Comparaison des Décisions sur la langue de 1673-1679 avec le texte du Dictionnaire de 1694

2. Bienfacteur, bienfaicteur, bienfaiteur

Il y a concordance entre la décision, la nomenclature du dictionnaire et l'usage ailleurs dans le dictionnaire. Pour la décision, partage entre bienfacteur et bienfaicteur, avec plus de votes pour le premier; condamnation unanime de bienfaiteur.

Dans la nomenclature alphabétique, il y a un renvoi pour BIEN-FACTEUR et BIEN-FACTRICE – mais non pour bienfaicteur, bienfaictrice – à FAIRE. Sous ce dernier, on lit:

La primauté est donc donnée à la forme en -fact-, bien que deux sur les trois exemples du féminin emploient la forme en -faict-.

Ailleurs, on rencontre bienfacteur s.v. DESLOYAL, bien-facteur s.v. QUOY et bienfaicteur s.v. INGRATEMENT. Aucune occurrence de bienfaiteur. (Voir aussi I. Leroy-Turcan, "Conflits de générations et usages littéraires concurrents dans la première édition du Dictionnaire de l'Académie française" (1996): discussion de bienfacteur/bienfaicteur, bienfactrice/bienfaictrice.)

3. Desireux

D'après la décision, desireux vieillit, mais s'emploie dans quelques contextes, tels que desireux de choses nouvelles, desireux d'apprendre. L'article DESIREUX du dictionnaire donne le mot aussi comme étant d'usage restreint: Malgré ces deux réflexions concordantes, desireux est employé une fois ailleurs dans le dictionnaire comme mot pleinement fonctionnel puisqu'il y est définisseur: "CUPIDE. adj. de tout genre. Desireux, convoiteux. Il vieillit."

4. Le genre de insulte, dialecte, Sphinx, minuict, hymne et horloge

Les décisions furent les suivantes: a) insulte = m. (6 votes), f. (2), m. et f. (8); b) dialecte = m. (vote unanime); c) Sphinx = m. (majorité des votes); d) minuict = autrefois f., maintenant m.; e) hymne = m. et f.; d) horloge = f.

Dans les articles consacrés à ces mots dans le dictionnaire, on trouve ceci:

  • insulte: "sub. m. (Plusieurs le font feminin.)"; dans les six exemples, il est marqué deux fois, une fois comme féminin, une fois comme masculin: "faire une insulte à quelqu'un. [...] il a receu un cruel, un estrange insulte."
  • dialecte: "s. m."; un exemple marqué: "differents dialectes".
  • sphinx: "s. m."; deux exemples marqués: "Un sphinx de bronze. un sphinx de marbre.
  • minuit: "s. m."; deux exemples marqués au masculin: "minuit est sonné. en plein minuit."
  • hymne: "s. m. Cantique de loüange à Dieu. Seigneur quels hymnes de loüanges ne te devons-nous point? / C'estoit parmy les Anciens une sorte de Poësie lyrique, dont ils se servoient pour celebrer les Dieux ou les Heros. [3 exemples non marqués] / On le fait ordinairement feminin, en parlant des hymnes qu'on chante dans l'Eglise. Entonner une hymne. chanter une hymne. une belle hymne. aprés que l'hymne fut chantée."
  • horloge: "s. f."; 10 des exemples sont marqués, tous au féminin.

    Les occurrences ailleurs:

  • insulte: six fois marqué au féminin: une insulte (s.v. APOSTER, AUBADE, RELEVER, MANGER, SORTIE), cette insulte (s.v. MOUVOIR); une fois au masculin: espece d'insulte subit & impreveu (s.v. INCARTADE).
  • dialecte: une seule occurrence non marquée.
  • sphinx: une seule occurrence non marquée.
  • minuit: deux occurrences marquées au masculin, une au féminin: "aprés minuit sonné" (s.v. MEDIANOCHE), "sur le minuit" (s.v. TREPASSER); "depuis la minuit jusques à l'autre minuit" (s.v. JOUR). Il n'y a aucune occurrence dans le dictionnaire de la graphie minuict.
  • hymne: deux occurrences marquées au féminin: "espece de stance qui fait le tout, ou partie d'une hymne, ou d'une chanson. [...] les couplets de cette hymne sont chacun de quatre vers." (s.v. COUPLET).
  • horloge: les 34 occurrences marquées sont tous au féminin.

