2.2.8. L'article [321]

Tout composant du texte lexicographique est une sortie virtuelle; un certain nombre de composants -- ceux qui ouvrent un alinéa -- sont également des entrées. C'est au niveau du micro-article que l'on retrouve les sorties pures et que la consultation du dictionnaire tourne à la lecture. Un article dont la structure peut être prévue par l'usager est en principe consultable quelle qu'en soit la longueur. Dans la pratique, sa structure n'est jamais totalement prévisible et la consultabilité variera en raison inverse de la longueur. Les articles détaillés d'Estienne -- listages peu cohérents d'items bilingues -- en exigeant que l'usager supplée tout le discours lexicographique, défaillant, sont difficilement consultables de par leur ambiguïté. [322] En revanche, les articles construits de Nicot, quoique levant l'équivoque par l'explicitation des énoncés métalinguistiques, sont parfois d'une consultation difficile du fait de leur prolixité. [323] La forme et le contenu des articles d'Estienne ayant déjà été traités dans les sections 2.2.1, 2.2.2 et 2.2.3, ce sont les articles et alinéas construits de Nicot qui fournissent encore matière à réflexion.

2.2.8.1. Les articles de Nicot

La nature des articles de Nicot est en partie fonction de leur origine. Touchant à ceux qu'il hérite, il peut procéder de plusieurs façons:

a) il construit un alinéa liminaire dans lequel il inclut les items existants:

ou une partie d'entre eux: b) il développe ou il modifie le premier alinéa: c) il construit un alinéa liminaire original: d) il développe ou il modifie un des autres alinéas: e) il ajoute un alinéa non liminaire: Les deux premiers procédés sont, dans N 1606, les plus caractéristiques, tandis que les deux derniers sont typiques de la démarche de ND 1573. En 1573, Dupuys fait un emploi fréquent ou de la séparation en alinéas distincts des acceptions nouvellement traitées ou ajoutées, ou du maintien en alinéas des items développés. Ainsi, A se voit mériter huit nouveaux alinéas, les alinéas 2 et 3 de ABANDONNER sont modifiés et amplifiés, TAILLE acquiert un nouvel alinéa 6 de six lignes. [329] Pour le Thresor, Nicot n'est plus responsable des seuls éléments ajoutés, il se charge aussi du manuscrit, ce qui lui permet d'effectuer d'importants remaniements. Par exemple, pour l'article ABBANDONNER il construit un alinéa liminaire qui incorpore dans un énoncé articulateur les alinéas-items 1, 2, 4, 5, 6 et 8 de ND 1573. De la même façon, tous les dix alinéas-items de l'article TAILLE de ND 1573 (22 lignes) sont compris dans un long alinéa construit de 44 lignes. [330] Ajoutant à la nomenclature un mot nouveau, Nicot a toute liberté pour rédiger comme il l'entend. Toutefois, indépendamment de la provenance de leurs éléments, les articles du Thresor renferment une formulation et un contenu très variables et donc largement imprévisibles.

2.2.8.1.1. Informations

Les articles du Thresor peuvent contenir un ou plusieurs des sorties ou composants informationnels suivants:

2.2.8.1.2. Structures

La structure des articles du Thresor varie selon le rédacteur, selon la nature du mot à traiter ou, tout simplement, selon le hasard. Et les types de composants et l'ordre de ceux-ci sont largement imprévisibles. L'article minimum comprend la seule adresse: SYMBOLIZER, SYMBOLIZATION, SYMPTOME, SYNCOPE, SYNCOPIZER, SYNODAL et passim. [331] On rencontre fréquemment aussi des articles qui, en plus de l'adresse, ne renferment qu'un composant. Celui-ci sera bien souvent une définition:

ou, dans le cas d'un article hérité d'Estienne, un ou des équivalents latins: Se rencontrent aussi: a) adresse + exemple: b) adresse + exemple signé: - ce type d'articles est surtout le fait de T 1564;

c) adresse + remarque d'usage:

d) adresse + catégorisation grammaticale: e) adresse + étymologie: f) adresse + renvoi: - les articles-renvois dérivationnels et graphiques sont frequents. [332] Ajoutons à cette liste de types d'articles réduits la combinaison adresse + catégorisation grammaticale + accentuation: En principe, tout type de composant peut ne pas apparaître dans un article sauf l'adresse. Celle-ci est en effet nécessaire à l'existence de l'article, quoique sa situation et son statut réels en rendent assez souvent précaire l'autonomie. [333] Plus un article est long, plus il est susceptible de contenir de composants comme le montre plus loin le tableau sur la probabilté d'apparition des composants. Même les composants les plus fréquents peuvent, néanmoins, faire défaut à un article développé. Ainsi, l'article BLASON (57 lignes) n'a ni équivalent latin de l'adresse, ni catégorisation grammaticale, ni indication accentuelle, ni étymologie; ORFAVRERIE (26 lignes) est sans équivalent latin de l'adresse ni exemple; BENNEL (11 lignes) n'est pas défini -- il est pourtant rare de trouver un alinéa de plus de dix lignes qui ne contienne pas d'énoncé définisseur. La plupart des articles ne font pas de remarque spéciale au sujet de l'orthographe de l'adresse; celle-là est cependant toujours indiquée du fait de la présence de celle-ci. Nous donnons trois tableaux, qui montrent la probabilité d'apparition des composants, leur fréquence d'emploi et leur place dans l'article. [334]

