NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - Enquête

Le Livre 010101: Enquête (2001)
12. Apprendre et enseigner

12.1. Dictionnaires et encyclopédies en ligne
12.2. Bases de données en ligne
12.3. L'université et le numérique
12.3.1. L'Université de Caen
12.3.2. La Webster University de Genève
12.3.3. L'Université de Lausanne
12.3.4. L'Université de Tokyo
12.3.5. L'Université de Toronto
12.4. Les perspectives


12.1. Dictionnaires et encyclopédies en ligne

Un des premiers dictionnaires disponibles gratuitement sur le web est le Dictionnaire universel francophone en ligne, qui correspond à la partie "noms communs" de la version imprimée du dictionnaire du même nom, issu de la collaboration d'Hachette avec l'AUPELF-UREF (Agence universitaire de la francophonie), et publié par Hachette Edicef. Cette partie "noms communs" répertorie 45.000 mots et 116.000 définitions. Elle présente "sur un pied d'égalité, le français dit 'standard' et les mots et expressions en français tel qu'on le parle sur les cinq continents". Pour la langue anglaise, le site Merriam-Webster OnLine permet l'accès libre au Collegiate Dictionary et au Collegiate Thesaurus, deux ouvrages de référence.

La fin 1999 marque le saut du papier au numérique pour plusieurs encyclopédies de renom. En décembre 1999, les éditions Atlas mettent en ligne gratuitement sur le web leur encyclopédie WebEncyclo. La recherche est possible par mots-clefs, thèmes, médias (cartes, liens internet, photos, illustrations) et idées. Depuis les débuts du site, un appel à contribution incite les spécialistes d'un sujet donné à envoyer des articles.

Décembre 1999 voit aussi la mise en ligne du site Britannica.com, qui propose en accès libre et gratuit l'équivalent des 32 volumes de la 15e édition de l'Encyclopaedia Britannica (dont la version imprimée est toujours disponible au prix de 1.250 $US, soit 1.320 euros). Le site propose aussi l'actualité mondiale, une sélection d'articles de 70 magazines, un guide des meilleurs sites web (plus de 125.000 sites), une sélection de livres, etc., le tout étant accessible à partir d'un moteur de recherche unique. Depuis septembre 2000, le site fait partie des cent sites les plus visités au monde. En ligne aussi, l'ensemble du fonds documentaire de l'Encyclopaedia Universalis, soit 28.000 articles signés par 4.000 auteurs. La consultation est payante sur la base d'un abonnement annuel, mais de nombreux documents sont également en accès libre. Disponible depuis mars 2000 en consultation payante, la version en ligne des 20 volumes du célèbre Oxford English Dictionary bénéficie d'une mise à jour trimestrielle d'environ 1.000 entrées nouvelles ou révisées. Le Quid, encyclopédie en un volume réactualisée une fois par an depuis 1963, met de nombreux documents en accès libre sur le web. Encarta, la fameuse encyclopédie de Microsoft, est en accès libre et gratuit depuis septembre 2000.

Toujours en accès libre, Eurodicautom, proposé par le Service de traduction de la Commission européenne, est un dictionnaire multilingue de termes économiques, scientifiques et techniques, juridiques, etc., relatifs aux divers champs d'activité de l'Union européenne. Il permet des combinaisons entre ses onze langues officielles (allemand, anglais, danois, espagnol, finnois, français, grec, hollandais, italien, portugais et suédois), ainsi que le latin.

Réalisé par l'Office de la langue française du Québec, Le Signet est dénommé à juste titre "la référence branchée en terminologie". Il donne accès à six mille fiches bilingues français-anglais dans le secteur des technologies de l'information. TERMITE est la base de données quadrilingue (anglais, espagnol, français et russe) de la Section de traduction de l'Union internationale des télécommunications (UIT). Composée de 59.000 entrées, elle est alimentée à la fois par les traducteurs de l'UIT et des spécialistes des télécommunications extérieurs à l'UIT.

