NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - Enquête

Le Livre 010101: Enquête (2001)
13. Quel avenir pour l'imprimé?

Nous vivons une période transitoire, marquée par la généralisation des documents numériques et la numérisation à grande échelle des documents imprimés. Comme on le verra dans les lignes qui suivent, si les professionnels du livre reconnaissent tous les nombreuses qualités pratiques du numérique dans leur vie professionnelle, certains utilisent encore beaucoup leur imprimante et tout autant les documents imprimés. A titre personnel, pour des raisons aussi bien pratiques que sentimentales, pratiquement personne ne peut se passer du livre imprimé, et encore moins de ce matériau extraordinaire qu'est le papier. Reste à attendre quelques années, lorsque le papier électronique permettra de concilier dans un même support les avantages du numérique et le plaisir irremplaçable du papier.

13.1. L'imprimé vu par les auteurs
13.2. L'imprimé vu par les bibliothécaires-documentalistes
13.3. L'imprimé vu par les éditeurs
13.4. L'imprimé vu par les gestionnaires
13.5. L'imprimé vu par les linguistes
13.6. L'imprimé vu par les professeurs
13.7. L'imprimé vu par les spécialistes du numérique


13.1. L'imprimé vu par les auteurs

Alex Andrachmes, producteur audiovisuel, écrivain et explorateur d'hypertexte, utilise encore beaucoup de documents papier. "A l'heure actuelle, il semble que l'internet soit encore considéré majoritairement comme un outil de travail, ou au mieux, comme un outil de consultation de documentation, d'infos en ligne, ou de services (réservations, prix, achats en ligne). Pas encore de loisir proprement dit, à part pour une minorité d'addicts de jeux, de free TV, de téléchargements musicaux ou de... sexe virtuel... La principale raison à cet état de fait est technique. La majorité des équipements se trouve dans les bureaux, et les connexions permanentes (câble, ADSL...) sont loin d'être majoritaires. Ce détour pour constater que le meilleur outil de lecture reste le livre, qu'on peut emporter n'importe où. Dans ma pratique professionnelle, et celle de la plupart de mes correspondants dans les médias, toute la création de documents (projets, scénarios, contrats, devis...) passe par l'ordinateur, les textes circulent par e-mail et attachements, mais leur lecture et/ou analyse passe par les tirages papier. Rares sont ceux qui échangent directement les infos sans ce passage obligé. Il faut une tournure d'esprit particulière pour arriver à envisager globalement un document, l'analyser, le corriger, sans l'imprimer. Par mon activité web, je m'y exerce, et ce n'est au fond pas désagréable du tout."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Il n'est pas impossible que, si on assiste à une véritable généralisation de l'e-book, ou à travers les Psion, Palm, WAP, UMTS (universal mobile telecommunications system)... qui sait, le papier finisse par être détrôné. Mais dans l'état actuel, le papier ne me paraît pas mort. Les premiers qui auront à souffrir, me semble-t-il, ce sont les journaux. Puisque la fonction info et service est déjà très répandue sur le net, via les sites des journaux eux-mêmes. Les grands médias sont en train de s'embarquer dans ce train-là, voir les sites de TF1, Canal+, etc... Les autres (l'édition principalement) passeront encore longtemps par l'étape tirage papier... Mais il se passe quelque chose via les sites de webtertainment dont je parlais plus haut, des habitudes se prennent, surtout chez les jeunes. Et là, une initiative comme la nôtre pourrait participer à un changement de la donne. En effet, l'activité proprement mail est un phénomène sociologique incontestable qui s'explique par une certaine dépersonnalisation des contacts permettant aux jeunes d'oser dire plus facilement ce qu'ils ont à dire. Paradoxalement, le texte qu'ils ont écrit leur paraît être une personnalisation de leur discours, puisqu'il existe sous forme écrite. Enfin, les fonctions envoi et retour confirment l'existence de leur discours, puisqu'il est lu, et qu'on y répond. Dans ces échanges-là, le papier a déjà complètement disparu. L'exploration de ces formes de discours par nos personnages est donc en pointe. Et leur communication à un large public un réel enjeu."

Jean-Pierre Cloutier, auteur des Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités de l'internet: "Disons que, dans mon cas, l'utilisation du support papier est plus sélective. Pour mes besoins, j'imprime parfois un document récupéré en ligne car le papier est une 'interface de lecture' des plus portables. Sans connexion, sans piles, sans attirail technique, on transporte le document où on veut, on l'annote, on le partage, on le donne, on le récupère, puis il peut prendre facilement le chemin du bac de recyclage. Côté des journaux et périodiques, j'en consomme moins qu'avant mon utilisation régulière d'internet (1991). Mais là encore, c'est sélectif. Le seul périodique que j'achète régulièrement est le mensuel Wired. Je n'ai jamais été abonné, je l'achète en kiosque, c'est comme voter avec son fric pour le changement. Pour ce qui est des livres, comme je suis en guerre perpétuelle avec le temps, j'ai peu l'occasion de lire. Au cours de mes vacances, cet été, j'ai acheté des livres de cyberlibraires et je les ai fait livrer poste restante au bureau de poste du village où j'étais. Entre trois à cinq jours pour la livraison, c'est génial."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Le cinéma n'a pas sonné la mort des spectacles sur scène et des arts d'interprétation, pas plus que la radio. La télévision n'a pas relégué aux oubliettes le cinéma, au contraire, elle a contribué à une plus grande diffusion des films. Même chose pour la vidéocassette. Les technologies se succèdent, puis cohabitent. Je crois qu'il en sera de même pour le papier. Il est certain que son rôle et ses utilisations seront modifiés, que certains contenus demeureront plus portables et conviviaux sur papier, il y aura des ajustements."

