NEF - Entretiens de Marie Lebert et Livre 010101 - Bilan

Bilan (1998-2002), ou "le pourquoi du comment"

par Marie Lebert, 14 septembre 2002

Profession: traductrice-éditrice pour gagner ma vie, chercheuse, écrivain et journaliste le reste du temps. Comme tant d’autres, je suis une adepte de l’internet. Je m’intéresse aux bouleversements apportés dans le monde du livre par le réseau et les technologies numériques. Entre 1998 et 2001, je conduis des entretiens par courriel avec une centaine de professionnels du livre et de la presse, et apparentés, souvent à plusieurs reprises (une fois par an environ) avec les mêmes correspondants. En 2001, je rassemble le tout dans un livre d’enquête. En 2002, j’en fais une synthèse. Récit.

Genèse
Les débuts
Pourquoi par courriel?
Pourquoi ces questions?
Pourquoi les mêmes questions aux uns et aux autres?
Pourquoi sur plusieurs années?
Pourquoi en plusieurs langues?
Tentatives auprès des "canaux dirigistes"
Publication sur le Net des études françaises
Bilan sur les questions posées, et leurs réponses
Quelques chiffres
Le Livre 010101
Les Entretiens sont eux-mêmes un réseau
La suite des Entretiens
Publications issues des Entretiens


Genèse

Mon premier contact avec le web date d’avril 1996. Je commence à m’y intéresser de près en décembre 1997. A l’époque le réseau est en pleine expansion. On assiste aux prémices de ce qu’il va rapidement devenir, soit, entre autres, une formidable encyclopédie, une gigantesque bibliothèque, une immense librairie, un organe de presse des plus complets, et plus important encore, un nouveau moyen de faire circuler l’information et le savoir. De plus, au cours de l’année 1998, d’embryonnaire avec quelques dizaines de sites québécois, le web francophone devient progressivement l’oeuvre de toute la communauté francophone. On devine aussi les débuts de fortes secousses numériques dans l’industrie du livre imprimé. Le tout forme un sujet passionnant, insaisissable, avec de mois en mois des éléments nouveaux dans un domaine jusque-là relativement statique. Ce sujet m’intéresse. Je décide de lui consacrer du temps.

Les débuts

Entre décembre 1997 et juin 1998, je me promène sur la toile à la recherche de sites et de ceux qui les font. Recherche de lien en lien, école buissonnière, utilisation des moteurs de recherche existants, surtout AltaVista pour le web international et Yahoo! pour le web francophone. A l'époque il est encore possible - mais plus pour longtemps - de faire le tour de la toile sur un sujet donné sans trop se perdre dans ses multiples méandres. Sous-entendu: la quantité de pages web est encore lisible par un seul individu. En bref, je me fais ma propre culture du réseau (une expression un peu pompeuse peut-être...) avant de contacter les gens.

En juin 1998, en utilisant les adresses électroniques trouvées sur les pages d’accueil, je contacte par courriel une cinquantaine de professionnels du livre et de la presse particulièrement actifs sur le réseau, l’expression "professionnels du livre et de la presse" étant à prendre au sens large puisqu’elle englobe écrivains, journalistes, éditeurs, libraires, bibliothécaires, documentalistes, professeurs, traducteurs, linguistes, spécialistes du numérique, etc. Presque tout le monde répond à la parfaite inconnue que je suis, alors que je n'enquête ni pour Le Monde ni pour Libé. Le web des débuts, coopératif, participatif et solidaire, me diront les nostalgiques, et ils ont raison. C’est comme cela que les Entretiens ont débuté.

Pourquoi par courriel?

Tout d’abord parce que le courriel abolit le temps, les distances et les frontières. Reste le problème de la langue, on y reviendra plus loin. Ensuite parce que répondre par écrit est censé être relativement facile pour les professionnels du livre et de la presse, dont le métier est justement l’écrit. Et enfin parce que cela permet au correspondant d’avoir tout à la fois le temps de réfléchir, de répondre quand il veut, de se relire, de reprendre ses réponses dans les jours qui suivent, et d’en garder une trace.