Moins d'un an après la mise en ligne gratuite d'encyclopédies générales de renom, autre évènement: la mise en ligne gratuite en septembre 2000 du Grand dictionnaire terminologique (GDT), qui rassemble un fonds terminologique de 3 millions de termes français et anglais du vocabulaire industriel, scientifique et commercial, dans 2.000 domaines d'activité. Ce fonds équivaudrait à 3.000 ouvrages de référence imprimés. Sa mise en ligne est le résultat d'un partenariat entre l'Office de la langue française du Québec, auteur du dictionnaire, et la société Semantix, spécialisée dans la mise au point de solutions logicielles pour l'intégration de fonctions linguistiques. Cette mise en ligne est un succès: un mois plus tard, le GDT a été consulté par 1,3 million de personnes, avec des pointes de 60.000 requêtes quotidiennes. "Nous croyons que la nouvelle de l'accessibilité à un dictionnaire terminologique bilingue gratuit dans internet s'est répandue comme une traînée de poudre parmi les internautes, qui se communiquent très rapidement les nouvelles, explique Francis Malka, fondateur et chef de la direction technologique de Semantix (cité par l'AFP). Nous recevons des requêtes de partout à travers le globe, même si la grande majorité des requêtes provient du Canada."

Dictionnaires électroniques, une liste établie par la section française des services linguistiques centraux de l'Administration fédérale suisse, répertorie de façon aussi exhaustive que possible les meilleurs dictionnaires monolingues, bilingues et multilingues. Elle est complétée par des répertoires d'abréviations et d'acronymes et des répertoires d'informations géographiques. Responsable de la section française des services linguistiques, Marcel Grangier explique: "Conçu d'abord comme un service intranet, notre site web se veut au service d'abord des traducteurs opérant en Suisse, qui souvent travaillent sur la même matière que les traducteurs de l'administration fédérale, mais également, par certaines rubriques, au service de n'importe quel autre traducteur où qu'il se trouve. Les dictionnaires électroniques ne sont qu'une partie de l'ensemble, et d'autres secteurs documentaires ont trait à l'administration, au droit, à la langue française, etc., sans parler des informations générales."

"Travailler sans internet est devenu tout simplement impossible, ajoute Marcel Grangier. Au-delà de tous les outils et commodités utilisés (messagerie électronique, consultation de la presse électronique, activités de services au profit de la profession des traducteurs), internet reste pour nous une source indispensable et inépuisable d'informations dans ce que j'appellerais le "secteur non structuré" de la toile. Pour illustrer le propos, lorsqu'aucun site comportant de l'information organisée ne fournit de réponse à un problème de traduction, les moteurs de recherche permettent dans la plupart des cas de retrouver le chaînon manquant quelque part sur le réseau."

D'autres outils utiles sont les moteurs permettant la recherche dans plusieurs dictionnaires. Proposé par Foreignworld.com, DictSearch est un moteur de recherche dans 200 dictionnaires de langues (67 langues source et 69 langues cible, soit plus de 300 combinaisons de langues en juillet 2001). Le Logos Dictionary, dictionnaire multilingue de plus de 7,5 millions d'entrées, est un des outils linguistiques proposés par Logos, société de traduction internationale basée à Modène (Italie). Créé par Robert Ware, OneLook Dictionaries est un moteur de recherche puisant dans les quelque 3 millions de mots de 750 dictionnaires (en anglais, français, allemand, italien, espagnol, etc.) traitant de sujets divers (affaires, argot, généralités, informatique et internet, médecine, religion, sciences, sports, technologie, etc.). Son correspondant français est Dicorama.