Luc Dall'Armellina, co-auteur et webmestre d'oVosite, espace d'écritures multimédias: "C'est toujours une question, une frustration, cette impossibilité du papier à entrer dans la machine! Les dispositifs d'annotation informatique sont pourtant loin d'égaler ceux, analogiques, de la lecture papier: post-it, pages cornées, notes en marge, photocopies commentées, agrandies, modifiées, partagées... que j'utilise - comme beaucoup - en nombre. Tous ces procédés sont des bricolages, les morceaux de papier pris sur des nappes au déjeuner, dans les pages 'notes' des agendas, mais ils sont la base d'un processus de mémorisation, d'appropriation personnelle. (Voir pour s'en convaincre la gestion archaïque des signets sur les deux navigateurs les plus modernes. Il faut aller voir des navigateurs de recherche comme Nestor de Romain Zeiliger pour voir pris en compte l'annotation comme processus cognitif et la représentation spatiale comme mode d'organisation des données complexes.) C'est là la question la moins bien prise en compte dans les dispositifs numériques où la mémoire prise en compte est celle de la machine et du logiciel, pas celle de nos cheminements intimes."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Les 'outils numériques' deviendront peut-être peu à peu les objets banals de notre quotidien ; en attendant ce(s) jour(s), la souplesse des usages du papier n'a pas encore son pareil, je crois. Les débuts des années 80 avaient annoncé la mort du support papier: son usage - et sa consommation - se sont vus multipliés. Le papier semble devoir être encore la surface-support de confort pour la lecture séquentielle, mais pour l'écriture numérique? On peut se poser la question, l'évolution lente mais inexorable des pratiques - et des outils d'écriture - entraîne forcément la lecture vers l'ailleurs des dispositifs interactifs. La tendance qui s'amorce sur le web - mais est-ce que cela dépassera le stade de tendance? - est la double écriture (et donc la double lecture ) proposée. De plus en plus de sites sont faits pour satisfaire une expérience interactive mais proposent aussi leurs contenus 'de fond' sous forme de fichiers Acrobat, donc mis en forme, designés pour l'impression individuelle sur papier. Une écriture interactive génère ses systèmes, dispositifs, mises en relation, en espaces, en interaction... et ses appareils de lecture. Les nouvelles oeuvres se lisent sur un micro-ordinateur - connecté ou non - pensons à la spécificité des Machines à écrire de Antoine Denize, de Puppet Motel de Laurie Anderson, de Ceremony of Innocence de Peter Gabriel/Nick Bantock. Mais on peut aussi penser - et espérer - que J.M.G. Le Clézio continuera de nous enchanter avec ses récits sur papier."

Pour Raymond Godefroy, écrivain-paysan, "le papier est un support qui va subsister encore très longtemps et qui garde certains avantages. Il est cependant gourmand en matière première, le bois. Les autres supports sont complémentaires, et présentent des avantages, surtout pour la circulation et la reproduction à longue distance."

Jean-Paul, webmestre du site des cotres furtifs, qui raconte des histoires en 3D: "Je lis autant d'imprimés qu'avant. La lecture sur écran s'y est rajoutée. D'où des problèmes de temps: ces machines qui sont censées travailler à notre place contribuent en fait à nous bouffer le temps libre qu'elles nous ont dégagé."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Ses jours sont encore longs avant que la lecture sur écran présente la même souplesse que celle d'un livre ou d'un magazine que l'on peut lire n'importe où, dans la position que l'on veut, et ranger, rouler, plier, déchirer facilement (allez envelopper les pelures de pomme de terre dans un 15 pouces!)."

Anne-Bénédicte Joly, écrivain qui auto-édite ses oeuvres: "Je dois avouer que le passage par l'écrit m'est encore nécessaire. Comme tout écrivain je conserve et souhaite conserver une relation privilégiée avec l'écrit, la plume, le crissement du stylo sur une feuille blanche. Par ailleurs, je note, je rature, je corrige, je développe... bref mes premières phases de création passent encore systématiquement par le papier avant la phase de saisie de mes textes. Par ailleurs, j'entretiens une relation sentimentale avec l'objet 'livre'."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Je pense que le support papier a encore beaucoup de beaux et longs jours devant lui. Ne serait-ce que pour des raisons de contacts affectifs avec l'objet livre, mais aussi de par la faible montée en puissance (actuelle) des solutions électroniques. Je pense que l'informatique est un moyen performant et totalement nécessaire pour fabriquer des livres mais je suis une fervente défenseur du plaisir de tenir un livre dans sa main, de l'emporter partout avec soi, de l'annoter, de le prêter, de le reprendre, de le feuilleter, de glisser page 38 mon marque-page préféré... J'aime cette relation privilégiée que le lecteur noue avec un livre. J'aime voir vivre l'objet... Pour toutes ces raisons, non seulement je pense que le livre a encore de beaux jours devant lui, mais au fond, je le souhaite de tout coeur!"