D’emblée, la "règle du jeu" est que les participants répondent à leur guise à tout ou partie des questions, dans leur délai qui leur convient, qui va du jour suivant à plusieurs mois après. Je suis souvent séduite par leur disponibilité malgré une activité professionnelle prenante. Je suis souvent séduite aussi par la qualité de leurs réponses. Réponses courtes ou longues, envoyées toutes ensemble ou en plusieurs fois, sans discussion ou avec. Pour certains, il s’agit d’une simple réponse à un questionnaire, pour d’autres il s’agit d’un échange sur plusieurs courriels, d’où le terme "entretiens". Beaucoup me disent que ces questions leur donnent l’occasion de réfléchir sur des thèmes essentiels, par exemple la place que conserve l’imprimé dans leur vie, les avantages qu'ils voient au numérique, ou encore ce qu’ils entendent par société de l’information.

Point important, les professionnels sollicités ont des profils variés. Il se trouve que, sur les 97 participants, les différents corps de métiers sont à peu près correctement représentés: 14 écrivains, 7 journalistes, 10 éditeurs, 12 bibliothécaires-documentalistes, 12 professeurs, etc. Point tout aussi important, les participants ne sont en aucune façon choisis en fonction de leur notoriété. Ils sont choisis en fonction de leur expérience du numérique et de l’intérêt de celle-ci. Si certains ont de gros moyens financiers et bénéficient de l’appui des médias, d’autres se débrouillent avec conviction et sans moyens dans un anonymat relatif ou total, et il est grand temps de leur donner aussi la parole.

Entre 1998 et 2002, au fil de mes voyages, ou dans le but précis de faire leur connaissance, je rencontre plusieurs correspondants, à Paris, en Normandie, à Genève, à Montréal, à San Francisco ou ailleurs. A la date d'aujourd'hui, j’ai rencontré 32 correspondants sur les 97 interviewés, et j'ai l'intention d'en rencontrer encore quelques autres. Mais, même dans les rares cas où il m'est arrivé de rencontrer un correspondant en personne avant de lui proposer un entretien, l’entretien véritablement dit a toujours eu lieu par courriel. J'ai refusé les propositions d’entretiens verbaux, non pas pour m'éviter la fatigue de les retranscrire, mais pour les raisons évoquées plus haut.

Pourquoi ces questions?

Je voulais absolument éviter tout ce dont j’ai moi-même en horreur, c’est-à-dire les questionnaires à trous, les réponses par oui ou par non, les réponses dans les huit jours, les réponses où on vous demande d'emblée de faire court même si, pour une fois, vous avez des choses à dire, les réponses à but uniquement statistique où on vous considère non pas comme une personne mais comme un numéro, etc.

Je voulais offrir à chacun une certaine liberté. Liberté de choix: chacun répond uniquement aux questions jugées intéressantes. Liberté de temps: pas de délai. Quand les gens prennent le temps de vous répondre sur des sujets relativement difficiles, la moindre de choses est de ne pas "leur mettre la pression". Liberté de parole: les réponses sont toutes publiées dans leur intégralité, et les correspondants qui le souhaitent peuvent les modifier dans les jours suivant publication. Liberté d’exploitation (quel horrible mot...): chacun garde la propriété de son texte, qu’il peut bien sûr utiliser à sa guise.

En 1998, les questions concernent l’activité de chacun: aussi bien l'activité professionnelle que l'activité liée à l’internet, qui sont parfois différentes. Si possible aussi un descriptif du site web ainsi qu'un historique, tout comme une description rapide de l’organisme émetteur s’il y a lieu. Eventuellement une courte biographie de l’auteur, pour expliquer comment il en est venu à l’internet. Et enfin la vision que chacun a de l’avenir, soit pour son activité, soit pour l'activité de l'organisme dont il relève, soit pour l’internet lié au livre, soit pour l’internet en général.

Un an après, j’envoie de nouvelles questions aux personnes interviewées en 1998. Nous sommes dans un domaine qui évolue très vite, et il se passe tellement de choses d’une année sur l’autre qu’il m’apparaît plus important de contacter les mêmes personnes que de multiplier à l’infini le nombre des participants (je limite ce nombre à cent). Dans les 47 personnes interviewées en 1998, 14 s’en tiennent à un seul entretien et 33 poursuivent les années suivantes, une ou plusieurs fois de suite. Parallèlement, je contacte aussi d’autres personnes, le plus souvent par le même biais, à partir de leur site web. Les nouveaux participants venant s’ajouter aux "anciens" sont au nombre de 9 en 1999, 25 en 2000 et 16 en 2001.