On assiste enfin au développement de portails de dictionnaires. Par exemple yourDictionary.com, créé par Robert Beard en 1999, dans le prolongement de son ancien site, "A Web of Online Dictionaries", maintenant intégré à celui-ci. Consacré aux dictionnaires - 1.500 dictionnaires dans 230 langues - et aux langues en général (vocabulaires, grammaires, apprentissage des langues, etc.), yourDictionary.com se veut le portail de toutes les langues sans exception. Il accorde une importance particulière aux langues minoritaires et menacées.


12.2. Bases de données en ligne

Russon Wooldridge, professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto, est le créateur de ressources littéraires librement accessibles en ligne. Un pas de plus est franchi vers l'autonomisation de l'usager comme créateur de ressources en ligne, souligne-t-il en mai 2001. "La dernière version de TACTweb, récemment installée sur un serveur de l'Université de Toronto, permet dorénavant de construire des bases interactives importantes comme les dictionnaires de la Renaissance (Estienne et Nicot ; base RenDico), les deux principales éditions du Dictionnaire de l'Académie française (1694 et 1835), les collections de la Bibliothèque électronique de Lisieux (base LexoTor), les oeuvres complètes de Maupassant, ou encore les théâtres complets de Corneille, Molière, Racine, Marivaux et Beaumarchais (base théâtre 17e-18e). À la différence de grosses bases comme Frantext ou ARTFL (American and French Research on the Treasury of the French Language) nécessitant l'intervention d'informaticiens professionnels, d'équipes de gestion et de logiciels coûteux, TACTweb, qui est un gratuiciel que l'on peut décharger en ligne et installer soi-même, peut être géré par le chercheur individuel créateur de ressources textuelles en ligne."

A la suite de l'INaLF (Institut national de la langue française), scindée en deux organismes distincts en janvier 2001, l'ATILF (Analyse et traitements informatiques du lexique français) développe des programmes de recherche sur la langue française, principalement son vocabulaire. Traitées par des systèmes informatiques spécifiques, les données (lexicales et textuelles) portent sur divers registres du français: langue littéraire (du 14e au 20e siècle), langue courante (écrite et parlée), langue scientifique et technique (terminologies), et régionalismes.

Les bases de données de l'ATILF comprennent notamment: a) Frantext, un corpus à dominante littéraire constitué de textes français qui s'échelonnent du 16e au 20e siècle. Sur l'intégralité du corpus, il est possible d'effectuer des recherches simples ou complexes (base non catégorisée). Sur un sous-ensemble comportant des oeuvres en prose des 19e et 20e siècles, les recherches peuvent également être effectuées selon des critères syntaxiques (base catégorisée); b) l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, en collaboration avec l'ARTFL (American and French Research on the Treasury of the French Language) de l'Université de Chicago. Il s'agit de la version internet de la première édition, à savoir 17 volumes de texte et 11 volumes de planches; c) Dictionnaires d'autrefois (16e-19e siècles): Dictionnaires de l'Académie française, 1e (1694), 5e (1798), et 6e (1835) éditions, Dictionarium latinogallicum de Robert Estienne, Thresor de la langue françoyse (versions ancienne et moderne) de Jean Nicot, Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle; d) le Catalogue critique des ressources textuelles sur internet (CCRTI), un ensemble de sites qui diffusent des ressources textuelles en ligne sur le web, sélectionnés en fonction de leur sérieux sur le plan du traitement éditorial et du traitement numérique des textes; e) le Dictionnaire de l'Académie française, 8e édition (1932).

"L'avenir me semble prometteur en matière de publications de ressources en ligne, même si, en France tout au moins, bon nombre de résistances, inhérentes aux systèmes universitaire et éditorial, ne risquent pas de céder du jour au lendemain (dans dix-vingt ans, peut-être?), écrit Emilie Devriendt, élève professeur à l'Ecole normale supérieure de Paris. Ce qui me donne confiance, malgré tout, c'est la conviction de la nécessité pratique d'internet. J'ai du mal à croire qu'à terme, un chercheur puisse se passer de cette gigantesque bibliothèque, de ce formidable outil. Ce qui ne veut pas dire que les nouvelles pratiques de recherche liées à internet ne doivent pas être réfléchies, mesurées à l'aune de méthodologies plus traditionnelles, bien au contraire. Il y a une histoire de l''outillage', du travail intellectuel, où internet devrait avoir sa place."

