2.2.1.1.3. Neutralisation des systèmes secondaire et
tertiaire [70]
Lorsqu'un dérivé est donné à l'intérieur
d'un article-vedette ou même d'un sous-article, non seulement il est
moins visible mais en même temps son statut dans l'énoncé
lexicographique est compromis. Dans le système, les sous-vedettes sont
placées en tête d'un article dont le début coïncide
avec celui d'un alinéa. Nous considérerons donc comme
sous-vedette cachée tout dérivé présenté
comme unité de traitement à l'intérieur d'un article
à
la suite du traitement d'un autre membre de la même famille, et comme
simples éléments de la métalangue de traitement ceux qui
n'y jouissent d'aucune indépendance. Ainsi, dans l'article
DANDIN, m.acu. Est dit celuy qui baye
çà & là par sottise & badaudise sans auoir contenance
arrestée, Ineptus, Insipidus, & Dandider, vser de telle
badaudise, Ineptire. (1606)
dandiner est clairement unité de traitement; en revanche, dans
Assassinat, & Assassinement, m.acut. Est le forfait
executé par l'Assassin, Grassatio, Sicariatus. Il s'entend
aussi pour l'excez fait de guet, à pens & d'emblée, ores que
l'assassiné ne soit tué, Homicidium mercenarium, vel
emptum. (1606)
assassiné n'est qu'un élément de
définition. [71]
Lorsqu'une sous-vedette est
répétée en début d'alinéa dans le
classement dérivationnel, le système est observé et le
mot fait partie de la nomenclature. La deuxième occurrence peut
être un simple renvoi à la première (cf. ARGOTÉ 1606), un article avec renvoi (cf. ARRIERE-BOUTIQUE 1606), ou un article sans renvoi, ce qui
scinde le traitement du mot en deux (cf. BOURRER 1606).
Tout mot engagé dans un article, sauf le mot-vedette, fait partie de la
métalangue de traitement de celui-ci; quand il est à son tour
l'objet d'un traitement propre, il a un statut double, métalinguistique
et autonyme à la fois dans des proportions variables. Par exemple,
dandiner dans l'article cité ci-dessus est surtout autonyme
(lié à ce qui precede par "&"); dans "Betlerlin, pour vn
Belitreau, c. petit belitre" (s.v. Belitre 1606), belitreau est en
même temps définisseur et défini; assassin n'est
qu'implicitement autonyme dans "Assassinat ... Est le forfait
executé par l'Assassin, Grassatio" (1606), puisqu'il y fait
écho à l'article précédent ASSASSIN (dans lequel il n'est pourtant qu'adjectif). Lorsqu'un
dérivé a valeur d'unité de traitement, même
implicite (un mot est toujours un élément de nomenclature
virtuel dans un article consacré à un autre membre de la
même famille étymologique), il commence le plus souvent par une
lettre majuscule quelle que soit sa position dans la phrase (cf. les exemples
donnés plus haut). Il y a, comme toujours, des exceptions, comme, par
exemple, bricole dans "BRICOLER, mot du ieu de
paulme, vne bricole." (1564). [72]
Le contexte étymologique dans lequel toute sous-vedette se trouve
engagée est le plus souvent explicite lorsque celle-ci est
traitée à l'intérieur d'un article. Par exemple:
Selon ce on dit Bachot estre ... Car Bacquet, qui est aussi
diminutif de Bac, signifie ... (s.v. Bac 1606)
Et parce que la bourre est veluë ... on appelle vin bourru,
celuy qui ... Mais le verbe Bourrer est en frequent vsage, pour
... (s.v. Bourre 1606) [73]
Dans le Dictionaire françois-latin (1549-) et le Thresor,
les rattachements étymologiques sont de deux sortes. Il y a toujours
d'abord une étymologie simple d'ascendance, une remontée
à l'etymon, c'est l'étymologie pratiquée depuis par les
dictionnaires historiques généraux; mais quelquefois, celle-ci
est suivie d'une ramification de descendance, modèle adopté par
les dictionnaires étymologiques. Les dérivés
'engagés' appartiennent évidemment au deuxième type. Dans
le Thresor, ce dernier schéma sert le plus souvent à
établir une filiation des sens du mot-vedette en même temps
qu'à enregistrer et à expliquer un certain nombre d'autres
formes issues de la même source (cf. la plupart des exemples
donnés ci-dessus dans cette section). Dans E 1549 et T 1564, les
ramifications de descendance, moins nombreuses que chez Nicot, s'occupent
avant tout de l'aspect formel et incluent plus volontiers les composés.