Naomi Lipson, écrivain multimédia, traductrice et peintre: "Mes yeux réclament le papier! Je suis une maniaque du mèl, que je lis sur écran, pour tout le reste, je garde un grand plaisir à lire sur papier. Un de mes éditeurs préférés, José Corti, publie des livres dont il faut encore ouvrir les pages au coupe-papier. Le plaisir qui en découle est pour moi immense, mais une page web bien mise en page, une graphie claire m'en procurent aussi. Je ne distingue pas les anciens et les nouveaux médias, pour moi, la beauté prime."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Mes yeux fragiles espèrent que le papier survivra, même si j'ai des doutes là-dessus... Il paraît que les nouveaux médias ne vont pas éradiquer les anciens, mais se superposer à eux. Ce sera une possibilité de plus, un choix. Dans ce cas-là, tant mieux."

Tim McKenna, écrivain et philosophe: "Le papier joue encore un rôle vital dans ma vie. Pour moi, la lecture est une question de fierté culturelle. J'ai des origines irlandaises. Pour paraphraser Thomas Cahil, en Irlande la spiritualité a toujours été étroitement liée à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Ne pas pouvoir lire sur le papier me manquerait, et la lecture à l'écran est trop fatigante pour les yeux."

Xavier Malbreil, auteur multimédia: "Dans mon travail d'écriture traditionnelle, je me sers du papier comme d'une étape intermédiaire. En imprimant ce que j'ai tapé sur l'ordinateur, je visualise mieux (mets à distance) le premier jet, afin de mieux le retravailler. Puis retour sur écran, et re-impression sur papier, autant de fois qu'il le faut."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Il y a beaucoup de choses qui pourront se passer du papier, comme les annuaires, les guides, etc... Le livre-papier reste encore un objet désirable (oui, il faut mettre en avant ce concept d'avoir du désir pour un livre et toujours se poser la question 'depuis combien de temps n'ai-je pas eu du désir pour un livre?'). Par contre, ce qui a été créé pour et par ordinateur ne gagnera rien à être transféré sur papier. Il ne sert à rien d'opposer les deux médias. On élève toujours des chevaux, même si la voiture rend des services plus performants. Feuilleter un livre, c'est une impression physique, dans laquelle la performance n'a rien à voir. Explorer ludiquement un écran, c'est une joie également."

Blaise Rosnay, poète et webmestre du site du Club des poètes, utilise "le moins possible des documents papiers. En fait nous apprenons les poèmes par coeur et ce que nous aimons le mieux, c'est de transmettre la poésie dans sa tradition orale. Mais en vérité l'internet aussi nous paraît un peu vieillot. C'est d'un coeur à l'autre, en passant par les lèvres et l'oreille, que la poésie se propage à la vitesse de la pensée."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Cela n'a qu'une importance relative. On imprime beaucoup de bêtises sur du papier et le paysage de l'internet commence aussi à se dégrader sérieusement. Les marchands de papier (lisez 'éditeurs') laisseront-ils place au marchands d'électrons par internet interposé (lisez 'producteurs de contenus sur internet' (sic))? Peu nous importe. La poésie poursuit son voyage pour l'éternité."

Murray Suid, écrivain travaillant pour une société internet de logiciels éducatifs: "Nous utilisons très peu de papier. Nous faisons cependant quelques impressions, surtout pour les réunions au cours desquelles nous discutons des manuscrits. (...) Les livres sur support papier seront encore disponibles pendant quelque temps, parce que nous avons l'habitude de ce support. De nombreux lecteurs aiment le toucher du papier, et le poids du livre dans les mains ou dans un sac."


13.2. L'imprimé vu par les bibliothécaires-documentalistes

Emmanuel Barthe, documentaliste juridique: "Professionnellement, j'utilise encore beaucoup le papier, mais nettement moins les ouvrages que la presse et les sorties papier de documents, de textes officiels et de jurisprudence. Chez moi, j'ai un faible pour les beaux livres: livres d'art et éditions originales de recueils de poésie."

Le papier a-t-il encore de beaux jours devant lui? "Ce support a mieux que de beaux jours devant lui: il a un avenir. En effet, les avantages du papier sont insurpassables: la facilité et le confort de lecture, bien supérieurs aux possibilités des meilleurs écrans informatiques (21 pouces y compris); une visualisation tridimensionnelle des informations, qui entraîne une meilleure représentation mentale des informations. Celles-ci sont alors plus faciles à comprendre et à manipuler. Pour bien me faire comprendre, je vais prendre l'exemple suivant que je connais par coeur: un juriste travaille couramment avec quatre ouvrages ouverts sur sa table et consultés en même temps ou immédiatement l'un après l'autre: un code (recueil de textes officiels annotés), une revue juridique, un recueil de jurisprudence et une encyclopédie juridique. Imaginons qu'il possède la version électronique de chacune de ces publications ou leur réunion (ça existe). Afin de ne pas compliquer la démonstration, je laisse de côté le fait que notre professionnel du droit doit aussi avoir sous les yeux le dossier de son client et la consultation ou la plaidoirie qu'il doit rédiger pour lui. Sur écran, passer d'un ouvrage ou d'un document à l'autre impose à notre juriste pressé de perdre de vue l'ouvrage ou le document précédent, sauf écran 21 pouces (prix de départ: 5.500 FF HT, le prix d'un PC de base). L'écran d'ordinateur, aussi grand soit-il, ne peut afficher, dans le meilleur des cas, que deux pages A4 et ne permet pas de feuilleter le ou les ouvrages électroniques. Autant dire que le juriste, même partisan de l'informatisation, a bien du mal à se repérer dans un monde d'une surface de 21 pouces et sans profondeur. Alors qu'avec le papier: il a à sa disposition la possibilité de feuilleter rapidement le contenu des ouvrages quand (ce qui est fréquent) il ne sait pas encore exactement ce qu'il cherche; il visualise les informations en trois dimensions partout dans son bureau, donc dans un espace d'environ 10 m2 de surface et 2 m de haut, ce qui est infiniment plus vaste que les 21 pouces maximum sans épaisseur de son écran ; ça ne tombe jamais en panne!"