En 1999, les nouvelles questions posées ont trait au multilinguisme, au droit d’auteur, à l’accessibilité du web pour les aveugles et malvoyants, et aux souvenirs personnels (meilleur et pire souvenir) liés au réseau. En 2000, elles concernent l’imprimé, le livre électronique et, pour les auteurs hypermédias, le rôle que joue l’hyperlien dans leur écriture. En 2001, les questions envoyées visent essentiellement à actualiser et compléter les réponses des années précédentes, et poser à nouveau les questions laissées de côté jusque-là.

Certains ne sont pas intéressés par les questions proposées telle ou telle année, et me disent préférer "passer leur tour" jusqu’à l’année suivante. Ou alors ils me disent ne rien avoir à ajouter pour le moment, y compris pour l'actualisation des informations, les choses n’avançant souvent pas aussi vite qu’ils l’auraient souhaité. Sur les 97 personnes ayant participé aux entretiens entre 1998 et 2001, 48 personnes participent une fois, 32 personnes participent à deux reprises (et pas toujours d’une année sur l’autre, pour les raisons que je viens d'évoquer), 13 personnes participent à trois reprises, et 4 personnes participent à quatre reprises.

Les questions ont un effet de cumul d’une année sur l’autre, si bien que les personnes contactées en 2000 ou 2001 se trouvent avoir des questionnaires nettement plus longs que les personnes contactées en 1998 et 1999.

Pourquoi les mêmes questions aux uns et aux autres?

Si je décide de poser les mêmes questions aux uns et aux autres, ce n’est bien sûr ni par souci de rapidité, ni pour éviter de me fatiguer, ni parce que je manque d’imagination. C’est le meilleur moyen que j'aie trouvé de rassembler de nombreux avis sur le même sujet, pour pouvoir ensuite juxtaposer et éventuellement recouper ces réponses. Ceci m'est notamment très utile pour écrire certains passages du Livre 010101 sans me contenter de généralités un peu faciles, sinon de platitudes. De plus, comme, à partir de 1999, les Entretiens sont disponibles en ligne, plusieurs correspondants me disent avoir plaisir à lire les différentes réponses aux questions sur lesquelles ils ont eux mêmes "planché". Ils me disent aussi être souvent surpris par la diversité de ces réponses, par exemple, en 2000, le sentiment de chacun sur le livre électronique (e-book), qui vient de faire son apparition.

Pourquoi sur plusieurs années?

Comme dit plus haut, je préfère interviewer les mêmes participants sur plusieurs années, à raison d'un entretien par an environ, plutôt que de multiplier le nombre des participants. A la réflexion, je suis heureuse d’avoir adopté cette démarche, qui était au début un peu intuitive.

Chose qui était pressentie par beaucoup dès 1998, les années 1998-2001 s'avèrent bien des années charnières pour le développement de l’internet et des technologies numériques dans le monde du livre et de la presse. Ces années apportent des changements considérables, à savoir en 1998 la création de nombreux sites, en 1999 le développement d’un web à la fois francophone et multilingue, en 2000 le passage du papier au numérique et les perspectives du tout numérique, et en 2001 des pronostics revus à la baisse pour le numérique qui, plutôt que de faire cavalier seul, semble parti pour cohabiter avec l’imprimé pendant pas mal d’années. Les réponses des uns et des autres sur plusieurs années permettent de mesurer cette évolution de l’intérieur.

A titre individuel aussi, l'actualisation des entretiens d'une année sur l'autre a un réel intérêt puisque, pour chaque participant, les choses bougent souvent de manière significative pendant ce laps de temps. Pour plusieurs participants, une actualisation est même nécessaire au bout d'un trimestre ou d'un semestre, ce qui explique que les dates de certains entretiens soient assez rapprochées dans le temps.

Pourquoi en plusieurs langues?

Il est évident que, même si ce travail est d’abord destiné à prendre le pouls de la communauté francophone, ceci ne doit pas être un carcan, d’autant que, pour des raisons à la fois historiques, géographiques et techniques, l’internet est d'abord anglophone avant d’être multilingue. Des pionniers comme Michael Hart, fondateur du Project Gutenberg en 1971, ou encore John Mark Ockerbloom, fondateur de The Online Book Page en 1993, ont tous deux participé à "mes" entretiens. Sur les 97 personnes qui participent, 72 personnes sont francophones ou considérées comme telles puisque totalement bilingues, 23 personnes sont anglophones et 2 personnes sont hispanophones. Je traduis systématiquement en français les entretiens reçus en anglais et en espagnol, et les mets (presque) immédiatement en ligne dans les deux langues, qui sont donc - comme chacun l'a déjà compris - la langue originale et le français.