Par exemple:
BOIS, Lignum. Comme de ce uerbe
, id
est pàsco, uient ce nom Nemus: ainsi de ce uerbe
, id est Pasco, uient
ce nom
, ou Boscum,
qui signifie ... Hinc tam pro ligno, quàm pro sylua, Flandri
dicunt Bosc, Picardi Bos, Franci Bois. Picardi
Boise, quod Franci Busche, ou Busce. Hinc etiam Boscage,
Bosquet, & Picardis Bosquillon, qui Francis dicitur
Buscheron. Dudict uerbe
uient
, naris
elephanti, &
,
nomen herbae ... [1549; T 1564 ajoute:] Hinc etiam,
se embuscher, se mettre & cacher dedens le boys. Embusche vient aussi
de la, car les bonnes embusches se font dedens les bois ... (s.v.
Bois)
ou simplement:
BRAISE, A
, id est Ferueo. Hinc
Braise, à feruore prunarum: & Brazier, Embrazer.
(1549)
où le grec est en fait plus en vedette que le français. La
subordination du français à une autre langue est surtout le fait
de la première édition, dans laquelle les entrees
françaises ne sont souvent que la métalangue de
définition du latin retournée. Par exemple, dans "Boursette
de cuir mol, ou ung bourseron, Pasceolus" (s.v. Bourse), bourseron
est davantage équivalent de pasceolus qu'autre chose. [74] E 1549 n'est pas exempt du
même type
d'entrées; la deuxième édition du DFL ajoute, par
exemple: "Petit bateau, Nauigiolum" que T 1564 complétera:
"Petit bateau, ou batelet, Nauigiolum" (s.v. Bateau); et "Petit ami,
Amiot, Amiculus" (s.v. Ami). [75]
Les items bilingues présentent un autre problème de
consultation. Dans le dictionnaire avant Nicot, les articles sont
formés d'une suite d'items-alinéas illustrant différentes
valeurs d'emploi ou acceptions du mot-vedette qui est avant tout une forme
(cf. 2.2.1.3). Dans les
éditions d'Estienne, l'unité de
l'article est garantie par la typographie (première ligne en saillie --
cf. supra 2.2.1.1.1), mais a
partir de 1564 l'oeil doit parcourir une liste
uniforme pour déterminer d'abord quelles sont les sous-vedettes
enregistrées et ensuite quelles sont les frontières de leurs
articles. Le macro-article ARRESTER en 1549 est
clairement subdivisé en ARRESTER (131 lignes),
ARRESTANS (2 lignes), ARRESTÉ
(7 lignes) et ARREST (65 lignes). Cependant, ESTIENNE a ajouté à la fin de l'article
(c.-à-d. dans le microarticle ARREST)
l'entrée: "Vng homme arresté & posé ...".
D'après la typographie, cette occurrence de arresté n'est
pas observable. À partir de 1564, la situation est changée
puisque l'oeil peut aussi bien rencontrer arresté (adj.)
qu'autre chose dans l'article, et en fait ce mot jouit d'une position
privilegiée, à savoir finale; si le regard saute, dans le
Thresor, de "Arresté, Retentus, Coercitus, Status"
à "Vn homme arresté & posé ...", on peut penser
que tout ce qui est entre ces deux a trait à ARRESTÉ. De 1549 a 1573, le macro-article ALLER se termine par trois entrées pour le mot ALLURE.
La dernière, "Aller de plus grande allure ...", devenant en 1606
"Aller de plus grande singlée, ou singleure ..." (Nicot aussi
peut prêter plus d'attention au latin qu'au français), le seul
élément formel qui se rattache alors à l'article global
est aller, de sorte que les sous-vedettes ALLEE et
ALLURE sont dans une certaine mesure masquées.
Quant à BOUGE/BOUGETTE, sa physionomie change
d'édition en édition:
BOVGETTE
Bougette de cuir, Bulga. (E 1539)
BOVGE, BOVGETTE. Ils uiennent de ...