Dans un tout autre registre, l'Ethnologue, une encyclopédie des langues, a mis la totalité de son contenu en accès libre sur le web, ce qui ne l'empêche pas d'être également diffusée en version imprimée et sur CD-Rom, tous deux payants. Cette encyclopédie très documentée répertorie 6.700 langues, avec de multiples critères de recherche. Barbara F. Grimes, sa directrice de publication entre 1971 et 2000 (8e-14e éditions), explique: "Il s'agit d'un catalogue des langues dans le monde, avec des informations sur les endroits où elles sont parlées, une estimation du nombre de personnes qui les parlent, la famille linguistique à laquelle elles appartiennent, les autres noms utilisés pour ces langues, les noms de dialectes, d'autres informations socio-linguistiques et démographiques, les dates des Bibles publiées, un index des noms de langues, un index des familles linguistiques et des cartes géographiques relatives aux langues."

Autre exemple, Rubriques à Bac, créée par Gérard Fourestier, professeur de français à Nice et diplômé en science politique. Rubriques à Bac propose deux bases de données accessibles par souscription, avec version démo en accès libre, à destination des étudiants du premier cycle universitaire et de leurs professeurs. La première, ELLIT (Éléments de littérature), a trait à la littérature française du 12e siècle à nos jours et regroupe plus de 350 articles liés entre eux par 8.500 liens, ainsi qu'un répertoire de 450 auteurs qui ont joué un rôle majeur dans la formation de cette littérature. La deuxième, RELINTER (Relations internationales depuis 1945), recense plus de 2.000 liens sur l'évolution de la situation du monde contemporain de la deuxième guerre mondiale à nos jours.

"Rubriques à Bac est une branche des activités du GRIMM (Groupe de recherche et d'information sur le multimédia), explique Gérard Fourestier. Le GRIMM est un groupement associatif de personnes physiques et morales qui pratiquent la recherche et l'information sur l'informatique, le multimédia et la communication. Cependant, les perspectives ouvertes par une fréquentation du site en progression rapide, et compte tenu de la mission que j'ai assignée aux recettes de cette activité, à savoir la réalisation de projets éducatifs en Afrique, Rubriques à Bac se constituera prochainement en entité juridique propre."

Quel est l'historique du site? "Le site de Rubriques à Bac a été créé en 1998 pour répondre au besoin de trouver sur le net, en un lieu unique, l'essentiel, suffisamment détaillé et abordable par le grand public, dans le but: a) de se forger avant tout une culture tout en préparant à des examens probatoires à des études de lettres - c'est la raison d'ELLIT (Eléments de littérature), base de données en littérature française; b) de comprendre le monde dans lequel nous vivons en en connaissant les tenants et les aboutissants, d'où RELINTER (Relations internationales). J'ai développé ces deux matières car elles correspondent à des études que j'ai, entre autres, faites en leur temps, et parce qu'il se trouve que, depuis une dizaine d'années, j'exerce des fonctions de professeur dans l'enseignement public (18 établissements de la 6e aux terminales de toutes sections et de tous types d'établissements). Faute de temps, je n'ai pu réaliser que ces deux thèmes, mais je ne désespère pas de développer aussi d'autres sujets qui font partie de ma panoplie universitaire et d'autodidacte curieux de tout comme la philosophie, l'analyse sociétale, l'analyse sémantique ou encore l'écologie, et que je tiens 'au chaud dans mes cartons'. Ceci étant, je suis à l'affût de toutes autres idées, venant d'ailleurs, pour ne me réserver alors que la supervision du contenu mis en forme, la dernière main dans la réalisation informatique et la gestion en tant que site spécialisé.

