlogeur, horloger 19. commander / commander à 20. i, y 21. pluriel des mots en -ant/-ent 22. vingt et un cheval/chevaux.

Sont prises en compte aussi (cas du y grec, pour l'instant au moins) les Observations sur l'orthographe de la langue françoise de Mézeray, faites pour discussion par l'ensemble des membres de l'Académie (manuscrit de 1673, éd. par Ch. Beaulieux; Paris, Champion, 1951).

Synthèse. Dans le contexte du dictionnaire, ces sujets appartiennent essentiellement à trois types: 1) ceux qui sont traités dans un article, lequel n'est pas contredit ailleurs; 2) ceux qui sont traités en article et qui se révèlent autrement à travers le texte du dictionnaire; 3) ceux qui ne peuvent s'étudier que dans le texte du dictionnaire. Le dictionnaire fonctionne alors et comme code et comme corpus.

Appartiennent au premier type: les numéros 2 (bienfacteur...), 4 en partie (insulte, dialecte, sphinx, hymne, horloge), 5 (dancer...), 6 (puer...), 7 (rebarbatif...), 9 (sous peine...), 10 (capter...), 11 (homilie...), 12 (Æ), 13 (liguer), 14 (conquerant), 15 (à article), 16 (chaleur...), 17 (profil...) et 18 (horlogeur...). Le dictionnaire confirme les décisions concernant les numéros 2, 4, 7, 9, 11, 12, 13, 15 et 18; il contredit celles des numéros 6 et 10; il ne se donne pas les moyens de traiter dans le détail les numéros 5 et 14; pour le numéro 17, le dictionnaire ne retient qu'une des deux formes jugées recevables.

Dans la deuxième catégorie, il convient de placer les numéros: 1 (fond...), 3 (desireux), 4 en partie (minuict), 8 (participes actifs) et 19 (commander...). 1) La distinction détaillée que la nomenclature établit pour fond opposé à fonds est largement démentie par les nombreuses occurrences qui se trouvent dans le reste du texte du dictionnaire. 3) Desireux, d'usage restreint dans la décision et dans la nomenclature du dictionnaire, est utilisé ailleurs comme définissant. 4) Minuict/minuit, déclaré masculin dans la décision, est employé une fois au féminin ailleurs. 8) Alors que la nomenclature conforte la décision (et la préface), les occurrences ailleurs dans le texte tendent à la contredire. 19) Pour commander vs. commander à, alors que l'article COMMANDER ne donne que le premier, les occurrences ailleurs donnent raison à la décision, qui accepte les deux.

Restent les numéros 20, 21 et 22, qui sont à ranger dans le troisième groupe. 20) Le texte du dictionnaire montre que pour deux grandes classes de mots en i/y – les mots qui se terminent en consonne + i/y et les mots dérivés du grec – la résolution prise par l'Académie est très imparfaitement observée. 21) La préférence exprimée dans la première partie de la résolution au sujet du pluriel des mots en -ant/-ent – de garder "ordinairement" le t au pluriel – se traduit dans le dictionnaire par l'emploi plus fréquent de pluriels en -ants/-ents que de pluriels en -ans/-ens; en revanche, la prescription absolue d'écrire gens pour le pluriel de gent connaît une trentaine d'exceptions dans le texte du dictionnaire. 22) Le peu d'occurrences dans le dictionnaire du phénomène décrit dans la décision est insuffisant pour donner raison ou tort à celle-ci.

Le fonctionnement du dictionnaire comme corpus s'avère très instructif dans le cas de trois des sujets débattus par l'Académie, à cause du grand nombre d'occurrences: fond/fonds, i/y et le pluriel des mots en -ant/-ent. Pour le premier, la norme est représentée par la décision et par la nomenclature (dictionnaire = code); pour le second, la norme est représentée par la résolution et, de façon diffuse, par le choix des graphies données en adresse (grandes ou petites capitales); pour le troisième, seule la résolution est en mesure d'énoncer la norme. Dans tous les cas, le dictionnaire-corpus illustre l'instabilité d'une orthographe qui essaie de faire des distinctions fondées sur des critères sémantiques, étymologiques ou tout simplement arbitraires pour des mots dont la prononciation reste la même. Ce fait explique plusieurs autres types de variation graphique: par exemple, th/t ou ph/f (cf. hypotheque/hypoteque, labyrinthe/labyrinte, hieroglyphiques/hieroglifiques dans la liste "y grec"), les fausses lettres grecques (cf. systheme dans la même liste, methaphysique donné en renvoi) ou les finales muettes en général (cf. fond/fonds, -an(t)s/-en(t)s).

La Préface du Dictionnaire fait état de deux des sujets débattus dans les Décisions: l'un explicitement – les participes actifs (notre numéro 8) –, l'autre de façon générale – le y des mots d'origine grecque (notre numéro 20, §6) faisant implicitement partie de l'adoption de "l'ancienne Orthographe" qui "ayde à faire connoistre l'Origine des mots". La comparaison de la politique affichée en matière d'orthographe et la pratique orthographique du texte du dictionnaire dépasse le cadre de la présente analyse; elle fait l'objet d'une étude en cours.


Note. Les capitales des indications d'adresses suivent les conventions du Dictionnaire: grandes capitales pour les vedettes (ex. "s.v. FOND"), petites capitales pour les sous-vedettes (ex. "s.v. BIENFACTEUR"); les renvois du dictionnaire utilisent généralement les grandes capitales.