Je traduis aussi plusieurs entretiens du français vers l’anglais (avec l’aide de Greg Chamberlain qui vérifie et améliore mes traductions) et du français vers l’espagnol (avec l’aide de Maria Victoria Marinetti pour la même raison). Si tous les entretiens reçus en anglais et en espagnol sont traduits en français, je considère que les participants anglophones et hispanophones ne comprenant pas le français ont eux aussi le droit de savoir ce que pensent les francophones, d'où l'intérêt de ces traductions. Les remerciements de correspondants anglophones à ce sujet - à commencer par les participants anglophones aux entretiens - me montrent que je n’ai pas perdu mon temps. Plus généralement, comme le multilinguisme sur le web me paraît essentiel, ainsi que la nécessité de multiplier les traductions, cela m'a permis de mettre ces idées en pratique à mon très modeste échelon.

Point de détail qui a son intérêt, certains participants appartenant aux communautés non francophones et ne maîtrisant pas parfaitement le français font de réels efforts pour répondre en français, ce qui est méritoire, mais qui enlève aux réponses une partie de l’intérêt qu’elles auraient pu avoir si le correspondant s’était exprimé dans sa langue maternelle. J’ai pu en juger en comparant les réponses lorsque le correspondant change de langue d’une année sur l’autre. Ceci montre une fois de plus l’avantage de s’exprimer dans sa propre langue et l’intérêt de traductions professionnelles, on ne le répétera jamais assez. Mais j'ai été touchée par cette attention, et j'ai bien aimé aussi les commentaires du genre : "Surtout n'oubliez pas de corriger mes fautes..."

Quelques chiffres maintenant. L’intégralité des 97 entretiens est proposée en français, avec 72 entretiens originaux et 25 traductions. Sur les 39 entretiens en anglais, 24 sont des textes originaux et 15 des traductions. Sur les 12 entretiens proposés en espagnol, 2 sont des textes originaux et 10 des traductions (j'explique dans le paragraphe suivant la raison des dix traductions). Par ailleurs, sur les 97 entretiens, 57 entretiens sont unilingues (à savoir uniquement en français), 31 entretiens sont bilingues (30 bilingues français-anglais et un bilingue français-espagnol) et 8 entretiens sont trilingues (français, anglais, espagnol). Un entretien est quadrilingue, celui de Bruno Didier, grâce à la traduction en allemand faite par sa collègue Monika Wechsler.

En fait j’aurais souhaité que la série soit intégralement trilingue, et j’y crois encore en 1999-2000. A cette date, j'ai aussi pour projet de contacter plusieurs hispanophones, d'autant que le web hispanophone est en pleine expansion, particulièrement en Amérique latine. Il me faut donc montrer aux hispanophones unilingues en quoi consiste "mon" projet, non pas en théorie, ce qui ne sert pas à grand chose, mais en leur donnant la possibilité de lire une douzaine d’entretiens. Voici la raison pour laquelle je traduis en espagnol dix entretiens francophones et anglophones. Mais, une fois de plus, je place la barre un peu haut. Les traductions du français vers l’anglais et l’espagnol restent malheureusement trop peu nombreuses pour des raisons de temps (les journées n'ont que vingt-quatre heures et je dois gagner ma vie par ailleurs) et pour des raisons financières (je rémunère bien sûr Greg et Maria Victoria pour leur travail). Quant aux quelques contacts pris en vue de trouver un financement pour ces traductions, ils échouent tous lamentablement, aussi bien en Europe qu’en Amérique du Nord.

Tentatives auprès des "canaux dirigistes"

Comme nombre de ceux qui poursuivent contre vents et marées une activité bénévole pendant plusieurs années, je fais également quelques tentatives auprès des "canaux dirigistes" pour les intéresser à mon travail et obtenir un financement tant en gardant le même esprit et toute liberté de manoeuvre. J’y mets vraiment du mien puisque je prends à plusieurs reprises mon bâton de pèlerin pour sillonner la France, le Québec, la Belgique et la Suisse, en suivant les conseils de certains disant que, dans ce domaine, le contact "réel" est préférable au contact "virtuel".