Pour l'instant et faute de mieux, en raison de mon âge, la cinquantaine, et non de mes compétences, je m'occupe de mes élèves en les préparant à leurs examens tout en leur donnant envie d'être utiles, ne serait-ce que pour eux-mêmes et en leur apportant le sens des responsabilités, en un mot un message humaniste. J'aime ce métier car, pour moi, le savoir, ça se donne, et le maître, comme en boudhisme, ne peut avoir qu'un seul but: que son élève le dépasse. En outre, alors que j'ai eu dans le passé d'importantes fonctions de fondé de pouvoir, et que j'ai dirigé pour mon compte quelques entreprises, je suis maître à bord dans mes classes et j'organise mon travail comme je l'entends. C'est pour moi essentiel. (...) Mon activité liée à internet consiste tout d'abord à en sélectionner les outils, puis à savoir les manier pour la mise en ligne de mes travaux et, comme tout a un coût et doit avoir une certaine rentabilité, organiser le commercial qui permette de dégager les recettes indispensables; sans parler du butinage indispensable pour la recherche d'informations qui seront ensuite traitées. (...) Mon initiative à propos d'internet n'est pas directement liée à mes fonctions de professeur. J'ai simplement voulu répondre à un besoin plus général et non pas étroitement scolaire, voire universitaire. Débarrassé des contraintes du programme, puisque j'agis en mon nom et pour mon compte et non 'es-qualité', mais tout en en donnant la matière grise qui me paraît indispensable pour mieux faire une tête qu'à la bien remplir, je laisse à d'autres le soin de ne préparer qu'à l'examen."


12.3. L'université et le numérique

Voici quelques expériences de par le monde, provenant de professionnels des Universités de Caen (12.3.1), Genève (12.3.2), Lausanne (12.3.3), Tokyo (12.3.4) et Toronto (12.3.5).

12.3.1. L'Université de Caen

Directeur du centre de ressources informatiques de l'Université de Caen (CRIUC), Gérard Jean-François est chargé de l'exploitation et du développement des technologies de la communication pour la recherche et la pédagogie. "L'Université de Caen Basse-Normandie compte 24.000 étudiants, écrit-il. Elle est unique, donc pluridisciplinaire pour la région. De ce fait, elle est répartie sur une douzaines de sites. Les activités principales sont évidemment l'enseignement et la recherche. Mon activité professionnelle consiste à effectuer la veille technologique et à mettre en place les moyens nécessaires à l'activité de l'établissement. Ces moyens sont essentiellement le réseau de communication, les serveurs et les équipements individuels. Sur ces équipements sont mis en place les services (messageries, bases de données, visioconférence...) nécessaires aux utilisateurs (étudiants, enseignants/chercheurs, personnels techniques et administratifs). Par rapport à internet, je me dois de fournir l'accès internet à l'ensemble de l'établissement mais également législation en appliquant toutes les mesures de sécurité qui incombent à mon rôle de responsable sécurité du système informatique."

12.3.2. La Webster University de Genève

Henri Slettenhaar est spécialiste des technologies de la communication. En 1958, dans le cadre du CERN (Laboratoire européen pour la physique des particules), il travaille sur le premier ordinateur numérique et il participe au développement des premiers réseaux numériques. Son expérience américaine débute en 1966: il rejoint pendant dix-huit mois une équipe du Stanford Linear Accelerator Center (SLAC) pour créer un numérisateur de film. De retour au SLAC en 1983, il conçoit un système numérique de contrôle qui sera utilisé pendant dix ans. Depuis près de vingt ans, il est professeur à la Webster University de Genève. Dans ce cadre, il dirige le Telecom Management Program, programme créé à l'automne 2000 pour répondre à la nécessité de former les étudiants dans un domaine en pleine expansion. Il est également consultant auprès de nombreux organismes.