Le premier tableau permet de constater que les seuls composants dont la probabilité d'apparition ne soit pas plus grande dans les articles construits que dans les courts articles, sont l'adresse (toujours présente), l'adresse-variante et la séquence équivalentielle latine, informations typiques des courts alinéas d'Estienne.

Le deuxième tableau, dans lequel figure le nombre d'occurrences par article d'un composant, montre que plus l'article est long plus il contient d'acceptions du mot-adresse, donc plus de séquences définitionnelles, d'exemples d'emploi, d'équivalents, et de commentaires et de citations à l'appui. Les étymologies et les dérivés se multiplient aussi, [335] comme, dans une certaine mesure, les catégorisations grammaticales, la forme d'entrée pouvant avoir diverses fonctions.

Du point de vue de la structure de l'article, c'est le troisième tableau, sur la position relative des informations, qui est le plus intéressant. En fait, il faut savoir interpréter les données que l'on y lit. Par exemple, le renvoi, quoiqu'en onzième position dans le tableau, est normalement la dernière information donnée (cf. ABAISSER (1 ligne), ABBAY (6 lignes), LANCE (41 lignes)). Tandis que certains composants ont une place normale, d'autres, comme les commentaires, par exemple, peuvent se trouver à n'importe quel endroit de l'article, puisqu'ils ont pour rôle de circonstancier l'énoncé de base (sujet et prédicat). D'autres, enfin, ont plus d'une place logique. La variante, lorsqu'elle ne suit pas immédiatement l'adresse: "PAIS ou PAYS", "GABES, ou gaberies", est souvent rejetée à la fin du traitement sémantique: "Vn POALE, & estuues, Thermae thermarum, Hypocaustum. On dit aussi Poële, ou Poësle". L'étymologie d'une forme sera donnée le plus souvent avec les informations liminaires: "OCCVRRENT, m.acut. Est imité du Latin Occurrens, Et signifie ... "; celle d'une forme-sens accompagne le traitement d'une acception, précédant celui-ci: "ASSEVRER ... composé ores de Ad, & seur, qui est fait de Securus ... & signifie rendre seur, & stable ... Et ores de Ad, & Seuerus ... & signifie affirmer ... parce que l'homme qui est seuere de vie, moeurs & conuersation, a authorité d'estre creu", ou le suivant (cf. DESBANDER infra).

Si on élimine du tableau 3 les composants qui ont une probabilité d'apparition inférieure à 33% ou dont la place varie beaucoup, on retrouve la structure de base suivante:

Citons, pour illustrer ce schéma, l'article DESBANDER, qui, en plus des composants 'fixes', donne l'étymologie des formes-sens et un renvoi: Une variante assez courante du schéma de base inverse l'ordre de la définition et de l'emploi syntagmatique: Les composants secondaires peuvent venir se placer à différents endroits de la structure fondamentale; citons, à titre d'exemple, l'article AULNAYE: Lorsque l'adresse recouvre plusieurs fonctions grammaticales, ce seront celles-ci qui constitueront l'articulation principale de l'article: "FAILLE, penac. Ores est verbe de maniere subiunctiue en premiere personne singuliere, comme ... Et en tierce, comme ... Et ores est nom substantif qui signifie ...". [337] Exceptionnellement, la catégorisation grammaticale est subordonnée à son tour à la prononciation de l'adresse: "Guerrier, de trois syllabes, Est vn verbe actif. acut. qui vaut autant que ... Mais Guerrier de deux syllabes est vn nom adiectif, signifiant ... ". Le fonctionnement syntagmatique du mot peut également être le critère de division: "MAINT, m. Est vne diction qui signifie aussi au nombre singulier, multitude de ce qui est signifié par le nom auquel elle est adioustée. Comme maint cheual ... Et ne laisse pourtant d'estre vsée au pluriel, comme, maints hommes ... Elle est quelquefois mise seule, comme, Il y a maints qui en seront marris ... Mais il est sousentendu hommes".

Un très grand nombre d'articles est sous-tendu par le développement historique et spatial du mot. Ainsi, pour BARON, on peut dégager les étapes successives que voici: a) emploi en latin, b) emploi en ancien français, c) emploi en français contemporain, d) emploi en ancien italien, e) emploi en ancien espagnol, f) emploi en espagnol contemporain, g) emploi en picard. [338]

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