Bakayoko Bourahima, documentaliste à l'ENSEA (Ecole nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée) d'Abidjan: "Nous utilisons encore beaucoup de papier dans l'administration et notre fonds documentaire est exclusivement 'papier'. Nous comptons bien y intégrer des supports multimédias, dès que les moyens nous le permettront. Le service informatique pense déjà à une numérisation partielle du fonds documentaire, mais bon, le problème ici c'est que les idées vont nettement plus vite que les moyens."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Pour ce qui est de l'Afrique en général, je pense que le papier a encore de beaux jours devant lui. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à voir le développement très marginal du multimédia surtout dans les institutions productrices de papier (les administrations) et dans les institutions où, comme on dit ici, on 'fait papier' (les écoles). Par ailleurs, il faut compter aussi avec la lente évolution des usages. Je me rappelle que, pour les travaux de rédaction de ma thèse, après avoir stocké un certain nombre d'articles en ligne sur mon ordinateur, j'ai jugé plus pratique pour moi de les imprimer intégralement pour pouvoir les exploiter. J'ai donc eu l'impression de mieux bosser en grattant du papier, habitude oblige."

Olivier Bogros, créateur de la Bibliothèque électronique de Lisieux: "Je ne crois pas à la mort annoncée du papier. Je l'utilise encore beaucoup sous toutes ses formes. Mais, au contraire de beaucoup, mon rapport à l'informatique n'a pas entraîné une augmentation de ma consommation de papier, bien au contraire. Je suis dans ce domaine plutôt adepte du zéro papier."

Pierre Le Loarer, directeur du centre de documentation de l'Institut d'études politiques de Grenoble, utilise beaucoup l'imprimé, "et également beaucoup l'écran". Il pense que le papier "a encore de beaux jours devant lui, même si le support électronique va continuer à beaucoup se développer et se diversifier."

Anissa Rachef, bibliothécaire à l'Institut français de Londres: "Le papier est encore présent dans la médiathèque. Cependant l'introduction de documents électroniques, tels que le CD-Rom du Monde par exemple, a permis une épuration de la collection papier."

Peter Raggett, directeur du centre de documentation de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques): "Nous fournissons toujours des photocopies d'articles de périodiques, un peu moins cependant que par le passé parce que le texte intégral de nombreux articles est maintenant disponible sur l'internet en format PDF. En revanche le prêt des monographies en version imprimée n'a pas diminué depuis que l'OCDE utilise l'internet."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Je pense que le papier aura toujours sa place, et ce malgré l'arrivée du livre numérique. Mais, quand les gens s'y seront accoutumés, l'utilisation du papier décroîtra."


13.3. L'imprimé vu par les éditeurs

Nicolas Ancion, écrivain et responsable éditorial de Luc Pire électronique: "Je suis un télétravailleur. J'habite Madrid et les éditions Luc Pire sont à Bruxelles et Liège, en Belgique. En huit mois, j'ai reçu deux plis postaux relatifs à mon travail et je suis resté plus de six mois sans imprimante. En dehors des contrats, tout se passe sur l'écran. Pour mon travail, c'est donc très clair, 99% de l'information passe par des fichiers informatiques sans gaspiller de papier. En tant qu'auteur, je continue à rédiger majoritairement à la main, au stylo sur papier. Je ne tape le texte que dans une seconde étape sur mon ordinateur. En réalité, même si je publie sur le web depuis 1998, je continue à travailler comme au 19e siècle pour mon écriture. Tout à la main dans des petits cahiers d'écolier. Sauf pour mes deux romans-feuilletons, précisément. J'ai décidé de changer mon mode d'écriture pour ces deux textes et je les écris directement à l'écran, comme ils seront lus, semaine après semaine. C'est un défi, une contrainte que je me suis posée volontairement. Pour voir si ça change quelque chose et pour répondre en détail à cette question souvent posée aux auteurs: est-ce que vous écrivez à la main ou à la machine? En tant que lecteur, bien que je lise presque exclusivement les journaux en ligne, de même que les critiques littéraires et cinématographiques, je ne peux pour autant me passer de la littérature imprimée. J'ai toujours de bon vieux romans jaunis sur ma table de nuit et dans mon sac, où que j'aille. Dans le train, le métro, je lis. De laids bouquins de poche, dont le papier ne sent pas bon et dont les couvertures sont écornées, mais qui sont légers, résistants et fourrables dans n'importe quel bagage."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Je crois qu'il est fort imbécile de penser que l'arrivée du numérique va tuer le papier. Comme si l'arrivée de la radio avait tué la presse écrite, ou la télévision le cinéma. C'est une opinion tellement stupide que beaucoup de gens la partagent. Pour ma part, je crois que l'arrivée du numérique grand public offre une panoplie de nouveaux supports pour les contenus. Qu'elle ouvre de nombreuses possibilités pour imaginer de nouveaux types de créations et de produits culturels. J'aime beaucoup le papier, j'adore les livres: ils m'accompagnent depuis toujours, que ce soient des bandes dessinées, des romans, des dictionnaires. Je pense qu'ils continueront à être présents pendant très longtemps. Mais qu'à leurs côtés apparaîtront de nouveaux formats. Le roman, tel que nous le connaissons, correspond très précisément à des contraintes techniques d'impression et de reliure; si l'on change les supports, on provoque l'apparition de nouvelles formes. La plupart des musiciens ont dû réinventer la composition de leurs albums suite à l'arrivée du CD qui ajoute vingt minutes au format 33 tours. Je me réjouis de lire ce qu'il y aura à lire dans dix ans. Mais j'aurai toujours un Dumas ou un Michaux sur ma table de nuit."