En 1992, Henri Slettenhaar crée la Silicon Valley Association (SVA), une association suisse qui organise des voyages d'étude dans des pôles de haute technologie: Silicon Valley, San Francisco, Los Angeles, Finlande, etc. Outre des visites de sociétés, start-up, universités et centres de recherche, ces voyages comprennent des conférences, présentations et discussions portant sur les nouvelles technologies de l'information (internet, multimédia, télécommunications, etc.), les derniers développements de la recherche et de ses applications, et les méthodes les plus récentes en matière de stratégie commerciale et de création d'entreprise.

"Je ne peux pas imaginer ma vie professionnelle sans l'internet, écrit Henri Slettenhaar. Cela fait vingt ans que j'utilise le courrier électronique. Les premières années, c'était le plus souvent pour communiquer avec mes collègues dans un secteur géographique très limité. Depuis l'explosion de l'internet et l'avènement du web, je communique principalement par courrier électronique, mes conférences sont en grande partie sur le web et mes cours ont tous un prolongement sur le web. En ce qui concerne les visites que j'organise dans la Silicon Valley, toutes les informations sont disponibles sur le web, et je ne pourrais pas organiser ces visites sans utiliser l'internet. De plus, l'internet est pour moi une fantastique base de données disponible en quelques clics de souris."

12.3.3. L'Université de Lausanne

Pierre Magnenat est responsable de la cellule "gestion et prospective" du centre informatique de l'Université de Lausanne. Lors d'un entretien électronique, il relate son parcours professionnel: "Mathématicien de formation, je me suis ensuite orienté vers la recherche en astrophysique à l'Observatoire de Genève, domaine dans lequel j'ai obtenu mon doctorat en 1982. Le sujet en était l'étude de la stabilité des orbites dans des modèles numériques de galaxies, ce qui m'a conduit à développer un usage intense de l'informatique, et m'a peu à peu dirigé totalement vers cette branche encore neuve à l'époque. En 1985, j'ai accordé mes actes à mes préférences et suis parti travailler chez un constructeur informatique. J'ai rejoint l'Université de Lausanne en 1990 pour occuper le poste où je suis encore. L'Université de Lausanne est une université généraliste fondée en 1537 (théologie, droit, lettres, sciences sociales, HEC (hautes études commerciales), sciences (maths, physique, chimie, biologie, sciences de la terre, pharmacie) et médecine. Elle comprend environ 10.000 étudiants et 2.200 chercheurs. Dès le début du web, un premier site a été créé par le personnel du centre informatique (en 1995). Chaque faculté, section ou institut s'y est mis par la suite, sans réelle unité et cohérence. Par la suite, certaines règles d'édition ont été établies, et le site remanié à plusieurs reprises avec l'aide de graphistes et d'une personne en charge de fédérer les informations. Nous avons été la première université suisse (voire européenne?) à permettre l'immatriculation des nouveaux étudiants par le web. Depuis, les applications administratives (ressources humaines, finances, grades, etc.) sont les unes après les autres adaptées à un usage par le web. Pour le futur proche, nous étudions la mise en place d'un portail dont l'accès sera personnalisé et adapté aux tâches et désirs de chacun, étudiants, personnel ou visiteur. Il permettra également un accès authentifié aux applications administratives."

En quoi consiste exactement son activité? "Je dirige la centrale d'achats informatiques de l'université. A ce titre, je définis des normes techniques, je procède aux appels d'offres et gère l'entretien du parc, ainsi que les contrats de licences de logiciels. Je suis également responsable de l'établissement et de la gestion des budgets informatiques centraux. Une bonne part de mon activité est ainsi liée à des aspects de prospective et de veille technologique. Bien avant l'arrivée du web, internet était déjà un outil essentiel à mon activité: courrier électronique, information par Usenet News puis gopher. Chaque développement nouveau de l'internet nous a permis de mettre en place des outils facilitant la vie de nos utilisateurs (listes de prix et configurations, formulaires de commandes, inventaires en ligne, etc.) tout comme la nôtre (contacts fournisseurs, informations techniques, etc.). Par ailleurs, cet usage a déteint dès le début sur mes activités personnelles (IRC, news, etc.), pour aboutir à un usage fréquent du commerce électronique et de la bourse en ligne."