    Un cas très net: horloge toujours féminin dans ses nombreuses occurrences s.v. HORLOGE et ailleurs. Dialecte et sphinx ne connaissent qu'un genre dans le dictionnaire mais uniquement dans leur propre article. Minuit est masculin dans son article, masculin ou féminin ailleurs. La situation des deux mots jugés dans des décisions avoir les deux genres n'est pas la même pour chacun: le dictionnaire dit que insulte a un sens et peut être masculin ou féminin; en revanche, les deux genres marquent deux sens différents dans le cas de hymne.

    5. Dancer, jouer, representer l'opera

    La décision donne plus d'importance à ce sujet que le dictionnaire. L'article OPERA donne simplement, parmi les exemples: "joüer, representer l'Opera.". Ailleurs on trouve: "La representation d'une Tragedie, d'un Opera, d'un Balet." (s.v. REPRESENTATION), "Lieu eslevé où l'on represente des tragedies, des comedies, des balets, des opera &c." (s.v. THEATRE).

    6. Puer, puir

    La décision majoritaire fut que ces deux verbes n'avaient pas d'infinitif. Le dictionnaire, qui pratique l'utilisation de l'infinitif comme forme-adresse, donne puer non seulement en vedette mais aussi dans le premier exemple du mot: "PUER. v. n. Sentir mauvais. Cette viande commence à puer.". Il n'y a pas d'autre occurrence de l'infinitif, ni de puir; il n'y a pas non plus d'occurrences du "preterit" (passé indéfini ou composé) ni de l'"aoriste" (passé défini ou simple) du verbe.

    7. Rebarbatif, rebarbaratif

    Conformément à la décision majoritaire (dix voix contre cinq), le dictionnaire donne rebarbatif, quatre fois s.v. REBARBATIF et deux fois s.v. REVESCHE.

    8. Les participes actifs

    La décision majoritaire fut que les participes ne s'accordent pas, que les satyres portants un panier de fleurs serait donc incorrect, que les hoirs et ayants cause est une façon de parler (figée) et que dans une requeste tendante aux fins et une maison appartenante à un tel on a affaire à des adjectifs verbaux.

    La question des participes actifs a beaucoup travaillé les Académiciens (cf. la note 4 de la décision). La Préface du Dictionnaire accorde un long paragraphe au sujet des participes; il y est dit que les "Participes actifs [...] n'ont point de genre & [...] sont indeclinables", qu'ils "tiennent aussi lieu de Gerondifs", qu'ils "deviennent aussi Adjectifs Verbaux, & alors ils ont les deux genres & se construisent selon le genre & le nombre du Substantif auquel ils sont joints" et que "quand ces sortes de mots se trouvent dans le Dictionnaire avec les deux genres, ils y sont mis non pas comme Participes actifs, mais comme Adjectifs verbaux". Formalisation donc de la décision. (Voir le texte de la décision suivi de celui de la Préface.)

    La nomenclature traite tendant et appartenant, les qualifiant effectivement d'adjectifs verbaux, d'usage restreint: "TENDANT, ANTE. adj. v. Qui tend, qui va à quelque fin. Un discours tendant à prouver. une requeste tendante à ce qu'il plaise à la Cour. Il ne se dit guere que dans ces sortes de phrases.", "APPARTENANT, ANTE. adj. v. Qui appartient de droit. Les biens appartenants à un tel. une maison à luy appartenante. Il n'a presque d'usage qu'en ces sortes de phrases."

    Ailleurs dans le dictionnaire, une seule occurrence pertinente de tendant, qui contredit la décision et l'article TENDANT: "une supplique tendant &c." (s.v. SUPPLIQUE); deux occurrences pertinentes de appartenant, toutes deux conformes: "pierreries, perles & autres semblables choses de prix appartenantes aux femmes." (s.v. BAGUES ET JOYAUX), "terre d'Eglise, appartenante à l'Eglise." (s.v. TERRE). Il y a 48 occurrences de portant/portans/portants dont six avec un nom pluriel; quatre de ces occurrences sont conformes: "domestiques portant les couleurs" et "gens portant une mesme livrée" (s.v. LIVRÉE), "lettres [...] portant pouvoir de..." (s.v. PAREATIS) et "hommes portant barbe" (s.v. PORTER); deux sont non conformes: "Hommes portants armes" (s.v. ARME), "hommes tous portans barbe" (s.v. BARBE). On trouve enfin deux occurrences de ayan(t)s cause: "ses heritiers ou ayans cause" (s.v. CAUSE), "Ses hoirs & ayants cause" (s.v. HOIR).