Je contacte des organismes en tous genres, traditionnels et numériques, y compris des éditeurs et sociétés de presse qui, à priori, sont censés s'intéresser au livre, et qui s'y intéressent, mais uniquement pour couvrir le travail d'organismes "reconnus" et donner la parole aux directeurs et responsables de ceci ou de cela. On n'a donc pas vraiment la même optique. On me propose aussi de monter un projet (une expression qui semble vraiment à la mode...) alors que le projet est non seulement monté mais aussi réalisé, et qu'il marche très bien, merci pour lui. On me propose encore de remplir des dizaines sinon des centaines de paperasses pour un résultat tout à fait hypothétique, une chose que j'ai faite par le passé à l'ère du papier mais qui me paraît passablement ringarde à l'heure de l'internet.

Pour résumer, encore du temps perdu pour un résultat nul, mais au moins, comme tant d'autres, j’aurais essayé.

Publication sur le Net des études françaises

Dès 1999, la série des Entretiens est disponible en ligne, afin que les participants potentiels sachent à quoi s’en tenir sur l’esprit du travail et puissent lire ce qui a déjà été écrit sur tel ou tel sujet. Autre avantage de la mise en ligne, les participants peuvent retrouver leurs propres textes pour les relire s'ils en ont envie, ou encore pour créer un lien vers eux à partir de leur propre site, ou encore pour les actualiser et les compléter l'année suivante. Avant la mise en ligne, j'archivais toutes les réponses et j’envoyais à chacun un copier-coller avec son texte de l’année précédente, au cas où il ne l’aurait pas conservé, ce qui s'est avéré plus d'une fois fort utile.

Avant de trouver leur place définitive en juillet 2001 sur le Net des études françaises (NEF), les Entretiens déménagent malheureusement un peu trop souvent, à mon corps défendant. Une première série trouve place sur Biblio On Line (merci à Jean-Baptiste Rey), puis sur le site du CEVEIL (merci à Cynthia Delisle). De courts extraits de versions anciennes et actualisées depuis sont publiés dans E-Doc, une rubrique d’Internet Actu que j’anime pendant cinq mois, entre juin et octobre 2000 (merci à François Vadrot). Je décide ensuite de poster les Entretiens sur mon site personnel CompuServe en attendant la possibilité de les publier sur le même site pendant de nombreuses années, sans craindre une fermeture de rubrique et un changement d'URL.

Enfin la lumière après les errements... Quelques mois après avoir interviewé Russon Wooldridge, professeur au département d’études françaises de l’Université de Toronto, notre correspondance se poursuit de manière informelle. En été 2001, je lui demande s’il accepterait de publier la série des entretiens sur le Net des études françaises (NEF), créé à son initiative et dont l’esprit me séduit. Le NEF se veut d’une part "un filet trouvé qui ne capte que des morceaux choisis du monde des études françaises, tout en tissant des liens entre eux", d’autre part un réseau dont les "auteurs sont des personnes oeuvrant dans le champ des études françaises et partageant librement leur savoir et leurs produits avec autrui". Deux belles définitions qui s’appliquent aussi aux Entretiens. Il était donc normal qu’il y ait synergie puis fusion. Les Entretiens sont intégrés au NEF en juillet 2001, tout comme Le Livre 010101: enquête, qui rassemble les réponses de manière thématique (voir ci-dessous un descriptif plus détaillé du Livre 010101). En mai 2002, Russon crée une base interactive sous TACTweb qui permet des recherches textuelles dans l'ensemble du travail.

Bilan sur les questions posées, et leurs réponses

Revenons de manière plus détaillée sur les questions posées. Elles sont parfois liées aux préoccupations du moment, par exemple le droit d’auteur ou le multilinguisme. Certaines sont intemporelles, par exemple la définition par chacun du cyberespace ou de la société de l’information. Certaines sont beaucoup plus profondes qu’elles n’en ont l’air, par exemple le meilleur et le pire souvenir de chacun sur le réseau.