12.3.4. L'Université de Tokyo

Professeur de français, de littérature française et d'applications informatiques dans des universités japonaises, à Tokyo et Nagoya, Patrick Rebollar utilise l'ordinateur pour la recherche et l'enseignement depuis plus de dix ans. En 1994, il voit apparaître l'internet "dans le champ culturel et linguistique francophone". En 1996, il débute un site web de recherches et activités littéraires. En octobre 1999, il devient le modérateur de LITOR (Littérature et ordinateur), liste de diffusion francophone créée en octobre 1999 par l'équipe de recherche Hubert de Phalèse de l'Université Paris 3, et qui comptait en janvier 2000 près de 180 membres, majoritairement des universitaires d'une douzaine de pays.

En juillet 1998, Patrick Rebollar expose l'impact de l'internet sur sa vie professionnelle: "Mon travail de recherche est différent, mon travail d'enseignant est différent, mon image en tant qu'enseignant-chercheur de langue et de littérature est totalement liée à l'ordinateur, ce qui a ses bons et ses mauvais côtés (surtout vers le haut de la hiérarchie universitaire, plutôt constituée de gens âgés et technologiquement récalcitrants). J'ai cessé de m'intéresser à certains collègues proches géographiquement mais qui n'ont rien de commun avec mes idées, pour entrer en contact avec des personnes inconnues et réparties dans différents pays (et que je rencontre parfois, à Paris ou à Tokyo, selon les vacances ou les colloques des uns ou des autres). La différence est d'abord un gain de temps, pour tout, puis un changement de méthode de documentation, puis de méthode d'enseignement privilégiant l'acquisition des méthodes de recherche par mes étudiants, au détriment des contenus (mais cela dépend des cours). Progressivement, le paradigme réticulaire l'emporte sur le paradigme hiérarchique - et je sais que certains enseignants m'en veulent à mort d'enseigner ça, et de le dire d'une façon aussi crue. Cependant ils sont obligés de s'y mettre..."

En janvier 2000, son activité s'articule autour de trois pôles: "veille technologique et culturelle, enseignement assisté par ordinateur, création de pages littéraires pédagogiques (mise en ligne en février ou mars 2000 d'une oeuvre de Balzac, L'Illustre Gaudissart, avec notes de lecture préparées par des étudiants japonais en doctorat pendant l'année universitaire 1999). Pour réaliser ce document balzacien, nous avons travaillé dans une salle entièrement informatisée de l'Université Gakushuin (Tokyo) et nous avons utilisé majoritairement des données en ligne (Dictionnaire de l'Académie française, index de Balzac, cédérom Littré, etc.)."

12.3.5. L'Université de Toronto

Professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto, Russon Wooldridge est le créateur de sites dans le domaine des études françaises, dont le Net des études françaises (site sur lequel le livre que vous êtes en train de lire est publié). Il est également éditeur en ligne (revue, actes de colloques) et chercheur (histoire de la langue, évolution des médias du papier et du web). Son activité consiste à "aider les étudiants à vivre en français (cours de langue de première année du 1er cycle d'études, par exemple), à perfectionner leurs compétences linguistiques (cours de traduction de quatrième année du 1er cycle, par exemple), à approfondir leur connaissance de domaines spécifiques du savoir exprimés en français (cours et thèses de 2e et 3e cycles) et, à tous les niveaux, à se servir des outils appropriés."