Pierre-Noël Favennec, directeur de collection et expert à la direction scientifique de France Télécom R&D: "Le papier est de plus en plus utilisé. Personnellement je suis de plus en plus inondé de paperasses. Avec l'e-mail, les collègues n'hésitent plus à envoyer de gros fichiers qu'il faut ensuite imprimer pour lecture. La lecture est plus agréable sur papier. Les fichiers reçus peuvent n'être que des projets et on peut recevoir 'n' épreuves successives que l'on imprime nécessairement. On imprime les mèls pour les lire tranquillement plus tard ou parce que c'est plus agréable de les lire sur papier. Etc. Il y a beaucoup de raisons pour utiliser toujours plus de papier."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Les livres 'd'études', comme ceux de notre collection, ont une durée de vie longue et ne seront pas remplacés par un e-book, sauf si ce livre n'est utilisé que pour une étude particulière et pour un temps court (quelques semaines). Les livres à durée de vie courte tels que les romans, journaux, magazines peuvent effectivement être un jour remplacés par des e-books. Les livres scolaires pourront être (seront) sur e-book. Les encyclopédies volumineuses dont la consultation n'est qu'épisodique seront sur le web."

Olivier Gainon, fondateur de CyLibris, maison d'édition littéraire en ligne, utilise encore beaucoup l'imprimé, "pour lire des documents, des textes, etc. Cela dit, je lis de plus en plus sur écran, mais dans un cadre professionnel (par exemple les lettres d'information auxquelles je suis abonné, etc.), dès que l'on parle de lecture-plaisir (roman, détente, etc.), je ne lis pas sur écran, j'imprime (si ce n'est pas déjà le cas), et je lis sur papier. Je me rends également compte que j'ai du mal à lire sur écran un document long et complexe. Bref, je lis des informations brèves et ponctuelles, mais pas véritablement des dossiers complexes."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Tout dépend de quoi l'on parle. Le papier comme support simple de document écrit est un peu limité: texte et image simplement / pas d'évolution en temps réel / reproduction complexe / etc. L'électronique offre beaucoup plus d'avantages. En revanche, sur les aspects plus 'pratiques' ('la valeur d'usage'), le papier reste aujourd'hui imbattable: peu cher, léger, on peut le plier, le déchirer, le tordre, le laisser tomber, il peut en plus être physiquement agréable, esthétiquement beau, etc. Sans même parler du confort de lecture qui, pour moi aujourd'hui, donne un grand avantage au papier... Bref, tout cela pour dire que je pense que le papier va décroître dans son utilisation à terme - mais que ce sera un processus long, et plutôt une question de génération, quand nos enfants n'auront plus la même relation que nous pouvons avoir avec le papier..."

Jacky Minier, créateur de Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires lit toujours beaucoup de documents imprimés. "La lecture directe à l'écran est encore assez vite fatigante pour de nombreuses paires d'yeux, même avec l'amélioration des capacités d'affichage des moniteurs et les lissages de polices d'écran. Et puis, pour un roman par exemple, rien n'en vaut la lecture dans un bon fauteuil au coin de sa cheminée..."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Le livre papier a encore de beaux jours devant lui. Mais l'accès par le net à toutes ces offres inédites est une nouvelle richesse, inimaginable il y a quelques années, tant pour les lecteurs que pour les auteurs. Ça permet de sélectionner beaucoup plus tranquillement que dans une librairie (à condition que l'oeuvre y soit éditée) et surtout d'accéder à des ouvrages qui n'auraient jamais été publiés autrement. Selon moi, le papier n'est pas l'ennemi du net en matière de littérature. Il en est le prolongement et l'aboutissement. En fait, le net peut être considéré comme un formidable moyen de promotion et de relance de la lecture, par les découvertes qu'il permet de faire. Mais c'est maintenant l'internaute lui-même qui décide de ce qu'il veut lire. Il choisit, il imprime, et il lit tranquillement dans son fauteuil au coin de sa cheminée..."

Nicolas Pewny, créateur des éditions du Choucas: "Nous utilisons le papier bien sûr. Le livre papier, lorsque l'impression avec les techniques modernes sera meilleur marché, devrait devenir l'allié du livre électronique."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Cela dépend de quel domaine il s'agit. Je pense que le temps des dictionnaires et encyclopédies et autres ouvages de références techniques et scientifiques 'papier' est compté. Pour les romans ou les beaux livres, cela dépend de l'évolution des deux supports."