Demander à chaque participant de se présenter et de décrire son activité et/ou l’activité de son organisme va de soi avant d’aller plus avant. L’actualisation d’année en année montre que les choses avancent à la fois vite et pas vite (comme diraient mes amis normands…). Chose qui s'avère aussi vraie dans la vie cyber que dans la vie réelle, l'enthousiasme et la ténacité à titre individuel sont souvent contrés par des problèmes financiers ou des problèmes de "reconnaissance" par l’organisme ou la structure.

Certaines questions visent à entraîner une prise de conscience. La question sur le multilinguisme - qui a suscité quelques remous - est censée faire toucher du doigt plusieurs problèmes à la fois: nécessité d’un web multilingue (en 1998, c’était moins évident que maintenant), nécessité de défendre la place du français sur le réseau (idem), et enfin importance de la traduction dans les deux sens: vers le français, et à partir du français. Plus généralement, on n'insiste peut-être pas assez sur le fait que l’internet et les technologies numériques ne nous offrent pas seulement l'e-book mais aussi la possibilité d’un meilleur échange entre les différentes communautés linguistiques. De plus, au lieu de vilipender les anglophones, certains francophones devraient plutôt reconnaître que, pour la première fois peut-être, grâce au réseau, et pas seulement pour des raisons commerciales, la communauté anglophone s’intéresse au multilinguisme. Un sujet qu'il serait intéressant de creuser.

Autre question visant à entraîner une prise de conscience, celle sur l’accessibilité du web aux personnes aveugles et malvoyantes. Les réponses montrent la nécessité d'une véritable sensibilisation des personnes voyantes (y compris les professionnels du livre...) au fait que les personnes handicapées visuelles ont elles aussi droit à deux modes de connaissance - la lecture et l’écoute - tout comme les personnes voyantes. Si les professionnels interrogés suggèrent presque tous le développement de documents audio, beaucoup ne pensent pas à la conversion désormais possible des documents numériques en braille. Pourquoi les personnes aveugles devraient-elles se limiter à l’écoute, alors que le développement du numérique leur ouvre enfin largement accès à la lecture?

Plus généralement, nombre de passages des entretiens sont à mon humble avis de petits chefs-d’oeuvre, dans l’esprit et/ou le style, et je les ai relus plusieurs fois au fil des années. Entre autres, j’ai beaucoup aimé les réponses sur le meilleur et pire souvenir de chacun. J’ai d’ailleurs regroupé ces réponses sur une page web spécifique. J’ai beaucoup aimé aussi les définitions personnelles des uns et des autres sur le cyberespace et la société de l’information, qui pourraient faire l’objet d’une étude, pourquoi pas, si l'étude en question veut bien ne pas se limiter à les gloser. Comme le dit très justement un de mes correspondants à qui je m'ouvrais du problème, les réponses se suffisent sans doute à elles-mêmes, d’où l’intérêt de tout simplement les rassembler, ce qui donne là aussi une très belle page web. De par son contenu bien sûr. Pour le graphisme, je laisse aux auteurs hypermédias le soin de se pencher sur la question.

Quelques chiffres

Bien que n’aimant pas trop les statistiques - qui deviennent vite réductrices - je regroupe ici quelques chiffres (pour la plupart déjà cités), et laisse aux spécialistes le soin d’aller plus avant s’ils le souhaitent (conversion en tableaux et analyses de tous ordres).

Etablie à titre purement indicatif - puisque de nombreux participants ont en fait plusieurs casquettes - la liste par professions donne les chiffres suivants: 14 auteurs, dont 6 auteurs "classiques" et 8 auteurs hypermédias, 12 bibliothécaires-documentalistes, 2 concepteurs d'appareils de lecture, 3 créateurs de sites littéraires, 10 éditeurs, 5 gestionnaires, 7 journalistes, 26 linguistes, dont 8 francophones et 18 non francophones, et enfin 12 professeurs. En fait, contrairement à ce qu'on pourrait penser, les linguistes ne sont pas sur-représentés. Il s'agit plutôt d'une erreur de ma part. D'une part, le terme est utilisé faute de mieux pour tous ceux qui s'intéressent de très près aux langues. D'autre part j'aurais dû faire éclater cette catégorie en plusieurs catégories: traducteurs, concepteurs de dictionnaires et d'encyclopédies, spécialistes de la traduction automatique, etc. Cette dernière précision est à destination des chercheurs qui vont se pencher sur le problème, puisque certains m’ont déjà dit vouloir étudier cette série d'entretiens. Ils peuvent d'emblée indiquer que, si j'ai réussi un relatif équilibre entre les divers corps de métiers, j'ai complètement raté la parité, puisque, sur les 97 participants, 77 sont des hommes et 20 sont des femmes. A tort ou à raison, je n'ai pas utilisé le sexe comme critère de choix des correspondants.