    Ce mini-échantillon suffit pour montrer l'instabilité de la distinction participe "indéclinable" (invariable) / adjectif verbal "déclinable" (variable) pour les formes en -ant. On peut noter que la qualification "adjectif verbal" s'applique dans le dictionnaire à une variété de formes; en plus de mots en -ant, on trouve les types suivants: excusable, adherent, ambulatoire, excessif, concupiscible, convoiteux, couvert, dissimulé, distinct, executeur, exprés, confus, implicite, tors, traistre.

    9. Sous peine, sur peine

    La décision majoritaire fut que les deux sont bons, mais que le second est plus usité.

    La nomenclature donne les deux; d'une part, sans commentaire, comme exemples d'emploi de PEINE 'chastiment': "on luy a ordonné cela sur peine, sous peine."; d'autre part, comme sous-adresses de SOUS et de SUR: "On dit aussi, Sous peine de, pour dire, A peine de, sur peine de." (s.v. SOUS); "Et on dit, Sur peine de la vie, Pour marquer qu'il y va de la vie. Il est deffendu sur peine de la vie. on est obligé sur peine de la vie." (s.v. SUR).

    Ailleurs, on trouve: a) les deux en tandem: "On dit, A peine de, &c. pour dire, Sur peine, ou sous peine de, &c." (s.v. A); b) sous peine seul deux fois: "sous peine d'encourir." (s.v. ENCOURIR). "obliger sous peine de peché mortel." (s.v. OBLIGER); c) sur peine seul six fois: "Sur peine de ban." (s.v. BAN), "sur peine de damnation." (s.v. DAMNATION), "defendre quelque chose sur peine de la vie." (s.v. DEFENDRE), "sur peine des galeres perpetuelles, c'est à dire, Sur peine d'estre condamné pour tousjours aux galeres." (s.v. PERPETUEL), "sur peine de la vie." (s.v. VIE).

    En résumé, le dictionnaire donne raison à la décision: sur peine de est donné comme définition de sous peine de, mais non l'inverse; sur peine de est le plus fréquent des deux dans le texte du dictionnaire. À noter que les unités à comparer sont moins sous peine et sur peine que sous peine de et sur peine de.

    10. Capter la benevolence, capter/captiver la bienveillance

    Décision unanime ou générale pour le rejet des trois.

    Le dictionnaire dit presque le contraire. Si la première formule n'y est pas, les deux autres sont consignées dans la nomenclature: "CAPTER. Ne se dit guere qu'en cette phrase. Capter la bienveillance."; "Gagner, captiver, se concilier la bienveillance de quelqu'un." (s.v. BIENVEILLANCE). Il n'y a pas d'occurrences ailleurs.

    11. Homilie, homélie

    La décision dit: "Homilie est le plus régulier, homélie e[s]t le plus usité."

    Le dictionnaire concilie les deux très habilement: homilie est enregistré dans la macrostructure comme vedette systémique, alors que son article déclare que la forme réelle est homelie:

    Il n'y a pas d'occurrences ailleurs.

    12. Æ

    Décision majoritaire pour Æ ou E dans des mots venant du latin et ayant gardé plus ou moins leur forme d'origine.

    La nomenclature du dictionnaire renferme quelques mots en æo-, æq- ou æth-, en donnant pour chacun la forme en eo-, eq- ou eth- en co-vedette. Les exemples utilisent la forme en e-, à l'exception d'ætherée, peut-être à cause de sa terminaison savante.

    En revanche, pour ÆQUIVOQUE il y a un renvoi à EQUIVOQUE (s.v. VOIX), où on ne trouve que la forme en eq-. Il n'y a pas d'autres occurrences de mots en æ-.

    En somme, le dictionnaire traite les mots en æ- de la même façon que homilie (v. ci-dessus): la forme étymologique est donnée en vedette, la forme française en co-vedette et dans les exemples.