François Vadrot, PDG de FTPress, société de cyberpresse, utilise toujours autant l'imprimé. "Ça n'a pas changé: j'imprime souvent nos propres publications pour les lire dans les transports en commun. Je n'ai pas beaucoup le temps de lire, hormis des romans. Le papier a encore de l'avenir, il y aura toujours du papier, ou si ce n'est pas le papier (matériau) que l'on connaît, ce sera un support souple, léger et fin comme lui (pour dans dix ans en principe)."


13.4. L'imprimé vu par les gestionnaires

Patrice Cailleaud, directeur de communication de HandiCaPZéro, précise: "L'essentiel de l'activité de HandiCaPZéro aujourd'hui reste l'impression de documents papier braille et caractères agrandis. La majorité du public auquel s'adresse l'association n'est pas encore internaute."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Non, au contraire. L'internet dope les ventes de livres, comme celles des disques, quoiqu'en disent les éditeurs regroupés en association de défense de leurs intérêts. Par ailleurs, les imprimantes des micro-ordinateurs, classiques ou braille, n'ont jamais été autant sollicitées depuis l'accès au web."

Gérard Jean-François, directeur du centre de ressources informatiques de l'Université de Caen: "Pour mon activité professionnelle, j'utilise encore le papier pour travailler hors de mon bureau, de même que pour des livres autres que techniques. En effet, si des documents techniques (qui sont des bases de données) sont facilement consultables sous forme électronique, il n'en est pas de même pour des ouvrages de fond. Au sujet de la presse, il est hors de question de la supprimer pour la lecture, mais pour l'archivage oui." Le papier a-t-il encore de beaux jours devant lui? "La réponse est oui mais les usages changeront."

Pierre Magnenat, responsable de la cellule "gestion et prospective" du centre informatique de l'Université de Lausanne, utilise-t-il encore beaucoup l'imprimé? "Oui, hélas. Nous continuons à devoir imprimer beaucoup de choses, ne serait-ce que pour des raisons administratives. Par contre, pour tout ce qui est information, je ne la prends plus que sur internet."

Jacques Pataillot, conseiller en management chez Cap Gemini Erst & Young, n'utilise pratiquement plus de de documents imprimés. "Pratiquement rien en interne pour la gestion, tout est fait à travers l'internet et/ou Lotus notes. Liaison internet également avec les clients pour les offres commerciales, les documents de projets, les mémos... Seuls les contrats restent sur papier. Je reçois peu de courrier extérieur sur papier (qui est d'ailleurs le signe d'un contenu probablement peu intéressant!). Je lis la presse à travers les bases de données. Bien sûr, les journaux au petit déjeuner restent nécessaires! Quant aux livres, c'est vrai, je les utilise toujours."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Dans ce contexte, dans mon métier de consulting, les jours du papier sont comptés. Par contre, dans ma vie personnelle, si j'utilise le courrier électronique pour la correspondance, les livres ne sont pas détrônés, ou en tout cas ils sont moins affectés."


13.5. L'imprimé vu par les linguistes

Guy Antoine, créateur du site Windows on Haiti, site de référence sur la culture haïtienne, utilise les documents papier "aussi peu que possible, mais cela représente encore beaucoup de papier. Si je vois un document que je souhaite conserver en tant que document de référence, je l'imprime systématiquement et je le catalogue. Il peut ne pas être disponible quand je suis en déplacement. Mais quand je suis dans mon bureau à la maison, j'aime savoir que je peux y avoir accès d'une manière physique, sans devoir me fier seulement à une sauvegarde électronique, au bon fonctionnement du système d'exploitation, et à mon fournisseur d'accès internet. De ce fait, pour ce que je considère utile de conserver, les documents sont souvent en double exemplaire, imprimé et numérique. Le papier joue donc encore un rôle important dans ma vie."

Alain Clavet, analyste de politiques au Commissariat aux langues officielles du Canada, utilise l'imprimé "un peu moins qu'avant d'être connecté à internet". Il pense que "le papier continuera d'avoir un rôle complémentaire".

Philippe Loubière, traducteur littéraire et dramatique: "J'utilise beaucoup le support papier car, quoique j'écrive la plupart du temps sur ordinateur, j'ai besoin d'imprimer pour me relire. Je lis les journaux. Je suis très attaché au livre comme objet et comme support de connaissance. Et en tout cas je fais partie de la chaîne qui les édite."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Je pense que le papier a encore de très beaux jours devant soi. Mais il va resserrer une partie de sa gamme, naturellement, c'est-à-dire la recentrer. Je suis ravi que l'on économise ainsi la vie de milliers d'arbres, pour que certaines données d'intérêt variable ou à rotation rapide soient déviées sur les divers supports numériques. Par ailleurs, les journaux (non nécessairement les quotidiens) restent un moyen dit d''information' plus digne de foi que la presse audio-visuelle: leur lecture est le moyen d'essayer de s'informer le moins passif, celui qui permet la meilleure distanciation par rapport à l'information (on se fait moins piéger par le matraquage télé). Il y a ensuite plus de diversité dans les titres, dans les opinions, et surtout il y a des journaux spécialisés (c'est même le seul moyen d'information susceptible d'être spécialisé). Le livre, enfin, me paraît aujourd'hui le lieu idéal de refuge des valeurs de l'esprit, celles qui ne sont pas frappées d'obsolescence par le progrès technique ou par les modes. Bref, le papier, c'est la lecture, et c'est la lecture libre."