Les langues maintenant. Les 97 entretiens ont une version française. Ce sont soit des textes originaux (72) soit des traductions (25). Les 39 entretiens en anglais sont soit des originaux (24) soit des traductions (15). Les 12 entretiens en espagnol sont soit des originaux (2) soit des traductions (10). Dans les 97 entretiens, 57 entretiens sont unilingues (français), 31 entretiens sont bilingues (français-anglais, sauf un français-espagnol), 8 entretiens sont trilingues (français, anglais, espagnol) et un entretien remporte la palme du multilinguisme puisqu’il est quadrilingue (français, anglais, espagnol, allemand).

La répartition sur plusieurs années enfin. 47 personnes participent aux entretiens en 1998. 14 s’arrêtent là et 33 poursuivent les années suivantes. Viennent s’ajouter ensuite 9 nouveaux participants en 1999, 25 nouveaux participants en 2000 et 16 nouveaux participants en 2001. Sur les 97 participants, 48 participants répondent une fois, 32 participants répondent à deux reprises, 13 participants répondent à trois reprises, et 4 participants répondent à quatre reprises. Précision qui a son importance, ces derniers chiffres ne peuvent être exploités tels quels puisque, contrairement à ceux qui ont participé à l’aventure dès ces débuts, les participants qui n’ont été contactés qu’en 2000 ou 2001 n’ont évidemment pas eu le loisir de répondre sur plusieurs années. Cependant, que ce soit dans un seul questionnaire (en 2000 et 2001) ou dans plusieurs questionnaires (1998, 1999, 2000 et 2001), tous ont reçu à peu près les mêmes questions.

Le Livre 010101

Au printemps 2001, forte d'une centaine d'entretiens, je rassemble les réponses par thèmes, en y ajoutant des informations techniques sur le développement de tel ou tel secteur: édition électronique, bibliothèque numérique, librairie en ligne, livre numérique, livre électronique, référence en ligne, logiciels de traduction, etc. Cela donne Le Livre 010101: enquête, publié en juillet 2001.

Le deuxième semestre 2001 marque la fin d’une époque (la préhistoire du numérique peut-être...) avant le début d’une autre, et ceci vaut non seulement pour la "nouvelle" économie dans son ensemble mais aussi pour le livre numérique. Après les nombreuses initiatives individuelles et collectives des années 1998-2001 et l’enthousiasme qui va avec, on assiste à un ralentissement accompagné d'une certaine lassitude, avant un nouveau départ sans doute.

Si, en 2001, j’avais l’impression que ce n’était pas "mûr" pour une synthèse sur le sujet, le premier semestre 2002 me paraît la période opportune pour l'écrire. Je m'appuie sur les trois sources que sont les entretiens, les enquêtes et le suivi de l'actualité pendant cinq ans. Cela donne une nouvelle version du Livre 010101, distribué par Numilog au format PDF en septembre 2002. Sous toutes réserves, le livre devrait être régulièrement actualisé selon une périodicité qui reste à déterminer. Une version imprimée serait également bienvenue, mais à ce jour mes démarches n'ont (encore) rien donné pour trouver un partenaire qui prenne en charge la fabrication (de qualité) et la distribution (efficace).

Les Entretiens sont eux-mêmes un réseau

Dès 1999, les Entretiens agissent comme un réseau, les participants se contactant ensuite directement, parfois à mon initiative, parfois en consultant tout simplement la liste des entretiens. Il arrive aussi que des participants soient contactés par des organismes ayant trouvé "leur" entretien par le biais de moteurs de recherche. C'est le cas de certains auteurs hypermédias. J’aime en tout cas cette idée d’un réseau aux multiples ramifications.

Pour moi aussi les Entretiens ont agi comme un réseau.

En février 2001 je prends contact avec Russon Wooldridge, créateur du Net des études françaises (NEF), grâce à Olivier Bogros, créateur de la Bibliothèque électronique de Lisieux, qui participe régulièrement aux Entretiens depuis 1998 et qui est lui-même membre du NEF. Russon participe d’abord aux Entretiens avant de les publier sur le NEF en juillet 2001.