    13. Liguer

    La décision: liguer est actif.

    L'article LIGUER est conforme: "LIGUER. v. a. Unir dans une mesme ligue. Il a si bien fait qu'il a ligué tous les Princes Chrestiens contre le Turc."

    Il n'y a pas d'autres occurrences.

    14. Conquerant

    Le détail de la décision – que pour mériter le titre de Conquérant "il ne suffisoit pas de conquerir, mais qu'il faloit que celuy qui fait des conquestes, les fist de son chef, et pour soy, et hors de son Estat et de son pays" – dépasse le cadre normal d'une définition de dictionnaire général; en effet, l'article CONQUERANT se contente de dire "Qui a subjugué beaucoup de pays par les armes." et de donner comme exemple "Alexandre estoit un grand Conquerant." sans se soucier des attributions de celui qui conquiert. Ailleurs on trouve "Guillaume de Normandie fut surnommé le Conquerant" (s.v. SURNOMMER).

    15. Si à est article

    La décision majoritaire: à est marque du datif; à et de ne sont pas des articles.

    Cette fois-ci, les articles A et DE sont beaucoup plus détaillés et explicites que la décision.

    À est: "Preposition [...] / Il sert à marquer le datif. [...] / Il sert aussi à marquer le Lieu. [...] / La Situation. [...] / La Posture & le Geste. [...] / Le Temps. [...] / La Distance. [...] / La Qualité. [...] / La Valeur. [...] / La Quantité. [...] / La Maniere. [...] / Le Moyen. [...] / La Fin. [...]"; après plusieurs autres items définissant le mot d'un point du vue sémantique, l'article se termine (33e alinéa): "Il y a encore d'autres usages de la préposition a, qu'il seroit difficile de determiner icy, & qui se verront dans la suite de ce Dictionnaire."

    De est: "Préposition. Servant à marquer le genitif & l'ablatif [...] / Il sert aussi à marquer la matiere [...] / Il sert aussi à marquer l'usage [...] / Il se met aussi aprés le nom appellatif joint au nom propre. [...]". Mais dans le cinquième et avant-dernier alinéa, on lit: "Il sert aussi d'article pour le genitif singulier des noms masculins qui commencent par une voyelle ou une h qui n'aspire point. Le fils d'Alexandre. beaucoup d'honneur, Et pour celuy des noms feminins. Le poil de la teste. les biens de la terre. Et pour celuy de tous les noms propres hormis des masculins qui ont l'article le au nominatif, comme le Poussin, dont le genitif est, du Poussin & non, de Poussin." – analyse archaïque qui remonte tout droit au milieu du siècle précédent.

    16. Chaleur estouffante/estouffée

    La décision majoritaire: chaleur estouffante en parlant du temps, chaleur estouffée en parlant d'un objet ou d'un lieu.

    La nomenclature ne traite que le premier:

    S.v. CHALEUR, on trouve: "les chaleurs de l'esté. durant les grandes chaleurs. chaleur estouffante."

    Les deux articles sont conformes. Il n'y a pas d'autres occurrences de chaleur estouffante; aucune de chaleur estouffée.

    17. Profil, porfil

    La décision majoritaire: profil est avant tout un terme technique et est le mot juste; porfil est la forme commune.

    Pour le dictionnaire, il n'y a pas à choisir: seul profil est donné, et uniquement dans ses deux articles (plus s.v. PROFILER), une première fois comme sous-vedette de FIL, une seconde fois comme vedette autonome à sa place alphabétique:

    Le mot est traité comme terme technique dans les deux articles.

    18. Horlogeur, horloger

    La décision: "Le premier est vieux, le second est de l'usage présent."

    Le dictionnaire dit la même chose:

    Il n'y a pas d'occurrences ailleurs.

    19. Commander / commander à

    La décision: on peut dire indifféremment Cette hauteur commande à la ville ou Cette hauteur commande la ville.

    L'article COMMANDER n'admet que commander sans préposition:

    De même s.v. HAUTEUR: Pourtant, c'est commander à qui est donné s.v. CHASTEAU et CITADELLE: "le chasteau commandoit à la ville.", "Forteresse qui commande à une ville."

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