Zina Tucsnak, ingénieur d'études en informatique à l'ATILF (Analyse et traitements informatiques du lexique français), n'utilise plus de documents papier. "Les dictionnaires électroniques et autres e-books révolutionnent l'accès à la culture. En quelques clics, l'utilisateur peut trouver l'information recherchée."

Steven Krauwer, coordinateur d'ELSNET (European Network of Excellence in Human Language Technologies): "J'utilise le papier en grande quantité. J'imprime tous les documents importants, parce qu'ils sont beaucoup plus faciles à consulter de cette façon (plus faciles à parcourir, et jamais de batterie en panne). Je ne pense pas que ceci change avant longtemps."


13.6. L'imprimé vu par les professeurs

Jean-Pierre Balpe, directeur du département hypermédias de l'Université Paris 8, utilise-t-il encore l'imprimé? "Comme je voyage beaucoup, il m'arrive aussi de lire un peu de tout mais personnellement, je ne l'utilise guère dans mon travail personnel, j'ai vraiment l'habitude de tout faire sur écran..."

Richard Chotin, professeur à l'ESA (Ecole supérieure des affaires) de Lille, lit encore beaucoup de documents imprimés. "Je lis environ cinq à six journaux (quotidiens et hebdomadaires), deux à trois livres papier par mois, et environ 3 à 4.000 photocopies par an."

Emilie Devriendt, élève professeur à l'Ecole normale supérieure de Paris, utilise encore beaucoup l'imprimé. "Je suis loin de penser que le numérique doive ou puisse remplacer le papier, tout au moins dans l'état actuel des technologies liées à internet, écrit-elle. On a beau parler d'une 'ère de l'immatériel', d'une 'virtualisation' du réel etc., je reste persuadée que la trace écrite telle que le papier nous en permet la perception et la conservation (relative si l'on veut, mais fortement historicisée), n'a pas diminué, et n'est pas en passe de se voir remplacée par des séquences invisibles de 0 et de 1. La pérennité du support numérique me semble bien plus problématique que celle du papier: en termes techniques (et économiques) d'une part, en termes de politiques de conservation d'autre part. Par exemple, l'institution d'un dépôt légal sur le web pose d'immenses problèmes (concernant la quantité comme la nature des publications)."

Patrick Rebollar, professeur de littérature française dans des universités japonaises, à Tokyo et Nagoya, utilise l'imprimé autant qu'avant. "Mais je n'imprime pas beaucoup à partir de mon ordinateur, sauf pour des préparations de cours à distribuer aux étudiants."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Je ne vois pas de problème pour les 'jours du papier' dans l'avenir, alors que justement, il faudrait en diminuer la consommation. Je crains d'ailleurs que bien des gens n'impriment tout et n'importe quoi avec leur ordinateur, consommant ainsi bien plus de papier qu'ils ne le faisaient avant."

Christian Vandendorpe est professeur à l'Université d'Ottawa et spécialiste des théories de la lecture. Comment voit-il l'avenir de l'imprimé? "Le papier est un support remarquable: léger, économique, polyvalent, et dont les diverses textures en appellent non seulement au sens de la vue, mais aussi au toucher et à l'odorat. Il a encore de beaux jours devant lui, surtout pour les ouvrages de luxe ou de prestige et que l'on voudra pouvoir manipuler et conserver pour leur valeur en tant qu'objets. Le papier va aussi rester comme support pour des textes d'une certaine ampleur que l'on voudra pouvoir lire à loisir. L'impression sur demande va répondre à cette demande. En même temps, les textes destinés à la lecture courante vont de plus en plus être appréhendés sur des supports numériques. C'est déjà le cas pour le courrier électronique et les activités de lecture sur le web. Mais l'ordinateur n'est pas un support idéal pour la lecture, en raison de la position qu'il impose au lecteur. En outre, la technologie de l'hypertexte encourage une lecture ergative, tournée vers l'action et la recherche de réponses brèves et rapides plutôt que vers la lecture de fiction ou d'essais."

Russon Wooldridge, professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto: "J'imprime de moins en moins. Alors qu'il y a trois ans je distribuais encore beaucoup de papier à mes étudiants, depuis quelque temps je mets tout sur le web et c'est à eux d'imprimer, s'ils le souhaitent! Je n'envoie plus de papier à mes correspondants; je leur écris par courriel et, si j'ai un document à leur transmettre, je l'envoie en fichier attaché en format HTML. Je n'écris plus pour le papier mais uniquement pour le web. Je prends toujours plaisir, quand même, à lire un roman relié ou un journal sur papier, bien que je consulte régulièrement la presse en ligne."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Dangereux de jouer aux prophètes! Le sort de l'imprimé dépendra peut-être plus de facteurs écolo-économiques que de facteurs humains ou sociaux. Que peut faire en général le goût ou l'habitude face aux forces économiques? On peut constater que le coût du papier va en augmentant, que le nombre d'arbres va en diminuant, que la pollution croît tous les jours, qu'un ordinateur utilise de moins en moins d'électricité avec chaque nouveau modèle. La fabrication du papier est-elle, sera-t-elle, plus ou moins polluante et consommatrice de sources naturelles que la fabrication de l'électricité?"