Je prends ensuite contact avec Emilie Devriendt grâce à Russon. Emilie participe aux Entretiens en juin 2001 avant que je ne lui propose l’année suivante de poursuivre ce travail. Elle décide de former équipe avec Russon Wooldridge et Dominique Scheffel-Dunand.

Olivier Gainon, fondateur de CyLibris, participe aux Entretiens en décembre 2000. Pionnier de l'édition en ligne, CyLibris publie une lettre d’information électronique volontairement décalée et souvent humoristique, dont le ton me plaît, et à laquelle je contribue à partir d'octobre 2001.

Denis Zwirn, co-fondateur et PDG de Numilog, participe aux Entretiens en février 2001. En septembre 2002, Numilog distribue la nouvelle version du Livre 010101 au format PDF.

Quelques exemples parmi d’autres, sans parler de la trentaine de rencontres "virtuelles" qui sont ensuite devenues réelles.

La suite des Entretiens

En janvier 2002, je décide de repasser le flambeau à une nouvelle équipe. Tout bénévole "fatigue" au bout de quelques années, surtout quand il s’agit d’un travail très prenant en plus de l’activité professionnelle habituelle, limitée au minimum vital pour avoir justement du temps pour l'animation des entretiens et le travail de recherche qui l'accompagne. Lors du colloque du Net des études françaises en mai 2002 à Lisieux (Normandie), trois membres actifs du NEF composent une petite équipe pour reprendre le flambeau. Ce sont Emilie Devriendt (Ecole normale supérieure de Paris), Dominique Scheffel-Dunand (Université de Toronto) et Russon Wooldridge (Université de Toronto). La nouvelle série d’entretiens débute en juin 2002. Elle est intitulée Entreliens. Nouveau souffle, nouvelles personnes, nouvelles questions, nouvelles idées... le réseau continue de s'étendre.


P.S. du 27 août 2003: En 2002 et 2003, je travaille à une nouvelle version du Livre 010101, qui couvre dix ans (1993-2003), des débuts du web à nos jours, et qui est publiée en septembre 2003 (c.f. la première référence ci-dessous).


Publications issues des Entretiens, ou qui en citent des extraits

2003: Le Livre 010101 (1993-2003). Deux volumes publiés en ligne sur le Net des études françaises (Université de Toronto) et distribués au format PDF par Numilog (Paris).

2002: Le Livre 010101. Distribué par Numilog (Paris) au format PDF.

2002: Littérature et internet des origines (1971) à nos jours: quelques expériences, communication lors du 2e colloque international "Les études françaises valorisées par les nouvelles technologies d'information et de communication", Lisieux (Normandie), mai 2002.

2001-2002: Articles dans Edition Actu, la lettre d'information électronique de CyLibris (Paris).

2001: Le Livre 010101: Enquête. Publié en ligne sur le Net des études françaises (Université de Toronto).

2001: Entretiens / Interviews / Entrevistas (1998-2001). Série trilingue (français, anglais, espagnol) publiée sur le Net des études françaises (Université de Toronto).

2000: Série d'articles (E-Doc, 1-20, juin-octobre 2000) dans Internet Actu, publié par FTPress (French Touch Press, Paris).

2000: "L'impact des NTIC [nouvelles technologies de l'information et de la communication] sur les auteurs, les éditeurs et les libraires", dans: La publication en ligne, Les cahiers du numérique, I/5 (Hermès Science, Paris).

1999: "Les cyberbibliothèques" et "Sélection de sites web", dans: "L'information scientifique et technique et l'outil internet", Le Micro Bulletin Thématique, n° 1, publié par la Délégation aux systèmes d'information du CNRS (Centre national de la recherche scientifique, Paris).

1999: De l'imprimé à internet. Publié en version PDF et en version imprimée par les Editions 00h00 (Paris) entre avril 1999 et décembre 2002. Publié ensuite en ligne par le Net des études françaises. Disponible aussi en anglais avec un texte différent.

1999: Le multilinguisme sur le web. Publié en ligne par le CEVEIL (Centre d'expertise et de veille inforoutes et langues, Montréal) entre février 1999 et décembre 2002. Publié ensuite par le Net des études françaises. Disponible aussi en anglais.


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© 2002 Marie Lebert