Bougette de cuir, Bulga ... (E 1549)
Jusque là pas de probleme; en 1564, des additions mal placées:
[Le bouge d'un bouclier, Vmbo
BOVGE, BOVGETTE. Ils viennent de ...
Bougette de cuir, Bulga
[Le bouge d'une chambre
ND 1573 réarrange les entrées sans en améliorer l'ordre:
le BOVGE d'un bouclier, Vmbo
¶ Bouge, Bougette. Ils viennent de ...
¶ Le bouge d'une chambre
Bougette de cuir, Bulga
N 1606 réunit les différentes entrées de BOUGE dans un long article développé mais garde
séparées les deux occurrences de BOUGETTE:
BOVGE ... Tantost est masculin ... le
Bouge d'vn
bouclier ... le Bouge d'vne chambre ... Et
tantost est feminin, duquel le diminutif est Bougete ...
Bougete, f.penacut. Est le diminutif de
Bougetier, m.acut. L'artisan & l'ouurier
Bougete de cuir, Bulga
Cependant, les dimensions réduites du macro-article de 1539 à
1573, et son organisation typographique en 1606 rendent aisée la
découverte des différents items sauf, peut-être, dans T
1564 la première entrée ("Le bouge d'un bouclier"), qui
précède la vedette typographique.
2.2.1.1.4. Conséquences du classement étymologique latin
Lorsque, dans E 1549, on lit pour l'article ARBITRE la
séquence d'entrées suivante:
la raison de l'ordre est à chercher plutôt du côté
du latin que de celui du français. Les équivalents latins sont
donnés grosso modo dans l'ordre suivant: arbiter,
arbitrari, arbitrarium, arbitrium. Dans E 1539 cet ordre
est encore plus clair et plus strict:
De même, ACQUERIR, ACQUESTER, ACQUIS et ACQUISITION, réunis en un macro-article depuis 1539, ont
des liens de ressemblance plus marqués en latin qu'en français;
à partir de 1564 on y trouve, par exemple: "ACQVERIR, Acquirere, Parere, Quaerere // Acquester &
amosser, Quaerere // Acquereur, ou Acquesteur ... Partor //
Acquis, Partus, Quaesitus, Acquisitus // Acquisition,
Acquisitio". L'article DECERNER s'attribue DECRET à travers la conjugaison latine: "DECERNER, Decernere // Decerné, Decretus //
Qui decernera, Decreturus // Decret, Decretum" (1549); de
même, DISCRETION "Discrimen" (1539) se rattache
à la vedette DISCERNER "Discriminare" avant tout
par la voie du latin. Plus troublant encore, à cause de la plus grande
disparité alphabétique, est le cas de DILATION "Dilatio" [< differo] classé dans le
macro-article DIFFERER (1549).
On est frappé dans toutes les éditions du dictionnaire par le
grand nombre d'entrées, données dans l'article d'un verbe, qui
commencent par la formule "Qui ..." ou "Celuy qui ...", et ne
servant qu'à definir un nom latin. Elles sont toutes à faire
remonter à E 1539 [77] où, bien que
n'offrant aucun élément formel nouveau du côté
français, elles sont très souvent données en
sous-vedettes (ligne en saillie ou pied-de-mouche). Par exemple, "Celuy qui
abandonne ... Proscriptor" (s.v. Abandonner), "Qui appelle & huche,
Euocans" et "Qui ua appeler & ... Accersitor" (s.v. Appeler), etc. Le
plus souvent, les éditions postérieures laissent ces items
'latins' tels quels; quelques-uns sont quand même 'francisés':
ainsi T 1564 change "Qui allaicte, Lactans" (s.v. Allaicter) en
"Enfant qui allaicte, Lacteus puer // Mere allectant son enfant,
Mater lactans filium"; dans le commentaire que N 1606 consacre à
l'entrée "Celuy qui abbandonne ...", le mot abbandonneur
est employé; "Qui abbaye, Latrator" (s.v. Abbay), enfin, se
transforme graduellement -- en "Qui abbaye, ou Abbayeur, Latrator"
(1549) puis "Abbayeur, Latrator" (1573). [78]
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