13.7. L'imprimé vu par les spécialistes du numérique

Denis Zwirn, PDG de Numilog, librairie en ligne de livres numériques: "Numilog en tant qu'entreprise utilise encore beaucoup le papier dans la mesure où nous scannons de nombreux livres pour les numériser, mais il s'agit là d'une activité ayant pour but de faire disparaître la nécessité du papier! A titre personnel, j'utilise encore beaucoup le papier dans la mesure où de nombreux documents ne sont pas encore disponibles sous forme numérique, la presse hebdomadaire notamment... et les livres, puisque le volume de titres disponibles à ce jour en format de lecture à l'écran est ridicule par rapport aux quelques 600.000 titres existant en français. Pour écrire et envoyer du courrier ou des documents, par contre, j'utilise très peu le papier: le couple traitement de texte / courrier électronique en a fait disparaître quasiment totalement l'utilité."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Je pense sincèrement que l'usage du papier devrait fortement régresser dans les dix à quinze ans qui viennent, grâce à toutes les techniques de rédaction, de lecture, et de communication numérique. Et cela aura un impact positif sur les forêts! Cela ne signifie pas qu'il disparaîtra, notamment si on parvient à réaliser des hybrides papier / numérique, grâce à des techniques telles que l'encre électronique. Mais il se peut dans ce cas qu'il soit concurrencé par d'autres types de matières souples présentant des qualités de robustesse et d'agrément tactile équivalente ou supérieure."

Olivier Pujol, PDG de la société Cytale et promoteur du Cybook, livre électronique: "Les jours du papier ne sont pas comptés. Le support papier est parfaitement adapté à certains usages: la lecture numérique sur ordinateur n'est pas pratique, et ce pour de nombreuses raisons. Elle ne s'est d'ailleurs pas développée du tout depuis dix ans. Par ailleurs, le papier n'est pas seulement un support 'obligé'. C'est également un matériau noble, agréable, avec des qualités propres (toucher, odeur, flexibilité) qui font que son usage n'est en rien menacé (il s'impose même parfois dans des secteurs inattendus comme la confection!). Le livre électronique, permettant la lecture numérique, ne concurrence pas le papier. C'est un complément de lecture, qui ouvre de nouvelles perspectives pour la diffusion de l'écrit et des oeuvres mêlant le mot et d'autres médias (image, son, image animée...). Les projections montrent une stabilité de l'usage du papier pour la lecture, mais une croissance de l'industrie de l'édition, tirée par la lecture numérique, et le livre électronique (de la même façon que la musique numérique a permis aux mélomanes d'accéder plus facilement à la musique, la lecture numérique supprime, pour les jeunes générations commme pour les autres, beaucoup de freins à l'accès à l'écrit)."

Pierre Schweitzer, concepteur d'@folio, support numérique de lecture nomade, utilise-t-il encore beaucoup de documents imprimés? "Oui, encore trop. J'ai renoncé au papier de mon agenda depuis le début de l'année (2001). Ça ne se passe pas trop mal. L'organiseur de poche est un substitut du papier pour ce qu'il y a de plus primitif dans l'écriture: tenir des listes. Efficace. Jack Goody m'a fait voir ça cet été dans La raison graphique (éditions de Minuit, 1978, ndlr), un bouquin écrit à la fin des années 70! Et puis j'aime bien emprunter mes livres en bibliothèque. Ça consomme aussi moins de papier! J'y lis volontiers mes livres: les salles de lecture, leur silence, leur lumière sont des havres de sérénité dans la fureur des villes. Avec le web et internet, le pronostic sur la consommation de papier est incertain. D'un côté, la logique du réseau et la dématérialisation des supports, e-mail, documents à jour exclusivement en ligne, leur accessibilité à distance, le déclin de la paperasse, etc. Mais d'un autre côté, il y a le besoin trivial d'imprimer pour lire. Parce que la lecture s'accomode assez mal du nez collé sur un tube cathodique. Avec ou sans papier, l'évolution de la lecture est une chose remarquable avec internet. Même les radios et les télés qui s'installent sur le web donnent des contenus à lire et des espaces pour écrire. L'air de rien, c'est une sacrée innovation."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Fabriquer une encyclopédie nécessitait, il y a peu, des dizaines de kilos de papier, des kilos d'encre. Aujourd'hui, ça tient sur une galette optique de 15 grammes et coûte environ 10 fois moins cher que l''ancien modèle' en papier. Un stick de mémoire flash (pour la photo numérique, du MP3 ou @folio) pèse 2 grammes et contient aujourd'hui jusqu'à 120 millions de caractères, l'équivalent de 5 volumes Petit Robert, soit 10 kilos de papier environ... et contrairement au papier, le stick est réinscriptible à l'infini, c'est mieux qu'un palimpseste ;-) Mais il y a plus de papier dans le secteur de l'emballage que dans celui de l'édition (journaux, livres) et le développement du e-commerce ne réduira pas les besoins d'emballage. L'atelier Design de l'Ecole d'architecture de Strasbourg a produit l'an dernier un superbe projet de mobilier urbain, un totem à l'échelle du quartier, hors gel, qui fonctionne comme une poste automatique, ouverte 7 jours/7 et 24 heures/24, où l'on vient retirer ses paquets, muni d'un code d'accès envoyé par e-mail."


Chapitre 14: Langues
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© 2001 Marie Lebert