"Mes activités de recherche, autrefois menées dans une tour d'ivoire, se font maintenant presque uniquement par des collaborations locales ou à distance, explique-t-il. (...) Tout mon enseignement exploite au maximum les ressources d'internet (le web et le courriel): les deux lieux communs d'un cours sont la salle de classe et le site du cours, sur lequel je mets tous les matériaux des cours. Je mets toutes les données de mes recherches des vingt dernières années sur le web (réédition de livres, articles, textes intégraux de dictionnaires anciens en bases de données interactives, de traités du 16e siècle, etc.). Je publie des actes de colloques, j'édite un journal, je collabore avec des collègues français, mettant en ligne à Toronto ce qu'ils ne peuvent pas publier en ligne chez eux."


12.4. Les perspectives

En juin 1998, Christiane Jadelot, ingénieur d'études à l'INaLF (Institut national de la langue française), insiste sur la nécessité d'"équiper de plus en plus de laboratoires avec du matériel de pointe, qui permette d'utiliser tous ces médias. Nous avons des projets en direction des lycées et des chercheurs. Le ministère de l'Education nationale a promis de câbler tous les établissements, c'est plus qu'une nécessité nationale. J'ai vu à la télévision une petite école dans un village faisant l'expérience de l'internet. Les élèves correspondaient avec des écoles de tous les pays, ceci ne peut être qu'une expérience enrichissante, bien sûr sous le contrôle des adultes formés pour cela."

En septembre 1998, Robert Beard, co-fondateur de yourDictionary.com, portail pour les langues, insiste sur le fait que "l'internet nous offrira tout le matériel pédagogique dont nous pouvons rêver, y compris des notes de lecture, exercices, tests, évaluations et exercices interactifs plus efficaces que par le passé parce que reposant davantage sur la notion de communication. Le web sera une encyclopédie du monde faite par le monde pour le monde. Il n'y aura plus d'informations ni de connaissances utiles qui ne soient pas diponibles, si bien que l'obstacle principal à la compréhension internationale et interpersonnelle et au développement personnel et institutionnel sera levé. Il faudrait une imagination plus débordante que la mienne pour prédire l'effet de ces développements sur l'humanité."

"Il va falloir inventer et organiser les nouveaux métiers de la formation (éditeur, médiateur, tuteur, évaluateur ...) et les faire prendre en compte dans les institutions de formation", écrit en décembre 1999 Jacques Trahand, vice-président de l'Université Mendès France de Grenoble.

Quelles sont les perpectives en 2001?

Pierre Magnenat, responsable de la cellule "gestion et prospective" du centre informatique de l'Université de Lausanne: "L'usage de l'internet va encore s'intensifier, tout comme ses aspects intranet au sein de notre institution. En particulier, l'apparition des 'campus virtuels' proposant des enseignements à distance et/ou collaboratifs va bouleverser l'usage que l'on en fait jusqu'à maintenant, exigeant des bandes passantes considérablement plus grandes. La téléconférence, déjà mise en place par ATM (asynchronous transfer mode) entre les Universités de Lausanne et Genève, va également s'étendre, exigeant elle aussi des moyens considérables et très sécurisés (par exemple pour les diagnostics médicaux à distance, voire la téléchirurgie)."

Russon Wooldridge, professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto: "Il est crucial que ceux qui croient à la libre diffusion des connaissances veillent à ce que le savoir ne soit pas bouffé, pour être vendu, par les intérêts commerciaux. Ce qui se passe dans l'édition du livre en France, où on n'offre guère plus en librairie que des manuels scolaires ou pour concours (c'est ce qui s'est passé en linguistique, par exemple), doit être évité sur le web. Ce n'est pas vers les Amazon.com qu'on se tourne pour trouver la science désintéressée."

Christian Vandendorpe, professeur à l'Université d'Ottawa: "Il faut saluer la décision du MIT (Masachusetts Institute of Technology) de placer tout le contenu de ses cours sur le web d'ici dix ans, en le mettant gratuitement à la disposition de tous. Entre les tendances à la privatisation du savoir et celles du partage et de l'ouverture à tous, je crois en fin de compte que c'est cette dernière qui va l'emporter."


Chapitre 13: L'imprimé
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